Montréal, le 15 octobre 2023 — Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient (CJPMO) exprime sa profonde inquiétude quant à l'incohérence de la couverture médiatique de la guerre Gaza-Israël depuis le 7 octobre 2023. CJPMO a suivi de près les reportages des médias canadiens au cours de la semaine écoulée et est consciente des nombreux cas où la couverture médiatique n'a pas été cohérente et n'a pas respecté les normes journalistiques professionnelles. CJPMO formule les critiques suivantes sur la réaction des médias au cours de la semaine écoulée, ainsi que des recommandations pour la couverture future :
Lignes directrices à l'intention des journalistes
Faites preuve de sensibilité lorsque vous interviewez des Palestiniens directement touchés par le conflit. CJPMO a été contactée par de nombreux membres des médias à la recherche de personnes touchées par la guerre. CJPMO a travaillé dur pour mettre les médias en contact avec des membres de la communauté palestinienne, tant au Canada qu'en Palestine. CJPMO comprend l'urgence et l'importance de ces demandes, mais suggère aux médias de faire preuve d'une plus grande sensibilité :
- Soyez conscient de l'anxiété de la communauté. Les médias doivent comprendre qu'ils s'adressent à des personnes déjà angoissées par la situation. Tout d'abord, compte tenu de la montée du racisme anti-palestinien exprimé par la classe politique canadienne, de nombreux Palestiniens nous ont dit qu'ils avaient peur d'être cités ou d'apparaître dans une émission, de crainte d'être diabolisés ou mal cités et de subir ainsi des répercussions dans leur vie personnelle ou professionnelle. Deuxièmement, les médias doivent être très sensibles à l'état émotionnel des Canadiens d'origine palestinienne. Certains peuvent avoir vécu récemment le décès d'un membre de leur famille ou être tout simplement trop anxieux pour « sauter sur l'occasion » lorsque les médias les sollicitent. Faites preuve d'une sensibilité appropriée.
- Ne forcez pas les Canadiens d'origine palestinienne à répondre pour le Hamas. Lorsqu'Israël commet des atrocités à Gaza, il n'est pas demandé au Canadien juif moyen de condamner les actions d'Israël ou d'en répondre. Il s'agit d'un faux « litmus test » pour déterminer si l'on se soucie de l'humanité ou si l'on soutient le terrorisme. La plupart des Palestiniens soutiennent le principe de la résistance à l'occupation militaire mais rejettent la violence contre les civils. Ils ne devraient pas être contraints d'expliquer ou de défendre le Hamas dans une interview, en particulier comme condition préalable pour parler de la violence à laquelle leur propre communauté est confrontée.
- Ne déformez pas les commentaires des Canadiens d'origine palestinienne et ne les rendez pas sensationnels. De nombreux Palestiniens se sentent manipulés lorsqu'ils partagent soigneusement leur point de vue et que celui-ci est grossièrement déformé par le montage. Beaucoup se sentent trahis lorsqu'ils expliquent le contexte sous-jacent et les griefs du peuple palestinien, mais cela est supprimé de l'interview au moment de la publication. CJPMO connaît plusieurs Canadiens d'origine palestinienne qui en ont tellement assez de voir leurs commentaires « nettoyés » qu'ils ont choisi de boycotter les interviews dans les médias. D'autres fois, un extrait de leur commentaire est sorti de son contexte pour les faire paraître, d'une part, excessivement consentants ou passifs, ou d'autre part, extrêmes ou déraisonnables.
Respectez les directives fournies par les associations de journalistes du Moyen-Orient. Le 7 octobre, l'Association des journalistes arabes et du Moyen-Orient (AMEJA) a mis à jour les lignes directrices existantes sur la couverture de la Palestine-Israël. Les recommandations les plus pertinentes sont les suivantes 1) intégrer le contexte plus large des relations israélo-palestiniennes, 2) reconnaître le déséquilibre des pouvoirs et éviter de présenter les deux camps, 3) vérifier deux fois les sources « officielles » et 4) être précis dans la description des victimes. Une autre ressource importante est le document de l'Institut international de la presse intitulé « Use with Care : A Reporter's Glossary of Loaded Language in the Israeli-Palestinian Conflict ». Sur ces points :
- CJPMO a observé que les médias canadiens omettent presque universellement de mentionner les réalités sous-jacentes de l'occupation militaire belligérante des territoires palestiniens par Israël, du blocus de Gaza par Israël et l'Égypte qui dure depuis près de 17 ans, et du fait que de nombreuses organisations de défense des droits de l'homme ont accusé Israël de pratiquer l'apartheid à l'encontre des Palestiniens. Par exemple, un reportage de la CBC du 7 octobre n'a pas mis en contexte l'occupation israélienne, même après que des responsables du Hamas et de l'Arabie saoudite aient été cités dans l'article comme citant l'occupation israélienne comme étant le principal problème sous-jacent.
- CJPMO a remarqué que les médias canadiens sont souvent explicites au sujet des victimes israéliennes, mais ambigus lorsqu'il s'agit de victimes palestiniennes ou autres. Par exemple, un article de CTV News du 13 octobre mentionne que le Hamas a « tué plus de 1 300 Israéliens au cours d'un déchaînement brutal », puis précise que « la guerre a fait au moins 2 800 morts des deux côtés », sans jamais mentionner explicitement les Palestiniens tués par Israël. Un très long article paru le 14 octobre dans le Globe and Mail au sujet d'un journaliste tué ne mentionne pas une seule fois que c'est l'armée israélienne qui a perpétré l'assassinat. Les médias canadiens ont été très explicites au sujet des enfants victimes d'Israël, mais sont toujours négligents lorsqu'il s'agit de signaler les décès d'enfants palestiniens. Defence for Children International - Palestine (DCIP) est une excellente source d'informations vérifiées sur les enfants palestiniens tués.
- CJPMO a également remarqué que les médias canadiens ont tendance à répéter les affirmations du gouvernement israélien comme des faits, sans vérification indépendante. Un exemple clé est l'histoire des « bébés décapités », qui est toujours citée par les médias canadiens malgré l'absence de toute vérification. Les faits relatifs à la violence horrible et injustifiée du Hamas à l'encontre des civils israéliens sont suffisamment flagrants en eux-mêmes sans que la désinformation ne vienne en fausser les détails. Autre exemple, sur une période de 28 heures en juillet, CJPMO a documenté neuf cas où les médias de la CBC ont repris le langage militaire israélien décrivant les militants palestiniens en Cisjordanie comme des « terroristes », même si les Palestiniens en question étaient loin des civils israéliens et n'étaient pas impliqués dans des actes de terreur.
Les radiodiffuseurs doivent respecter le Guide de la représentation équitable de l'Association canadienne des radiodiffuseurs, qui fournit des conseils très opportuns aux médias qui couvrent la guerre entre Gaza et Israël. Entre autres concepts, le guide met l'accent sur les préceptes relatifs à la « représentation équitable », aux « droits de l'homme » et à la « représentation négative ». De nombreux radiodiffuseurs ont permis à des personnalités pro-israéliennes de déblatérer à l'antenne sur le mal supposé inhérent aux Palestiniens, ce qui constitue une violation du précepte du guide relatif aux « droits de l'homme », qui stipule ce qui suit : « Les radiodiffuseurs doivent veiller à ce que leur programmation ne contienne pas de matériel ou de commentaires abusifs ou indûment discriminatoires fondés sur des questions de race, d'origine nationale ou ethnique. »
Les radiodiffuseurs devraient contextualiser leurs reportages en y intégrant les points de vue d'experts en droits de l'homme. Le droit international est essentiel à la compréhension de nombreux aspects de la violence entre Gaza et Israël. Le Comité international de la Croix-Rouge est l'autorité internationalement reconnue en la matière, tandis que divers organes de l'ONU (CPI, CIJ, Commission d'enquête de l'ONU, Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU, etc.) Les réalités juridiques de ces situations devraient être intégrées de manière claire et cohérente dans la couverture médiatique. Voici quelques-uns des points qu'il convient d'inclure dans la couverture médiatique :
- Les belligérants d'un conflit doivent faire la distinction entre les civils et les combattants. L'absence de distinction entre civils et combattants équivaut à une punition collective, un crime de guerre en vertu du droit international.
- Toute réponse militaire à une agression doit être proportionnelle à la provocation.
- Les belligérants d'un conflit doivent permettre aux civils d'obtenir de la nourriture et des médicaments.
- Les civils doivent être autorisés à fuir la zone de conflit et à y retourner. Les puissances occupantes ne sont pas autorisées à utiliser la coercition pour forcer les gens à quitter le territoire occupé.
- La résistance armée est légale en vertu du droit international, bien qu'elle doive également faire la distinction entre les civils et les combattants.
- La prise d'otages pendant un conflit armé est illégale.
Les commentaires et les opinions doivent être vérifiés et contrôlés pour éviter le racisme et l'incitation à la violence. Si les articles d'opinion et les commentaires bénéficient d'une grande marge de manœuvre, ils ne doivent toutefois pas contenir de faussetés littérales ni inciter à la violence. Bien que cela puisse être difficile à vérifier, les médias sont tenus de s'assurer que les affirmations factuelles contenues dans les articles d'opinion sont vraies. Si un invité à une émission tient des propos explicitement racistes ou incitant à la violence, le média est responsable. Dans le contexte des bombardements aveugles et du siège de la population civile de Gaza par Israël, les points de vue qui justifient une réponse militaire sans retenue reviennent à inciter Israël à la violence contre une population civile captive. Vous trouverez sur le site The Maple un résumé des commentaires des médias canadiens qui ont peut-être « dépassé les bornes ». Parmi les commentaires les plus problématiques, citons :
- Terry Glavin, chroniqueur au Ottawa Citizen et au National Post, qui a écrit : « [I]l est extrêmement difficile de voir quelles sont les options qui s'offrent à Israël [concernant le « problème palestinien »], si ce n'est de [...] le réduire en miettes ».
- Le comité éditorial du Globe and Mail écrit : « Israël a le droit de se défendre, même si l'exercice de ce droit entraîne des pertes civiles collatérales. »
- Barbara Kay, chroniqueuse au National Post, qui a écrit : « Israël ne veut pas nettoyer ethniquement Gaza. Israël a *besoin* de nettoyer Gaza du Hamas pour mettre fin à son action génocidaire ».
- Warren Kinsella, chroniqueur au Postmedia, qui a écrit : « [Israël] doit entrer dans Gaza et chasser le Hamas et ses semblables dans la mer. Il doit les effacer de la surface de la Terre. Il ne doit faire preuve d'aucune pitié ».
L'équipe de CJPME chargée de la responsabilité des médias suit de près la couverture médiatique de ces questions depuis le lancement du projet au début de l'année. Les journalistes sont invités à contacter CJPME pour obtenir des éclaircissements, des ressources et des lignes directrices supplémentaires, ou pour discuter plus avant de l'une ou l'autre de ces questions.