Le Fonds des Martyrs de l’Autorité palestinienne (AP)

Fiche d'information CJPMO no. 231, publié en mars 2023 : Cette fiche d'information examine le Fonds des martyrs de l'Autorité palestinienne, un programme d'aide sociale pour les prisonniers palestiniens. Elle explique qui bénéficie du fonds et la nécessité de ces fonds pour les familles palestiniennes dans les territoires occupés. La fiche traite également des critiques formulées à l'encontre du Fonds des martyrs et de la réponse de ses partisans.

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Qu'est-ce que Le Fonds des Martyrs de l'Autorité palestinienne (AP) ?

La loi sur la protection sociale des prisonniers, plus connue sous le nom de "Fonds des martyrs" de l'Autorité palestinienne, est un programme lancé en 2013 qui fournit à un petit nombre de familles de prisonniers Palestiniens des allocations mensuelles et des services de protection sociale[i]. Ce fonds s'appuie sur l'article 22 de la loi fondamentale palestinienne, qui considère la protection et la prise en charge des familles de prisonniers comme une obligation publique.  Le Fonds des martyrs est la dernière incarnation d'un programme lancé au début des années 1960 par la "Commission des martyrs et des blessés" de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). La Commission servait essentiellement de division du bien-être et des affaires sociales de l'OLP et aidait les familles des prisonniers. Après la signature des accords d'Oslo, le rôle de la commission s'est déplacé vers l'assistance aux familles des prisonniers blessés et des martyrs[ii].  Alors que dans les langues occidentales, le terme "martyr" fait généralement référence à une personne qui meurt en raison de ses croyances religieuses, les Palestiniens utilisent le terme "martyr" pour désigner toute personne tuée par l'armée israélienne, qu'il s'agisse d'un combattant, d'un civil ou d'un enfant[iii].  Selon l'Autorité palestinienne, ces programmes de paiement ont été créés au motif que la cause palestinienne est une "lutte nationale pour la libération, l'humanité et la justice, et que ceux qui subissent les conséquences négatives de l'occupation ne doivent pas être laissés pour compte".[iv]

Qui bénéficie de ce fonds?

Selon l'AP, toutes les familles de prisonniers (quelle que soit leur affiliation politique) qui demandent des prestations peuvent recevoir des paiements mensuels pendant l'incarcération de leurs proches. Le montant mensuel par famille est de 350 $, avec un supplément de 100 $ en cas de mariage et de 50 $ par enfant.[v]  En 2017, 13 000 prisonniers et 33 700 familles ont pu bénéficier de ces paiements[vi], ce qui représentait 1,5 % du nombre total de détenus et d'anciens détenus.[vii] Les familles des détenus ont le droit de demander d'autres prestations telles que les soins de santé de base du gouvernement et des bourses partielles pour les enfants de détenus qui remplissent les conditions requises. Le montant des prestations financières dépend du statut du conjoint et des autres personnes à charge, ainsi que du nombre d'années passées dans les prisons israéliennes. Les anciens détenus ne peuvent bénéficier d'une aide financière que s'ils peuvent prouver que leurs revenus sont inférieurs à 2000 NIS par mois.

Ils ont également droit à des bourses universitaires partielles dans les universités publiques s'ils répondent à certains critères. En outre, nombre d'entre eux ont droit à des soins de santé publics dans les cas où leurs conditions de détention ont eu un impact négatif sur leur santé. Enfin, pendant leur incarcération, les détenus peuvent recevoir de l'argent pour la cantine par l'intermédiaire de la Commission des affaires des détenus et des anciens détenus. Cela leur permet d'acheter de la nourriture, des vêtements et d'autres articles dans la boutique de la prison qui verse des redevances au système pénitentiaire israélien.[viii]

Pourquoi les Palestiniens considèrent-ils que ces paiements sont nécessaires ?

Selon le Palestinian Center for Policy and Survey Research, le soutien à ces paiements atteint 91 % parmi les Palestiniens.[ix]  Ces paiements sont considérés comme un filet de sécurité et comme un contrepoids nécessaire aux défis de la vie sous l'occupation israélienne et à l'application de la loi militaire israélienne.[x]  Il existe de nombreuses preuves que les tribunaux militaires israéliens traitent de manière grossière et systématique les affaires portées contre les Palestiniens.[xi]  De nombreux Palestiniens sont emprisonnés par Israël en tant que “menaces pour la sécurité” pour des actes que la plupart des Canadiens considéreraient comme des actes de désobéissance civile. Le taux de condamnation des Palestiniens traduits devant les tribunaux militaires israéliens est de 99 %, un chiffre inégalé dans les démocraties occidentales.[xii] Pire encore, Israël impose souvent des punitions collectives aux familles des Palestiniens soupçonnés d'avoir commis des crimes, comme la destruction de la maison de la famille du suspect, ce qui constitue un crime de guerre au regard du droit international.[xiii] En 2000, Israël a adopté des lois empêchant les Palestiniens de poursuivre en justice l'armée israélienne en cas de blessure ou de décès.[xiv]  Par conséquent, le Fonds des Martyrs de l'Autorité palestinienne reste le seul moyen d'indemnisation des familles palestiniennes.

Comment les partisans du Fonds des Martyrs répondent-ils aux critiques ?

Les détracteurs du Fonds des martyrs, en particulier aux États-Unis et en Israël, estiment que ces paiements aux prisonniers constituent une forme d'incitation à la terreur : un programme visant à récompenser les Palestiniens pour qu'ils commettent des actes de violence contre les Israéliens.[xv]  Les critiques qualifient ce programme de "pay for slay" (payer pour tuer), suggérant que l'Autorité palestinienne paie les Palestiniens pour qu'ils tuent des Israéliens.[xvi]  Cependant, les recherches de CJPMO n'ont trouvé aucune preuve que les Palestiniens étaient incités à commettre des actes de violence contre les Israéliens à cause de ce programme.

Les Palestiniens soutiendraient que la violence dirigée contre Israël et ses citoyens est le résultat d'une occupation militaire israélienne brutale, qui dure depuis des décennies, et non le résultat d'un programme gouvernemental.[xvii]   Et dans les confrontations quotidiennes entre l'armée israélienne et les Palestiniens, la grande majorité des actes de violence palestiniens ne sont pas prémédités. Certains soulignent que, même si un agresseur potentiel avait des motifs prémédités, il réfléchirait non seulement au risque personnel d'être tué ou emprisonné, mais aussi à la dévastation potentielle infligée à sa famille par Israël.[xviii]  En fin de compte, les Palestiniens engagés dans leur lutte de libération sont prêts à agir et à payer le prix, que le fonds des martyrs existe ou non.[xix] 

L'Autorité palestinienne invoque un certain nombre de raisons pour justifier le maintien du programme.  Tout d'abord, le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a affirmé que "les paiements destinés à soutenir les familles relèvent de la responsabilité sociale de s'occuper des personnes innocentes affectées par l'incarcération ou l'assassinat de leurs proches"[xx].

  1. Abbas a également affirmé que la grande majorité des Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes sont des prisonniers politiques et non des terroristes.[xxi] L'Autorité palestinienne affirme que son programme empêche les prisonniers et leurs familles d'être exploités par des groupes radicaux, tout en dissuadant les récidives.[xxii]  Enfin, l'Autorité palestinienne a également exprimé sa crainte que, compte tenu de la popularité du programme parmi les Palestiniens, sa fermeture ne provoque une révolte généralisée et des troubles civils contre l'Autorité palestinienne.[xxiii]

 

[i] "Loi fondamentale de 2002", Loi fondamentale palestinienne, 15 février 2012, https://www.palestinianbasiclaw.org/basic-law/2002-basic-law.

[ii] "La position politique de l'Autorité palestinienne (AP) sur les paiements de protection sociale aux familles des prisonniers", La délégation générale de la Palestine en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans le Pacifique, 12 octobre 2018, https://www.palestine-australia.com/highlights/news/2018/the-palestinian-authoritys-pa-policy-position-on-the-social-welfare-payments-to-the-families-of-prisoners/.

[iii] "Martyrdom in the Context of the Palestinian National Struggle", Institute for Palestine Studies, consulté le lundi 27 février 2023, https://oldwebsite.palestine-studies.org/resources/special-focus/martyrdom-context-palestinian-national-struggle-0.

[iv] Délégation générale de la Palestine en Australie, 2018.

[v] "Palestinian Prisoner Payments", Fondation Carnegie pour la paix internationale, 2021, https://carnegieendowment.org/specialprojects/breakingtheisraelpalestinestatusquo/payments.

[vi] ibid

[vii] Délégation générale de la Palestine en Australie, 2018.

[viii] "L'Autorité palestinienne verse-t-elle 350 millions de dollars par an aux "terroristes et à leurs familles" ?" Glenn Kessler, The Washington Post, 14 mars 2018.

[ix] " Sondage d'opinion publique n° (64) ", The Palestinian Center for Policy and Survey Research, juillet 2017.

[x] Fondation Carnegie pour la paix internationale, 2021.

[xi] Kessler, 2018.

[xii] Israel's Military Courts 'Humiliating Charade' for Palestinians", Jaclynn Ashly, Al Jazeera, 26 février 2018.

[xiii]  Fondation Carnegie pour la paix internationale, 2021.

[xiv] Délégation générale de la Palestine en Australie, 2018.

[xv] "Palestinian Prisoner and Martyr Payments explained," Israel Policy Forum, 2 avril 2021, https://israelpolicyforum.org/2021/04/02/palestinian-prisoner-and-martyr-payments-explained/.

[xvi] "Why the discourse about Palestinian payments to prisoners' families is distorted and misleading", Shibley Telhami, Brookings, 7 décembre 2020.

[xvii] ibid

[xviii] ibid

[xix] ibid

[xx] "Les paiements de l'AP aux prisonniers et aux familles de "martyrs" équivalent désormais à la moitié de son aide budgétaire étrangère", Dov Lieber, The Times of Israel, 21 juillet 2017.

[xxi] ibid

[xxii] Délégation générale de la Palestine en Australie, 2018.

[xxiii] ibid