Le projet de loi C-47 et la ratification du Traité sur le commerce des armes par le Canada - Les inquiétudes et les recommandations de la société civile

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Du mois de mai à octobre 2017, CJPMO a travaillé avec d'autres groupes pour le désarmement du Canada pour formuler une critique du projet de loi C-47 du gouvernement.

Ce document est une soumission conjointe de CJPMO et de ses partenaires de la société civile.

 

 

 

 Le 13 avril 2017, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland a déposé au Parlement le projet de loi C-47 intitulé Loi modifiant la Loi sur les licences d'exportation et d'importation et le Code criminel (modifications permettant l'adhésion au Traité sur le commerce des armes et autres modifications). Selon Affaires internationales Canada, le projet de loi vise à “rehausser la transparence des exportations canadiennes contrôlées et la reddition de comptes relative à celles-ci” et à permettre au Canada de “se conformer entièrement au Traité [sur le commerce des armes]”.

Nos organisations ont milité vigoureusement pour que le Canada prenne une mesure importante en adhérant au traité historique sur le commerce des armes et accueillent donc favorablement les intentions du gouvernement en ce sens. Nous souhaitons collaborer avec le gouvernement pour veiller à ce que les réformes juridiques et de politiques mises en œuvre au Canada soient conformes aux obligations que nous assumerons en vertu de ce traité historique sur le commerce des armes. 

C’est dans cet esprit qu’une coalition d’organisations canadiennes – des domaines de la défense des droits de la personne, des politiques de sécurité et du développement – représentées par les soussignés — souhaite attirer l’attention de la ministre des Affaires étrangères, du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, et d’autres parlementaires et représentants gouvernementaux, sur des sources de grande préoccupation au sujet du projet de loi C-47. 

Bref, nous considérons que le projet de loi ne parvient pas à harmoniser la position du Canada aux objectifs, attentes et obligations particulières du Traité sur le commerce des armes (TCA). Tel qu’il est rédigé, le projet de loi C-47 exige d’importantes révisions pour préparer efficacement le Canada à se conformer pleinement au TCA.

Bien que nous soutenions en principe l’adhésion du Canada à ce traité historique, nous ne pouvons pas soutenir le projet de loi C-47 sous sa forme actuelle. 

Nos principales préoccupations sont décrites ci-dessous.

 

1. La majeure partie des exportations militaires canadiennes ne seront toujours pas réglementées.

Ni la Loi sur les licences d'exportation et d'importation (LLEI) actuelle ni son amendement en vertu du projet de loi C-47 ne font référence à l’Accord sur le partage du développement industriel pour la défense qui, depuis les années 1950, a exempté les exportations militaires canadiennes aux États-Unis de l’autorisation gouvernementale exigée pour d’autres exportations d’armes. De plus, étant donné que les documents des Affaires internationales, diffusés avec le dépôt du projet de loi C-47, ont soulevé des questions de réglementation sans mentionner les États-Unis, il est raisonnable de présumer que le gouvernement n’a pas l’intention de mettre un terme à l’exemption des exportations dont la valeur excède la valeur combinées des exportations d’armes à tous les autres pays. Cette immense brèche dans l’autorisation des exportations militaires canadiennes représente l’exigence du TCA la plus déterminante qui demeurera lettre morte dans le projet de loi C-47 ou autres instruments de réglementation qui pourraient suivre. L’exemption viole le premier article du Traité qui stipule que  “le but de ce Traité est d’établir les normes internationales communes les plus rigoureuses pour réglementer… le commerce international des armes classiques.” Il viole aussi l’Article 2 (Portée) et l’Article 5 (Mise en œuvre générale), deux articles primordiaux du Traité. L’Article 2 stipule que “ce Traité s’appliquera à toutes les armes classiques incluses dans les catégories [du Traité]” et l’Article 5 stipule que “chaque État partie mettra en œuvre ce Traité d’une manière systématique, objective et non discriminatoire”.

 

2. La majeure partie des exportations militaires canadiennes ne seront toujours pas signalées.

À cause de l’exemption visant les exportations aux États-Unis, depuis sa mise en place en 1991, tous les rapports sur l’exportation de marchandises militaires ont omis les données sur les exportations militaires destinées aux États-Unis. Cette omission discrédite l’engagement annoncé du gouvernement de rehausser la transparence du Canada et constitue un non-respect des exigences de divulgation du TCA. Rien dans le projet de loi C-47 ou dans la documentation d’information fournie par Affaires mondiales Canada ne suggère que le gouvernement a l’intention de combler cette lacune majeure. De nouveau, cette omission de divulgation constituera une violation de l’objectif du Traité en vue d’établir les normes internationales communes les plus rigoureuses.

 

3. Les exportations militaires par le ministère de la Défense nationale seront réglementées par un processus distinct.

Le ministère de la Défense nationale, en tant qu’organisme de la Couronne, n’est pas tenu de se soumettre à la LLEI. Puisque la Couronne est tenue de respecter le droit international, à la suite de la ratification du Traité, le Ministère sera tenu de respecter le TCA au moment d’exporter de l’équipement militaire à titre de ventes des surplus de l'armée ou d’aide. Lorsqu’on a demandé pourquoi le projet de loi C-47 ne comprenait pas les obligations du Ministère, les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ont expliqué que le Ministère se conformera aux normes du Traité par des procédures – dont des évaluations des risques – distinctes des mécanismes de contrôle des exportations d’Affaires mondiales Canada. Le processus double est donc une invitation à créer des normes et des résultats différents et possiblement contradictoires. Dans le passé, le Ministère a livré de l’équipement en contrevenant à la LLEI. Par exemple, le Ministère a fourni 2 500 fusils d’assaut en surplus à l’armée afghane en 2008 malgré l’absence de l’Afghanistan de la Liste des pays désignés (armes automatiques) de la LLEI, la liste des seuls pays éligibles à recevoir des armes à feu automatiques du Canada.

 

4. Le rôle majeur de la Corporation commerciale canadienne demeure inchangé et est passé sous silence.

La Corporation commerciale canadienne (CCC) est une société de la Couronne qui joue un rôle central dans l’exportation des marchandises militaires canadiennes, surtout aux États-Unis. Les conditions de l’Accord sur le partage du développement industriel pour la défense obligent la CCC à servir de fournisseur principal pour les contrats du ministère de la Défense des États-Unis au-delà d’un certain seuil, actuellement établi à 150 000 dollars américains. La CCC gère aussi les exportations d’armes vers d’autres pays, dont les contrats récents, d’une valeur record, de vente de véhicules blindés légers à l’Arabie Saoudite. La responsabilité du gouvernement et sa supervision par la CCC devraient être explicitées dans la LLEI ainsi que les changements de procédure de la CCC afin que ses opérations respectent les obligations du TCA.

L’actualité récente suggère que la CCC ne respecte peut-être même pas les règles actuelles de la LLEI. Par exemple, les médias ont rapporté que lorsque le contrat sans précédent relatif aux véhicules blindés légers avec General Dynamics Land Systems Canada a été annoncé en février 2014, Affaires mondiales Canada n’avait ni autorisé ni délivré les licences d’exportation nécessaires pour l’envoi des véhicules. Ces expéditions n’ont été formellement approuvées par le ministre des Affaires étrangères de l’époque Stéphane Dion qu’au mois d’avril 2016. Le long délai entre la signature du contrat de la CCC et l’autorisation pour l’exportation a mis au jour une lacune majeure, problématique et potentiellement coûteuse dans les mécanismes de contrôle des exportations canadiennes qui doit être corrigée.

 

5. Le projet de loi C-47 ne modifie pas les pouvoirs d’exemption du Cabinet qui pourraient miner les obligations imposées par le Traité.

La partie de la réglementation de la LLEI – incluant le volet de la loi amendé en vertu du projet de loi C-47 — accorde des pouvoirs considérables au Cabinet, particulièrement le pouvoir d’exempter toute personne, organisation, technologie ou marchandise des dispositions de la Loi. Sans limites strictes à ces exemptions, cela pourrait devenir une échappatoire nuisant à la mise en œuvre entière et uniforme du TCA.

Les inconnues en matière de réglementation

Le gouvernement a indiqué que certaines modifications aux mécanismes de contrôle des exportations nécessaires pour que le Canada adhère au Traité sur le commerce des armes seront formulées à titre de règlements suivant la sanction royale du projet de loi C-47. Cela signifie que de nombreux détails concernant la mise en œuvre par le Canada d’obligations capitales du Traité ne seront pas connus tandis que le Parlement étudie le projet de loi C-47 et en débat. Parmi les questions et les préoccupations particulières portant sur ce processus indéterminé, se trouvent :

 

6. Quelles seront les normes et les procédures adoptées par le Canada pour autoriser les exportations d’armes ?

Dans les documents d’information accompagnant le dépôt du projet de loi C-47, le gouvernement déclare que “le projet de loi formalise ce processus de reddition de comptes [basé sur les exigences d’évaluation des exportations de l’Article 7 du TCA] en établissant une nouvelle obligation juridique pour la ministre des Affaires étrangères. Les facteurs que la ministre doit prendre en compte, en vertu du TCA, seront énumérés dans un nouveau règlement qui sera mis en vigueur suivant la sanction royale.” Le problème est que, avant la présentation du règlement, les parlementaires et les observateurs ne pourront pas juger du respect de l’engagement du gouvernement. Et puisque l’Article 7 comprend certaines des obligations les plus importantes du Traité, le gouvernement doit prouver qu’il les respecte à la lettre.

 

7. Comment le Canada respectera-t-il les obligations du TCA concernant les interdictions, tels que les embargos sur les armes des Nations Unies ?

Les interdictions du TCA sont des obligations contraignantes qui ne sont pas soumises à l’évaluation ou à la révision. Pourtant, ni la partie actuelle de la LLEI sur les “interdictions”, ni les modifications prévues en vertu du projet de loi C-47, ne mentionnent l’Article 6 du Traité, l’article principal qui définit les prohibitions. Celles-ci incluent les transferts d’armes classiques qui violeraient les sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies, “en particulier les embargos sur les armes”. La Loi sur les Nations Unies administre les obligations canadiennes quant aux sanctions imposées par les Nations Unies, mais on ne retrouve aucune mention de la Loi sur les Nations Unies dans la LLEI ou dans le projet de loi C-47.

Également, le TCA interdit les transferts d’armes qui “violeraient les obligations internationales pertinentes [d’un État partie] en vertu des accords internationaux auxquels il adhère, en particulier celles qui concernent le transfert ou le trafic illicite d’armes classiques.”

Parmi les accords du Canada qui sont pertinents, mentionnons la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnelles (“Convention d’Ottawa”), la Convention sur les armes à sous-munitions, le Protocole des Nations Unies sur les armes à feu et la Convention interaméricaine contre la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu (CIFTA). À l’heure actuelle, aucun de ces accords internationaux n’apparaît dans la LLEI, même si la loi fait référence à plusieurs traités commerciaux multilatéraux et bilatéraux. Il n’est même pas clair si ou comment le Canada gérera les obligations en fait d’interdiction par le règlement proposé.

8. Quelles mesures concrètes le Canada adoptera-t-il pour prévenir le détournement de ses exportations militaires ?

Le détournement des armes vers des utilisateurs finaux non autorisés ou pour des emplois non autorisés est une préoccupation universelle, suffisamment importante pour faire l’objet d’un article distinct (l’Article 11) dans le TCA. Pourtant, tout comme pour les interdictions, les deux paragraphes de la LLEI qui font référence au détournement ne mentionnent pas les dispositions du TCA, et le projet de loi C-47 ne contient aucun amendement pour changer cette situation. Le Traité oblige chaque État partie à évaluer le risque de détournement ainsi qu’à adopter d’autres mesures pour réduire et prévenir le détournement. Bien que le Canada considère actuellement “la possibilité d’inclure le transfert ou le détournement non autorisé” dans son processus de contrôle des exportations, le détournement ne constitue pas pour l’instant un des critères de “contrôle étroit”.

Est-ce que les règlements futurs définiront les mesures formelles que le Canada doit adopter pour respecter les obligations du Traité concernant le détournement des armes ?

9. Comment le Canada respectera-t-il les normes de divulgation du Traité et les fera-t-il progresser ?

Le projet de loi C-47 prévoit une modification bienvenue à la partie “rapport au Parlement” de la LLEI, qui exige de la ministre qu’elle fournisse un rapport au Parlement sur l’exportation des marchandises militaires de l’année précédente au 31 mai de chaque année. Néanmoins, la modification ne dit rien sur la divulgation relative aux importations (aussi exigée par le TCA) ou sur les détails que le rapport parlementaire fournira. Il semble probable que le rapport annuel sur les exportations sera basé sur les normes de divulgation que le gouvernement utilise depuis 1990, mais il y a au moins deux raisons pour lesquelles ces normes doivent être soumises au droit de regard du Parlement et du public. Premièrement, les normes de divulgation et de transparence des rapports précédents ont énormément varié au fil des ans, parfois de manière apparemment arbitraire. Deuxièmement, s’ils sont bien gérés, les rapports sur les exportations canadiennes devraient contribuer aux “normes internationales communes les plus rigoureuses” en vertu du TCA. Des normes exemplaires comprendraient, par exemple, la divulgation par le Canada des détails sur les autorisations (les licences d’exportation) et les exportations effectuées, qui sont à l’heure actuelle des options de divulgation en vertu du Traité.

10. En quoi consisteront au juste les règlements bienvenus sur le courtage ?

Les courtiers en armement organisent et facilitent les  transactions de transfert d’armes entre les vendeurs et les acheteurs. Problème transnational s’il en est un, on s’accorde pour affirmer que le courtage illégal d’armes, en particulier d’armes légères et de petit calibre, contribue de manière importante aux crimes et aux conflits dans le monde et aux violations graves du droit international humanitaire et relatif aux droits de la personne. Le projet de loi C-47 modifiera la LLEI afin d’inclure le courtage et les contrôles du courtage pour remplir les obligations du TCA (Article 10) qui concernent le courtage. Ces dernières incluent l’application extraterritoriale explicite de la LLEI aux citoyens canadiens, aux résidents permanents et aux organisations incorporées au Canada. Alors que le projet de loi C-47 modifie la LLEI afin d’inclure le courtage dans les mécanismes de vérification des exportations, des détails importants devront attendre une réglementation future. Par exemple, le projet de loi C-47 comprend une nouvelle “Liste de contrôle du courtage” qui énumère des articles définis uniquement comme “tout article inclus dans la Liste des marchandises d’exportation contrôlée” dont le courtage doit être contrôlé si le gouverneur en conseil le juge nécessaire.

 

Amnistie internationale Canada francophone

Amnesty International Canada (section anglophone)

Les Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient (CJPMO)

Group of 78

Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne, Université d’Ottawa

Oxfam Canada

Projet Ploughshares

L’Institut Rideau

Le Mouvement fédéraliste mondial-Canada