Fiche- info CJPMO n◦218, publiée en février 2020 : Cette fiche d'information explique le processus de paix récemment mise en place par les États-Unis et l'Israel. Cette nouvelle étape n'est qu'un obstacle contre la paix durable pour le peuple palestinien et pour le Moyen-Orient en général.  

Le Plan Trump pour le Conflit Israelo-Palestinien

Factsheet Series No. 218, created: février 2020, Canadians for Justice and Peace in the Middle East
 
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trumpplanfactsheet.pngComment le plan a-t-il été élaboré?

Le 28 janvier 2020, le président américain Donald Trump a dévoilé un ensemble de propositions politiques et économiques pour adresser le conflit israélo-palestinien. Il a fallu 3 ans pour que son gendre, Jared Kushner, Haut conseiller au président et chargé de définir la politique moyen-orientale des États-Unis, construise ce plan « pour la paix »[i]. La rédaction de ce dernier s’est conduite sans la participation de négociateurs palestiniens.

Si J. Kushner n’a pas d’expérience en diplomatie, c’est surtout pour l’existence de conflits d’intérêts que sa neutralité en tant que médiateur pose question. En effet, lui-même ainsi que sa famille, entretiennent des liens importants avec l’organisation Friends of the Israeli Defence Forces (FIDF) (une association qui collecte des dons pour l’armée israélienne)[ii] ou encore American Friends of Beit El (une colonie connue pour son opposition radicale au processus de paix entre Israël et la Palestine)[iii].

Ce plan pour le Moyen Orient a également été élaboré dans le cadre d’une politique étrangère américaine très favorable à Israël[iv] : ex. fin des subventions à l’Office des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), affirmation que les colonies israéliennes ne sont pas contraires au droit international, déplacement de l’Ambassade américaine à Jérusalem, fermeture des bureaux de l’Organisation de Libération de la Palestine à Washington, etc.

Le volet économique du plan Trump est présenté dès les 25 et 26 juin 2019 à Manama (Bahreïn) par J. Kushner, en l'absence des Israéliens et surtout des Palestiniens. Le volet politique a quant à lui été dévoilé en conférence de presse fin-janvier 2020 en présence du premier ministre israélien B. Netanyahu, cinq semaines à peine avant les élections israéliennes début mars 2020. De quoi mobiliser la partie nationaliste de l’électorat de B. Netanyahu[v]. La présentation du plan coïncide également avec le procès de destitution contre D. Trump. Si le plan n’a pour l’instance aucune valeur juridique au regard du droit international, il détient néanmoins un poids politique lourd. Pour W. F. Wechsler, directeur des programmes Moyen-Orient au think-tank américain Atlantic Council, le plan « a moins à voir avec un effort de bonne foi pour parvenir à la paix entre Israéliens et Palestiniens, et davantage à voir avec les défis juridiques et électoraux immédiats auxquels sont confrontés les deux dirigeants. »[vi]

Quels sont les principaux éléments du plan?

Le plan Trump pour le Moyen-Orient propose une solution à deux États au conflit israélo-palestinien, basé sur la reconnaissance mutuelle d’« Israël comme État nation du peuple juif », et de la Palestine « comme état nation du peuple palestinien »[vii]. D’un côté, il officialise le contrôle illégal israélien sur une partie de la Cisjordanie et sur Jérusalem Est selon la politique du fait accompli. Le plan donne à Israël l’exclusivité sur la capitale Jérusalem[viii] et autorise l’annexion pourtant illégale et injuste des colonies israéliennes de Cisjordanie[ix] (en échange de territoires arides et isolés dans le désert du Néguev). De l’autre, le plan propose la création d’un État palestinien, sous un certain nombre de conditions[x] et avec une souveraineté limitée. La nouvelle capitale palestinienne proposée serait baptisée « Al-Quds » (« Jérusalem » en arabe) et serait établie près de l’actuelle ville d’Abu Dis, dans la banlieue métropolitaine de Jérusalem.[xi]

D’un certain point de vue, nombre des mesures proposées s’inscrivent dans la lignée des précédents plans de paix[xii]. Le Plan Trump correspond à une solution à deux États qui octroie la responsabilité de la souveraineté pour les frontières extérieures à Israël, notamment pour le contrôle de l’espace aérien et maritime. Le plan s’inspire des paramètres Clinton concernant l’annexion des colonies et la proposition d’échanges territoriaux. Il comporte aussi des ressemblances avec le Plan Allon, un plan suggéré par Israël en 1967, notamment pour l’annexion de Jérusalem et de la vallée du Jourdain[xiii].

Enfin, la dernière partie du plan adresse des propositions économiques et appelle à un effort international de 50 milliards de dollars pour permettre le développement de la Palestine[xiv].

L'accord prévoit un délai de quatre ans pour que les représentants palestiniens et israéliens puissent négocier sur la base des propositions américaines. Pendant ce temps, Israël s’abstiendrait de construire des colonies dans les parties de la Cisjordanie que le plan a désignées pour les Palestiniens[xv].

En quoi certaines mesures du Plan Trump se positionnent en rupture de la tradition diplomatique américaine?

Si le plan Trump marque donc une certaine « continuité » avec des propositions délivrées par le passé, les « modifications » apportées par le président américain sont tout de même importantes. Les nombreuses exigences et concessions demandées aux autorités palestiniennes épousent très largement la vision politique d’une partie de la droite israélienne et de B. Netanyahu.[xvi]

Les nouveautés du plan résident notamment dans le rejet officiel de toute souveraineté palestinienne sur Jérusalem (la capitale de la future Palestine se situerait dans les faubourgs à l’Est). De plus, pour la première fois, un président américain reconnaît la souveraineté israélienne sur les colonies en Cisjordanie, pourtant en totale violation du droit international.

Par ailleurs, sur la question des réfugiés palestiniens, le plan contraste également par rapport à ceux qui l’ont précédé : pas de retour de réfugiés palestiniens possible en Israël et retour en Cisjordanie et Gaza placé sous conditions[xvii]. Le plan s’oppose ainsi au droit au retour énoncé par la résolution 194 (1948) de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Dans cette même perspective, le plan postule qu’après les 4 ans de négociations prévus, le statut de réfugié palestinien et l’UNRWA devront disparaître[xviii]. Pourtant, cela semble littéralement impossible, étant donné que le statut de réfugié est déterminé par les directives de l'ONU, et non par un président américain.

Le Plan Trump peut-il faciliter la paix?

Non. Tout d’abord, le simple fait que l’élaboration du plan ait été conduite sans la participation de négociateurs palestiniens posent problème quant à la légitimité du processus de paix qui pourrait éventuellement en découler. En effet, depuis décembre 2017, il n’y a plus aucun contact formel entre la Maison-Blanche et les dirigeants palestiniens. Cette dégradation des relations est essentiellement le résultat des décisions de l’administration Trump de saper le pouvoir des dirigeants palestiniens, notamment en fermant les bureaux de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Washington (qui servait d’ambassade de facto), et en supprimant le soutien financier pour l’Autorité Palestinienne (établi dans le cadre des accords d'Oslo). Le statut donné à Jérusalem proposé par le plan constitue ainsi un point de désaccord fondamental. Le 1er février 2020, Mahmoud Abbas a annoncé « Je ne veux pas que l’on se souvienne de moi comme celui qui a vendu Jérusalem » et a rompu toutes les relations sécuritaires entre l’Autorité palestinienne et Israël et les États-Unis.[xix] Alors que de nombreux Palestiniens ont pu critiquer cette coopération de longue date en matière de sécurité entre l'Autorité palestinienne et Israël, cette dernière a néanmoins permis aux deux parties d'imposer un semblant de calme face aux violences populaires palestiniennes.

Le plan Trump propose également des mesures qui rendent difficile toute paix viable sur le long terme. Les échanges territoriaux envisagés divergent considérablement des frontières tracées en 1967 et reconnues par les Nations Unies[xx]. Les frontières proposées dessinent un État palestinien criblé de morceaux interconnectés de territoires israéliens contenant des colonies juives. Le plan prive aussi l’éventuel État de la Vallée du Jourdain[xxi], région pourtant cruciale pour l’agriculture[xxii] ainsi que pour l’intégrité et la cohérence territoriale palestinienne. Sans cette vallée, le futur État palestinien serait alors entièrement enclavé.

Par ailleurs, l’éventuel État palestinien est soumis à de très nombreuses conditions qui remettent fondamentalement en cause sa future souveraineté. Par exemple, selon le plan, l’État palestinien doit être démilitarisé, doit renoncer au contrôle de ses frontières, de son espace aérien, mais aussi à l’indépendance de sa politique étrangère. Il devra aussi s'abstenir de toute tentative d'adhésion à une organisation internationale sans le consentement de l'État d'Israël [xxiii] et ne pourra prendre aucune mesure contre l'État d'Israël ou les États-Unis devant la Cour pénale internationale, la Cour internationale de Justice et tout autre tribunal[xxiv]. En prévoyant un futur État palestinien avec une souveraineté extrêmement limitée et qui repose sur la bonne volonté des autorités israéliennes, le plan de Trump propose un avenir non-viable sur le long-terme.

Hormis ces défauts structurels, le Plan Trump comporte aussi d’autres éléments problématiques. Une proposition passée inaperçue laisse entrevoir la possibilité de déchoir 350 000 arabes israéliens vivant dans le « Triangle Arabe » de leur nationalité. En effet, sous réserve d’un accord des parties concernées, les habitants de dix villages arabes israéliens à l’ouest de la frontière de 1967 pourraient intégrer l'État de Palestine[xxv] contre leur volonté[xxvi] et en totale violation du droit international. Le plan modifie également le statu-quo concernant l’Esplanade des mosquées/Mont du Temple et autorise l’accès de ce lieu hautement sensible à tous les fidèles de toutes les religions[xxvii]. Cette décision, qui semble être un détail anodin, pourrait avoir des conséquences politiques majeures[xxviii], car depuis ces dernières années, les restrictions de passages ou encore le projet israélien d’installer des caméras sur l’esplanade avaient déjà créé de vives tensions entre musulmans et autorités israéliennes[xxix].

Quelle a été la réaction des Palestiniens?

Immédiatement après la présentation du plan Trump, l'Autorité palestinienne a indiqué que « le plan est un désaveu américain et israélien des accords d'Oslo[xxx].

Ismaïl Haniyeh, le chef du Hamas a, de son côté, annoncé que le plan américain « ne passera pas » et pourrait même conduire les Palestiniens à une « nouvelle phase » de leur lutte[xxxi]. Le 11 février 2020, devant le Conseil de sécurité, Mahmoud Abbas a officiellement rejeté le plan israélo-américain[xxxii].

Enfin, un sondage récent conduit par le Centre Palestinien de Recherche sur les politiques et enquêtes d'opinion (PSR) a montré que 94% des Palestiniens rejetaient le plan Trump et plus de 80% pensent que le plan ramène le conflit à ses racines existentielles[xxxiii]. 64% des Palestiniens soutiennent la lutte armée ou l'intifada en réponse au plan de paix et 61% s'attendent à un retour à la lutte armée ou à l'intifada.

Quelles réactions le plan a-t-il suscitées à l’international?

La réaction internationale au plan a elle aussi été très négative, malgré le fait que de nombreux pays dépendent de l'aide, du commerce et de l'influence des États-Unis et ne sont pas en position de contester frontalement l'administration Trump.

Le plan a également été critiqué par la Ligue Arabe le 1er février 2020[xxxiv], par l’Organisation de la Coopération Islamique le 3 février[xxxv] et également par certains pays arabes comme l’Algérie, la Tunisie, la Jordanie, le Koweit, ou encore par l’Iran.

Les Nations Unies ont aussi réaffirmé leur attachement à une solution à deux États fondée sur les frontières préexistantes de la guerre de 1967. Le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a déclaré que le seul plan qu'il pouvait accepter était celui qui respectait les résolutions des Nations Unies et les normes internationales[xxxvi].

Le 4 février, Josep Borrell, haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères a déclaré que « l’initiative américaine, telle que présentée le 28 janvier, s’écarte des paramètres convenus au niveau international » et que « conformément au droit international et aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations unies, l’UE ne reconnaît pas la souveraineté d’Israël sur les territoires occupés [sic] depuis 1967. Les mesures en vue de l’annexion, si elles sont mises en œuvre, ne pourraient pas passer sans être contestées »[xxxvii].

 

[i] D’autres figures politiques ont également participé à l’élaboration de ce plan : l’ambassadeur David Friedman, Jason Greenblatt ainsi qu’Avi Berkowitz.

[ii] Maltz, Judy. « Jared Kushner's Name Removed From Website of Group Raising Money for Israeli Army », Haaretz, 26 Janvier 2017. 

[iii] Dumont, Serge. « Soutenue par des proches de Trump, la colonie de Beit El «sent le vent tourner» », Le Temps, 30 Janvier 2017.

[iv] Pour en savoir plus, veuillez consulter la fiche-info CJPMO no.211 Trump’s destructive approach on Israel-Palestine, Octobre 2018.

[v] Gil, Inès. « Le « Deal du siècle » : un échec annoncé ? », Les Clés du Moyen-Orient, 30 Janvier 2020.

[vi] Specia, Megan. “What to Know About Trump’s Middle East Plan”, The New York Times, 29 Janvier 2020.

[vii] The White House. “Peace to Prosperity Plan”, Janvier 2020, Section 20: Mutual recognition between nation states, p. 37.

[viii] The White House. “Peace to Prosperity Plan”, Janvier 2020, Section 5: Jerusalem, p. 17.

[ix] The White House. “Peace to Prosperity Plan”, Janvier 2020, Section 4: Borders, p. 12.

[x] Durant la conduite des négociations : p.39, sur Gaza: p. 26, sur la gouvernance du futur état palestinien : p. 34, sur la lutte contre le terrorisme : Appendix 2B, sur la démilitarisation : Appendix 2C.

[xi] The White House. “Peace to Prosperity Plan”, Janvier 2020, Section 5: Jerusalem, p. 17 et p.19.

[xii] Gil, Inès. « Le « Deal du siècle » : un échec annoncé ? », Les Clés du Moyen-Orient, 30 Janvier 2020.

[xiii] Economic Cooperation Fund, “Allon Plan (1967)”, The Israeli-Palestinian Conflict: an interactive database (Beta), 23 Juillet 2014.

[xiv] The White House. “Peace to Prosperity Plan”, Janvier 2020, Section 6: The Trump Economic Plan, p. 19 et Part B: Economic Framework.

[xv] The White House. “Peace to Prosperity Plan”, Janvier 2020, Section 22: Conduct during negotiations, p. 38.

[xvi] Netanyahou, Benjamin, A place among the nations: Israel and the World, 1 avril 1993.

[xvii] The White House. “Peace to Prosperity Plan”, Janvier 2020, Section 16: Refugees, p. 33.

[xviii] Idem.

[xix] Le Monde avec AFP, « La Ligue arabe rejette le plan de paix américain pour le Proche-Orient », Le Monde, 1 février 2020.

[xx] Conseil de Sécurité des Nations Unies, “Résolution 242”, 22 novembre 1967.

[xxi] The White House. “Peace to Prosperity Plan”, Janvier 2020, Section 4: Borders, p. 13.

[xxii] Makdisi, Saree. “What’s New About Trump’s Mideast ‘Peace’ Plan? Only the Blunt Crudity of Its Racism.”, The Nation, 30 Janvier 2020.

[xxiii] The White House. “Peace to Prosperity Plan”, Janvier 2020, Section 22: Conduct during negotiations, p. 38.

[xxiv] Idem.

[xxv] The White House. “Peace to Prosperity Plan”, Janvier 2020, Section 4: Borders, p. 13.

[xxvi] Gendron, Guillaume, “Umm al-Fahm, la ville arabe d'Israël que Trump veut renvoyer en Palestine”, Libération, 4 février 2020.

[xxvii] Depuis 1967, le statu quo autorise seulement les musulmans à prier sur l’esplanade des mosquées.

[xxviii] Gil, Inès. « Le « Deal du siècle » : un échec annoncé ? », Les Clés du Moyen-Orient, 30 Janvier 2020.

[xxix] Dyke, Joseph. “Esplanade des Mosquées: détecteurs et caméras retirés, la tension reste vive”, La Presse, 26 juillet 2017.

[xxx] i24NEWS, “Plan de paix US: Abbas envoie une délégation d'urgence pour rencontrer des responsables israéliens”, i24NEWS, 30 Janvier 2020.

[xxxi] RFI, « Donald Trump présente son plan pour le Proche-Orient à Netanyahu et Gantz », RFI, 28 Janvier 2020.

[xxxii] AFP et Times Of Israel Staff, “Retour sur le discours d’Abbas devant le Conseil de sécurité de l’ONU”, The Times of Israël, 11 Février 2020.

[xxxiii] PSR, « Public Opinion Poll No (75) Press-Release », Palestinian Center for Policy and Survey Research, 11 Février 2020.

[xxxiv] Le Monde avec AFP, « La Ligue arabe rejette le plan de paix américain pour le Proche-Orient », Le Monde, 1 Février 2020.

[xxxv] RFI, “L'OCI - organisation de la coopération islamique- rejette le plan de Donald Trump pour le Proche-Orient”, RFI, 3 Février 2020.

[xxxvi] BBC News, “Trump Middle East plan: Palestinians reject 'conspiracy'”, BBC News, 29 Janvier 2020.

[xxxvii] Reuters, « EU rejects Trump Middle East peace plan, annexation », Reuters, 4 Février 2020.

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