Fiche-info 181, publiée en novembre 2013: Ce document décrit les phases majeures de l’immigration juive en Palestine. Il met particulièrement l’accent sur les effets du mouvement sioniste, l’immigration entre les deux guerres mondiales, et l’immigration ayant suivi la création de l’état moderne d’Israël.

L'immigration juive en Palestine historique

Série Fiche-info N.181, créée: Novembre 2013, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient
 
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181a.pngÀ quelle époque l’immigration juive a-t-elle débuté en Palestine historique ?

Une communauté ancienne : Il existait déjà une population juive indigène sous l’Empire ottoman et avant. Leurs membres se concentraient principalement dans les villes saintes de Jérusalem, Safed, Tibériade et Hébron. Néanmoins, la présence juive en Palestine, avant la création de l’État d’Israël, a fluctué dans le temps avec la formation et la disparition de différentes communautés[1]. Quoi qu’il en soit, en 1880, avant le début de l’immigration, environ 25 000 Juifs étaient profondément ancrés en Palestine depuis plusieurs générations.

Le début du sionisme et de l’immigration : Le début d‘une immigration juive moderne et axée sur la nationalité concorde avec la fondation du mouvement sioniste moderne. Traditionnellement, on situe la naissance du sionisme en tant que mouvement politique en 1882. De petits groupes juifs dispersés en Europe commencèrent à coopérer pour établir des colonies agricoles en Palestine historique. Ces groupes s’unirent officiellement pour la première fois en 1897, pour la première conférence sioniste à Bâle, en Suisse.

Les deux premières vagues d’immigration juive eurent donc lieu sous l’Empire ottoman. La première aliya[2], entre 1882 et 1903 amena 20 000 à 30 000 Russes qui fuyaient les pogroms en Russie tsariste. Entre 1903 et 1914, lors de la seconde aliya, 35 000 à 40 000 autres Russes, majoritairement des socialistes, s’établirent en Palestine[3]. Ces nouveaux arrivants furent très actifs dans la construction de Tel-Aviv. Ils fondèrent également des kibboutzim (des villages collectivistes).

Une immigration marginale : Cette immigration resta somme toute marginale en comparaison de la population Palestine et au regard des autres destinations choisies par les migrants. En effet, à la veille de la Première Guerre mondiale, les 80 000 Juifs de Palestine ne constituaient qu’un dixième de la population totale du pays. De plus, l’immigration juive sous l’Empire ottoman ne représentait que 3% de la migration transocéanique juive durant cette période. À titre de comparaison, sur les 2 367 000 Juifs qui quittèrent alors l’Europe, 2 022 000 d’entre eux s’établirent aux États-Unis[4].

Avec la Première Guerre mondiale, et la famine qui suivit, l'ensemble de la population de la Palestine diminua. La communauté juive ne comptait plus alors que 60 000 membres.

Pourquoi l’immigration juive a-t-elle augmenté après la 1ière Guerre mondiale?

Une plus forte immigration : Les troisième et quatrième aliyot amenèrent respectivement 35 000 Juifs d’URSS, de Pologne et des pays baltes entre 1919 et 1923 et 82 000 juifs des Balkans et du Proche-Orient entre 1924 et 1931[5]. À la fin de 1931, 174 600 Juifs vivaient en Palestine, soit 17 % de la population. Durant cette période, 15 % de la migration transocéanique juive s’orienta vers la Palestine[6]. Plusieurs raisons expliquent ce changement dans la migration.

Population de la Palestine, 1872-1948

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* Les pourcentages indiquent la proportion de la population juive dans la population totale

Sources : Scholch (1985) pour la population arabe entre 1872 et 1882, McCarthy (2001) pour la population arabe entre 1890 et 1948 et Gresh et Vidal (2011) pour les chiffres sur la population juive.

La Déclaration Balfour : À la fin de la Première Guerre mondiale, l’Empire ottoman fut disloqué et la Palestine tomba sous mandat britannique. La Grande-Bretagne était favorable à l’établissement d’un foyer national juif en Palestine. Dans une lettre rédigée en 1917, Lord Balfour exprimait cet accord, tout en garantissant « que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine ». La Déclaration Balfour donnait une base juridique à l’immigration juive et ainsi l’encouragea.

La montée de l’antisémitisme et du nazisme : La montée de l’antisémitisme un peu partout en Europe amena encore plus de juifs à émigrer. Parallèlement, l’Immigration Act de 1924 aux États-Unis ralentit grandement l’immigration en provenance de l’Europe en fixant de stricts quotas par pays. Diverses limitations à l’immigration étaient également instaurées en Europe. Cela explique en partie le choix de la Palestine par les migrants juifs. À partir de 1932, avec la victoire du nazisme en Allemagne et l’intensification de la persécution en Autriche et en Tchécoslovaquie, l’immigra-tion juive en Palestine augmenta drastiquement. Entre 1932 et 1939, la Palestine absorba 247 000 nouveaux arrivants[7], soit 46 % de l’immigration juive hors de l’Europe[8]. Dans le contexte politique européen, cette cinquième aliya représentait davantage une fuite qu’un « choix sioniste ».

Quelle était la politique britannique vis-à-vis de l’immigration juive?

La politique britannique vis-à-vis de l’immigration juive en Palestine évolua durant la période du mandat, tout comme la réponse des juifs européens à celle-ci.

Une politique favorable de 1919 à 1930 : Les Britanniques étaient favorables à l’établissement d’un foyer national juif en Palestine. Les premiers sionistes sous l’Empire ottoman avaient d’ailleurs pu s’établir dans le pays sous la protection des consulats étrangers, notamment britanniques. Or, avec la hausse de l’immigration durant les premières décennies du XXe siècle, les Palestiniens arabes commencèrent à faire pression sur la Grande-Bretagne, qui se retrouva prise entre deux feux politiques. À partir des années 1930, l’autorité britannique commença à délivrer un nombre de certificats d’immigration inférieur à la demande. Mais le véritable changement d’orientation se produisit en 1939.

Restrictions et criminalisation de l’immigration juive en Palestine à partir de 1939 : Dans une tentative de conciliation avec la population palestinienne, la Grande-Bretagne émit en 1939 un livre blanc restreignant l’immi-gration juive en Palestine à 75 000 personnes en cinq ans et limitant l’achat de terres par les juifs[9]. La création d’un État arabe indépendant dans les 10 ans était aussi prévue. Mais, cette politique ne freina pas réellement l’immigration juive puisqu'elle ouvrit la porte à l’immigration illégale, dans un contexte où la persécution des juifs en Europe ne faisait qu’augmenter. Jusqu’au début de la Deuxième Guerre mondiale, et même après, des dizaines de milliers d’immigrants juifs arrivèrent illégalement dans le pays. Malgré l’interception de quelques bateaux par les Anglais, de nombreux immigrants purent s’installer en Palestine.

Les immigrants avaient aussi trouvé comment s’établirent en Palestine, grâce aux failles du système britannique de régulation. Par exemple, les étudiants n’étant pas tenus d’avoir un certificat d’immigration pour étudier en Palestine, plusieurs se sont inscrits à l’université hébraïque de Jérusalem puis sont restés dans le pays. Certaines jeunes femmes sont entrées dans le pays en déclarant des mariages fictifs avec des Palestiniens. Ou encore, d’autres sont arrivés comme touristes et ne sont jamais repartis. Au final, entre 1939 et 1948, 118 228 Juifs atteignirent la Palestine, malgré les restrictions britanniques[10]. Après la guerre, la Grande-Bretagne incarcéra des milliers d'immigrants illégaux dans des camps de détention à Chypre[11]. Cette tentative pour contenir l’immigration échoua et fut reprochée à la Grande-Bretagne dans le contexte post holocauste.

L’immigration s’est-elle poursuivie après la création de l’État d’Israël?

Après la création de l'État d'Israël en 1948, toutes les limitations à l'immigration juive furent toutes levées, ce qui provoqua un afflux important de migrants et de personnes déplacées à la suite de la Deuxième Guerre mondiale. L'État d'Israël promulgua aussi la loi du retour selon laquelle tout Juif a le droit de venir s'établir en Israël. Les nouveaux arrivants provenaient de l'Europe, des pays du Proche-Orient et du Maghreb. Les juifs qui vivaient dans des pays arabes comme l’Iraq ont dû faire face à une opinion publique hostile d’abord à cause du conflit en Palestine puis en raison de la création d’Israël faite aux dépens des Arabes palestiniens. Devant l’hostilité des gouvernements arabes et les encouragements des agents et de représentants israéliens qui désiraient les voir venir en Israël, la majorité des juifs arabes, inquiets pour leur sécurité, ont choisi d’émigrer vers Israël. Tous ces facteurs ont contribué à la quasi-disparition des anciennes communautés juives au Proche-Orient et au Maghreb. L'immigration a fait un nouveau bond dans les années 1989-1990 en raison de la fin de l'Union soviétique et de l'ouverture des frontières des pays d'Europe de l'Est[12].

Aujourd'hui : Au total, l'État d'Israël aurait absorbé 3,1 millions d'immigrants depuis sa création, dont 1 million entre 1990 et 1999. L’État d’Israël a en effet fortement encouragé l’immigration juive afin de maintenir une population majoritairement juive, en dépit des taux de natalité élevés des Israéliens arabes. Aujourd'hui, cependant, il n’y a plus d’immigration à grande échelle, et de nombreux résidents quittent même le pays.



[1] Raz-Krakotzkin, Amnon. Exil et souveraineté. Judaïsme, sionisme et pensée binationale. Paris : La Fabrique Éditions, 2007. p.106.

[2] Le terme aliya désigne l’acte d’immigrer en Terre sainte pour les juifs. On l’utilise pour parler des différentes vagues d’immigration juives en Israël.

[3] Gresh, Alain et Dominique Vidal. Les 100 clés du Proche-Orient. Paris : Fayard, 2011, p.71.

[4] deVaumas, Étienne. 1954. « Les trois périodes de l’émigration juive en Palestine ». Annales de Géographie. Vol. 63, no. 335, p.71.

[5] Gresh, Alain et Dominique Vidal. Ibid.

[6] deVaumas, Étienne. Ibid.

[7] Gresh, Alain et Dominique Vidal. Ibid., p.72.

[8] deVaumas, Étienne. Ibid.

[9] Gresh, Alain et Dominique Vidal. Ibid. , p.520.

[10] Gresh, Alain et Dominique Vidal, Ibid., p.72.

[11] Encyclopédie multimédia de la Shoah. La crise des réfugiés après la guerre et la création de l’État d’Israël. [En ligne]. http://www.ushmm.org/wlc/fr/article.php?ModuleId=207 (page consultée le 29 mai 2013).

[12] Institut de recherche sur la coopération méditerranéenne et euro-arabe. Immigration juive en Israël et dans les territoires occupés. [En ligne]. http://www.medea.be/fr/themes/conflit-israelo-arabe/immigration-juive-en-israel-et-dans-les-territoires-occupes/ (page consultée le 28 mai 2013).

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