Au-delà d’une solution à deux États : Une nouvelle politique étrangère canadienne pour le Moyen-Orient

Les Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient (CJPMO) demandent un changement majeur dans la politique canadienne vis-à-vis d’Israël et de la Palestine afin de ne plus mettre l’accent sur « la solution à deux États », en notant que la position adoptée de longue date par le gouvernement canadien n’est peut-être plus possible ni souhaitable. Dans une note d’orientation, CJPMO affirme que l’accent mis sur une solution à deux États est devenu un obstacle à la paix, et que les responsables canadiens doivent être ouverts aux alternatives possibles qui permettraient d’atteindre l’égalité des droits et des libertés, incluant une solution à « un seul État » ou un unique État démocratique avec des droits égaux.

Publiée en juillet 2021

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Au-delà d’une solution à deux États: Une nouvelle politique étrangère canadienne pour le Moyen-Orient

Les Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient (CJPMO) demandent une réorientation majeure de la politique canadienne à l’égard du Moyen-Orient. CJPMO exhorte les politiciens et responsables canadiens à se concentrer sur des outils politiques immédiats qui peuvent faciliter l’égalité et les droits de la personne tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens, plutôt que de mettre l’accent sur une solution théorique à deux États comme résultat politique potentiel. Ce changement de priorités est essentiel si le Canada veut sérieusement faire avancer les perspectives d’une paix juste et durable au Moyen-Orient.

Les Palestiniens et Israéliens sont eux-mêmes divisés sur la question d’une résolution politique à la situation actuelle, et CJPMO ne préconise pas de solution spécifique pour le moment. Les représentants palestiniens et israéliens peuvent encore décider qu’une solution à deux États est encore préférable.

Pour l’instant, cependant, il est évident que l’accent mis actuellement sur une solution à deux États est devenu un obstacle à la progression vers une solution équitable. En s’accrochant à une solution à deux États comme seule issue acceptable pour les Palestiniens et les Israéliens, le Canada ferme la porte à des alternatives possibles plus plausibles et plus juste, qui font progresser les droits politiques et l’égalité et qui sont susceptibles de répondre aux besoins humanitaires urgents des Palestiniens à Gaza, à Jérusalem-Est et ailleurs.

CJPMO soutient que les députés et autres responsables canadiens ne devraient plus prioriser l’objectif d’une solution à deux États, pour les raisons suivantes :

a. De nombreux observateurs estiment qu'une solution à deux États n'est tout simplement plus possible

Des décennies d'expansion des colonies israéliennes et la poursuite de la colonisation du territoire palestinien occupé ont créé une situation dans laquelle il n'est pas possible de créer un État palestinien viable, contigu et souverain. Les routes et les colonies israéliennes découpent la Cisjordanie et laissent les Palestiniens prisonniers de petites poches de terres, entourées d’infrastructures israéliennes militarisées. Les organisations palestiniennes, israéliennes et internationales de défense des droits humains décrivent souvent cette situation comme une « réalité d’État unique » ou un régime d’apartheid, dans lequel Israël maintient la domination d’un groupe sur un autre sur tout le territoire qu’il contrôle. [1]

Cela pourrait être irréversible. La création de l'assise territoriale nécessaire à un État palestinien exigerait une évacuation majeure des colonies israéliennes, y compris les blocs de colonies, la vallée du Jourdain et Jérusalem-Est. Cependant, la trajectoire d'Israël est à l'opposé : au lieu de se désengager, Israël continue d'étendre les colonies illégales et envisage des mesures pour annexer officiellement des portions importantes de la Cisjordanie. Il ne fait aucun doute que les autorités israéliennes ont l'intention de maintenir un contrôle permanent sur ces territoires. Comme l'a affirmé Yousef Munayyer dans le New York Times : « La solution à deux États est morte. Israël l'a tuée ».[2] 

b. Le gouvernement israélien ne soutient pas, et n’a jamais soutenu, une solution à deux États

Il n'existe pratiquement aucun soutien à une véritable solution à deux États au sein de la classe politique israélienne. Le Premier ministre israélien Naftali Bennett a juré en 2013 de « faire tout ce qui est en mon pouvoir, pour toujours, pour lutter contre la création d'un État palestinien en Terre d'Israël » [3], tandis que son prédécesseur et le Premier ministre d'Israël qui est resté le plus longtemps au pouvoir, Benjamin Netanyahou, a déclaré en 2015 qu'un État palestinien ne serait jamais créé sous sa surveillance.  Même l'ancien Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, qui a signé les accords d'Oslo (qui visaient ostensiblement la transition vers deux États), n'a jamais soutenu la pleine souveraineté des Palestiniens, mais a promu une « entité palestinienne qui est moins qu'un État. » [4]

Alors que certains partis politiques israéliens prétendent soutenir une solution à deux États, cela veut presque toujours dire en pratique qu’ils soutiennent le principe de « séparation » ou de création d’une entité palestinienne semi autonome soumise à l’assujettissement permanent d’Israël.[5]

c. Un bantoustan n’est pas un État

Comme nous l’avons mentionné précédemment, la vision la plus commune pour une solution à deux États, telle qu’elle est proposée par les politiciens israéliens, et celle d’un État israélien entourant une entité palestinienne, désignée comme un « État moins » (« state-minus »), ou éventuellement, un État démilitarisé. Une telle entité détiendrait un certain degré d’autonomie mais sans exercer de contrôle sur nombre de fonctions essentielles de la souveraineté. Dans cette vision, qu’il s’agisse de Netanyahou de droite ou du centriste Yair Lapid, Israël conserverait le contrôle souverain ultime et aurait le droit d’envahir militairement l’entité palestinienne à volonté. [6]

 Il doit être clair que toute « solution » qui refuserait à un éventuel État palestinien la pleine souveraineté sur sa sécurité, ses frontières ou son espace aérien, n’est pas un État. Au contraire, une telle entité à plus en commun avec les « bantoustans » nominalement indépendants que l’Afrique du sud a tenté d’établir dans les années 70 et 80. Tout comme la communauté internationale a refusé de reconnaître les bantoustans en Afrique du Sud, tout arrangement similaire pour les Palestiniens devrait être catégoriquement rejeté comme offensant et inacceptable.

d. Les droits humains ne peuvent pas être reportés en attendant le résultat de futures négociations

L'attente de négociations qui peuvent ou non aboutir à une solution à deux États a piégé les Palestiniens dans un statu quo inacceptable caractérisé par la violence et la dépossession. Le "processus de paix" n'a pas réussi à protéger les droits et la sécurité des Palestiniens sous occupation, pas plus qu'il n'a ralenti la capacité d'Israël à consolider son contrôle sur le territoire et à modifier les faits sur le terrain ; depuis la signature des accords d'Oslo en 1993, Israël a quadruplé le nombre de colons rien qu'en Cisjordanie.  À un niveau plus fondamental, il n'est pas acceptable d'attendre des Palestiniens qu'ils attendent de futures négociations pour voir leurs droits humains respectés. La liberté est urgente et non négociable.

L'accent mis sur les négociations est en soi problématique dans le contexte d'une occupation. Le cadre existant adopté par le Canada aborde la question comme un conflit entre deux parties égales et lésées. Cela est complètement éloigné de la réalité, car Israël détient un pouvoir profondément asxymétrique sur les Palestiniens - non seulement Israël est une puissance occupante, mais il dispose de l'une des forces militaires les plus avancées au monde, et il s'empare et colonise continuellement le territoire palestinien dans l'intention de maintenir un contrôle permanent. En l'absence d'un mécanisme de résolution impartial par une tierce partie, ou de sanctions permettant de tenir une partie responsable des violations du droit international, un processus de négociations favorisera et renforcera fondamentalement la partie la plus puissante.

e. Une solution à un seul État peut être préférable à une solution à deux États, il s’agit d’une option plus juste et plus équitable pour tous les peuples

À la place d’une solution à deux États, un État démocratique unique, égal en droits, qui respecte les droits individuels et collectifs des Israéliens et des Palestiniens, pourrait être une solution privilégiée. Un tel arrangement a le potentiel d’améliorer les libertés et les objectifs de toutes les parties : les familles seraient réunies, la circulation sur le territoire serait libre, les sites religieux seraient partagés. Plutôt que la fragmentation, la ségrégation et l’exclusion, une société israélo-palestinienne élargie pourrait être caractérisée par l’inclusion et le partenariat. [7]

Une solution à un seul État permettrait également de résoudre les problèmes de discrimination et d’injustice au-delà des territoires occupés, en garantissant les mêmes droits aux Palestiniens qui ont la citoyenneté israélienne, et permettrait de faciliter le droit de retour des réfugiés (sans référence aux majorités démographiques), un enjeu clé du statut final pour la paix dans la région.

L’objection principale que les critiques font aux propositions d’un État démocratique unique est que l’État perdrait son caractère exclusivement juif. En avançant cet argument, la prétendue nécessité de maintenir une majorité démographique juive est utilisée comme justification pour nier aux Palestiniens leurs droits humains fondamentaux. Cette ligne de pensée perpétue la notion qu’il serait indésirable, voire impossible, pour les Israéliens et les Palestiniens de vivre ensemble dans la paix et la sécurité sur un pied d’égalité. Elle suggère également que les droits d’un groupe sont intrinsèquement plus importants que ceux des autres. La démocratie, et non la démographie, devrait être l’objectif de notre politique étrangère.

Recommandations pour les députés et responsables canadiens :

  1. Prioriser une action urgente en soutien aux droits de la personne et à la liberté. La communauté internationale ne peut pas se concentrer sur des négociations sans fin, mais sur les responsabilités d’Israël en tant que puissance occupante, et sur le besoin urgent de protéger les droits et libertés du peuple palestinien.
  2. Cesser de privilégier la solution à deux États comme seule issue acceptable et soutenir toute option la plus susceptible de garantir l'égalité des libertés et des droits pour tous, indépendamment de la religion ou de l'origine ethnique. Il n'y a pas de problème si la préférence personnelle d'un député est pour la solution à deux États. Cependant, cela ne devrait pas être leur priorité. Compte tenu de la faible probabilité qu'une solution à deux États ne puisse jamais être atteinte, il est dangereux de donner la priorité à ce résultat avant tout, en particulier lorsque l'alternative d'un seul État démocratique peut être plus susceptible de faire progresser les droits de l'homme et l'autodétermination.
  3. Être clair sur le fait que les propositions israéliennes pour une « entité » ou un « État moins » (« state minus ») sont totalement inacceptables. Les propositions qui offrent aux Palestiniens moins qu’un État complètement souverain – ou, alternativement, l’égalité complète des droits dans un État unique démocratique – doivent être reconnues comme la continuation de la domination israélienne, et le refus de l’auto-détermination.
  4. Faire avancer la possibilité de l’autodétermination palestinienne en exerçant des pressions sur le gouvernement israélien, incluant des sanctions économiques et diplomatiques. Israël est la puissance occupante et a démontré durant des décennies son refus total de céder son contrôle sur le territoire. Les députés doivent reconnaître que seules des sanctions peuvent forcer Israël à abandonner son contrôle sur les vies et le territoire palestinien. Cela est vrai que votre préférence soit pour une solution à deux États ou à un seul État. Cette pression est la seule façon pour le Canada de jouer un rôle constructif pour assurer l'autodétermination de tous les peuples.
  5. Reconnaître le rôle des relations de pouvoir dans toute négociation future. Si les négociations devaient avoir lieu dans les circonstances actuelles, elles se feraient entre Israël en tant que puissance occupante et les Palestiniens en tant que population occupée. Ce n’est pas une formule qui offre aux Palestiniens une perspective de succès, car une paix juste et durable ne peut être négociée qu’à partir d’une position d’égalité en termes de libertés et de droits. Toute incitation à la négociation de la part des représentants canadiens doit s’accompagner de l’introduction de pressions sur Israël afin de contrebalancer le déséquilibre inhérent du pouvoir.
  6. Continuer de demander la reconnaissance de l’État de Palestine. Quelle que soit la position de chacun sur la solution à deux États ou à un État, il est important que le Canada reconnaisse enfin l'État de Palestine. La Palestine a le statut d'État observateur non-membre des Nations Unies, et elle est reconnue par au moins 138 États membres de l'ONU. Ce statut est symbolique, puisque la Palestine est toujours occupée par Israël, mais il permet aux Palestiniens de demander représentation et justice dans les forums internationaux, y compris la Cour pénale internationale (CPI). La reconnaissance du statut d'État est une façon pour le Canada d'améliorer la capacité des Palestiniens à faire valoir leurs droits au niveau international. Cependant, comme ce statut n'est pas lié à la viabilité de l'État sur le terrain, cette action ne doit pas être comprise comme un verrouillage du soutien canadien à une solution à deux États au détriment d'autres solutions, pour les raisons expliquées ci-dessus.

Notes

[1] Al Haq, “Palestinian, regional, and international groups submit report on Israeli apartheid to UN Committee on the Elimination of Racial Discrimination,” November 12, 2019, https://www.alhaq.org/advocacy/16183.html; Yesh Din, “The Occupation of the West Bank and the Crime of Apartheid: Legal Opinion,” June 9, 2020, https://www.yesh-din.org/en/the-occupation-of-the-west-bank-and-the-crime-of-apartheid-legal-opinion/; B’Tselem, “A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to the Mediterranean Sea: This is apartheid,” January 12, 2021, https://www.btselem.org/publications/fulltext/202101_this_is_apartheid; Human Rights Watch, “A Threshold Crossed: Israeli Authorities and the Crimes of Apartheid and Persecution,” April 27, 2021, https://www.hrw.org/report/2021/04/27/threshold-crossed/israeli-authorities-and-crimes-apartheid-and-persecution.

[2] Yousef Munayyer, “This Moment is Different,” New York Times, May 19, 2021, https://www.nytimes.com/2021/05/19/opinion/israel-palestine.html

[3] David Remnick, “The Party Faithful,” The New Yorker, January 13, 2013, https://www.newyorker.com/magazine/2013/01/21/the-party-faithful

[4] Israel Ministry of Foreign Affairs, “Prime Minister Yitzhak Rabin: Ratification of the Israel-Palestinian Interim Agreement,” The Knesset, October 5, 1995, https://www.mfa.gov.il/mfa/mfa-archive/1995/pages/pm%20rabin%20in%20knesset-%20ratification%20of%20interim%20agree.aspx

[5] See Ben White, “Separation and a Two-State Solution Aren’t the Same,” Foreign Policy, April 17, 2019, https://foreignpolicy.com/2019/04/17/separation-and-a-two-state-solution-arent-the-same-israel-palestinians-west-bank-netanyahu/

[6] Ben Sales, “Netanyahu says he supports a Palestinian ‘state-minus’ controlled by Israeli security,” Jewish Telegraphic Agency, October 24, 2018, https://www.jta.org/2018/10/24/israel/netanyahu-suggests-support-state-minus-palestinians; Sophia Jessen, “Yair Lapid Outlines Four Demands for Peace With Palestinians,” Haaretz, March 7, 2019, https://www.haaretz.com/israel-news/elections/yair-lapid-outlines-four-demands-for-peace-with-palestinians-1.7000533

[7] For further discussion in support of a one-state solution, see: Noura Erakat, “Singular Legal Regime Necessitates One-State Solution,” Jadaliyya, March 2, 2020, https://www.jadaliyya.com/Details/25329; Yousef Munayyer, “Let's Talk About a One-State Solution Where Israelis and Palestinians Are Equal,” Time, February 17 2017, https://time.com/4675067/israel-palestinians-one-state-solution-trump/; Peter Beinart, “Yavne: A Jewish Case for Equality in Israel-Palestine,” Jewish Currents, July 7 2020, https://jewishcurrents.org/yavne-a-jewish-case-for-equality-in-israel-palestine/; Awad Abdelfattah and Jeff Halper, “It is time for the one state solution to go mainstream,” The Electronic Intifada, December 17, 2020, https://electronicintifada.net/content/it-time-one-state-solution-go-mainstream/31946; Ali Abunimah, One Country: A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse, Picador: 2006; Nadia Hijab, “To Achieve One State, Palestinians Must Also Work for Two,” Al-Shabaka, February 7, 2018, https://al-shabaka.org/commentaries/achieve-one-state-palestinians-must-also-work-two/.