Soumission de CJPMO à l'initiative du député Matthew Green sur le projet de loi sur la Nakba, rédigée par Lena El-Malak, PhD, LLM ; Nadia Abu-Zahra, PhD ; Michael Bueckert, PhD ; et Alex Paterson, MA. La soumission comprend des recommandations sur la façon dont le gouvernement canadien peut reconnaître cette injustice historique, ainsi que son propre rôle dans le nettoyage ethnique des Palestiniens, et prendre des mesures pour lutter contre la complicité canadienne dans les politiques israéliennes actuelles d'effacement, de déplacement et de dépossession.
Publié en avril 2024
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L'année dernière a marqué le 75e anniversaire de la Nakba palestinienne (« catastrophe » en arabe), au cours de laquelle au moins 700 000 Palestiniens ont été intentionnellement et de force expulsés de leurs maisons par les milices sionistes lors de la création violente d'Israël[i]. À la suite de ces déplacements massifs, Israël a démoli plus de 400 villages palestiniens et a promulgué des lois visant à exproprier les réfugiés de leurs biens et à leur interdire de rentrer chez eux. Il en est résulté la plus longue crise de réfugiés au monde, avec 5,9 millions de réfugiés palestiniens actuellement enregistrés auprès de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) [ii]. Dans la période qui a précédé la déclaration unilatérale d'indépendance d'Israël et la mise en œuvre du Plan Dalet, les responsables canadiens ont joué un rôle de premier plan dans l'élaboration du plan de l'ONU visant à partitionner par la force le mandat britannique de la Palestine et ont participé à la création des conditions politiques qui ont permis le succès et la légitimité du vol de terres par le mouvement sioniste[iii].
CJPMO salue l'initiative du député Matthew Green concernant le projet de loi sur la Nakba, car nous pensons qu'il offre au Canada l'occasion de reconnaître enfin cette injustice historique, ainsi que son propre rôle dans le nettoyage ethnique des Palestiniens, et de prendre des mesures pour lutter contre la complicité du Canada dans les politiques israéliennes actuelles d'effacement, de déplacement et de dépossession. La clé de cette initiative doit être la reconnaissance et la promotion du droit non réalisé et inaliénable des réfugiés palestiniens à retourner dans leurs foyers, ainsi que de leurs droits à la restitution et à l'indemnisation, tels qu'ils sont consacrés par le droit international.
Il n'a jamais été aussi important de revenir aux questions fondamentales qui sont au cœur de la crise actuelle. Nous écrivons ce document plus de six mois après l'assaut génocidaire d'Israël sur Gaza, alors que les ministres israéliens mettent en œuvre une « seconde Nakba » contre les Palestiniens de Gaza[iv]. Israël est à l'origine du déplacement massif de près de deux millions de personnes à Gaza (dont les deux tiers étaient déjà des réfugiés[v]), avec des preuves qu'Israël veut pousser la population en Égypte[vi] ; et la Cour internationale de justice (CIJ) a affirmé que les actions d'Israël à Gaza pourraient vraisemblablement être assimilées à un génocide[vii]. En Cisjordanie, les colons et les soldats israéliens ont forcé le dépeuplement de 16 communautés palestiniennes au cours de la même période, tout en annonçant la plus grande expropriation de terres palestiniennes depuis l'accord d'Oslo[viii] de 1993. Il n'y a aucun espoir de résolution sans comprendre et traiter le soutien du Canada à l'idéologie coloniale israélienne de dépossession, de déplacement et de nettoyage ethnique sur laquelle repose l'existence d'Israël.
CJPMO soumet les recommandations suivantes, qu'elle espère voir incluses dans le projet de loi sur la Nakba. Elles sont organisées en deux sections, basées sur des considérations aux niveaux national et international.
Recommandations pour la politique intérieure
1. Le Canada doit reconnaître officiellement la Nakba et son rôle dans la partition du mandat de la Palestine.
A) Le Canada doit reconnaître que la Nakba se poursuit et qu'elle est enracinée dans l'idéologie coloniale du sionisme. Le Canada doit également reconnaître que le sionisme présente des similitudes avec l'histoire et les idéologies politiques des colons canadiens.
B) Le Canada doit reconnaître que la Nakba est le nettoyage ethnique et l'effacement du peuple palestinien. Elle se manifeste donc également par la négation de l'identité, du patrimoine culturel et de l'histoire palestiniens.
Le gouvernement canadien n'a jamais reconnu officiellement la Nakba. Lorsque les Nations unies ont organisé les premiers événements officiels de commémoration de la Nakba en 2023, le Canada les a « boycottés » sans explication[ix]. Le Canada n'a pas non plus cherché à faire amende honorable pour son rôle dans la partition de la Palestine mandataire, qui a entériné le découpage injuste du territoire sans se soucier de la population autochtone palestinienne qui y vivait. Au lieu de cela, le Canada publie chaque année des déclarations qui reproduisent les récits israéliens, entérinant une histoire mythifiée de « l'indépendance » israélienne qui efface ou justifie la dépossession des Palestiniens. Si le Canada affirmait l'expérience historique du peuple palestinien et les similitudes avec l'expérience autochtone du colonialisme au Canada, cela permettrait de mieux informer une approche de la politique canadienne axée sur la justice.
2. Le Canada doit reconnaître que le déni de la Nakba est une forme de racisme anti-palestinien et qu'il a un impact direct sur le droit des Canadiens à la liberté d'expression et à la liberté académique.
L'Arab Canadian Lawyers Association (ACLA) considère le déni de la Nakba comme une forme de racisme anti-palestinien[x]. Malheureusement, il s'agit d'une pratique raciste très répandue au Canada. Au cours des derniers mois, des ministres du gouvernement provincial ont diffusé des tropes racistes et coloniaux pour justifier le déplacement des Palestiniens[xi] et ont cherché à exclure la Nakba des calendriers sociaux des écoles[xii]. En outre, la discussion sur le rôle historique du sionisme politique en Palestine est souvent réduite au silence ou considérée comme controversée, voire antisémite, même si les actions et les idéologies du mouvement sioniste rappellent le propre projet colonialiste du Canada. Les déclarations qui assimilent le droit légitime au retour des réfugiés palestiniens à l'anéantissement des Israéliens sont également utilisées pour diaboliser les réfugiés et mettre en doute la légitimité de leurs revendications sur leurs terres ancestrales. Soutenir les droits des réfugiés palestiniens et reconnaître que le déni de la Nakba - et le déni de l'identité palestinienne et de l'indigénéité de la terre de Palestine - constituent du racisme, aiderait les Canadiens à résister à la censure et aux attaques contre leur identité et leur expression politique.
Recommandations pour la politique internationale
3. La Nakba se poursuit et le Canada doit jouer un rôle pour l'arrêter et en inverser les conséquences. Pour ce faire, il doit faire pression sur Israël pour qu'il change de cap en mettant en œuvre des boycotts, des désinvestissements et des sanctions.
Les politiques israéliennes de dépossession visant les Palestiniens comprennent, entre autres, l'expansion et l'annexion de colonies, la démolition de maisons, le déplacement de communautés bédouines et autres, des politiques de planification discriminatoires et d'apartheid, et la révocation de la citoyenneté[xiii]. L'ensemble de ces politiques reflète une Nakba permanente, Israël utilisant tous les moyens disponibles pour déraciner les Palestiniens de leurs terres et accroître illégalement son contrôle colonial sur le territoire palestinien. L'échec de la politique canadienne au cours des décennies passées à stopper ce processus d'annexion montre qu'une pression significative, plutôt qu'un soutien inconditionnel, est nécessaire pour changer le comportement d'Israël. La société civile palestinienne a appelé la communauté internationale à adopter des tactiques de pression économique telles que le boycott, le désinvestissement et les sanctions à l'encontre d'Israël comme moyen non violent de lutter pour l'autodétermination palestinienne et les droits de la personne, à l'instar du mouvement anti-apartheid sud-africain. [xiv]
4. Le Canada doit voter en faveur des résolutions de l'AGNU réaffirmant le droit au retour des réfugiés palestiniens. Il doit également prendre des mesures concrètes pour faciliter l'exercice du droit au retour des réfugiés palestiniens, par exemple en plaidant en faveur de ce droit dans le cadre de tout règlement négocié futur. Ce droit est inaliénable et est détenu à la fois par les réfugiés de la première génération et par leurs descendants.
Les réfugiés palestiniens ont le droit fondamental et légal de rentrer chez eux, comme le stipulent la Déclaration universelle des droits de la personne[xv] et la résolution 194 (1948) des Nations unies[xvi]. Ce droit est inaliénable. Cependant, le Canada reste silencieux sur ce droit, tout en votant contre de multiples résolutions de l'AGNU qui affirmeraient les droits des réfugiés. [xvii]
5. Le Canada doit insister sur le droit au retour, à la restitution et à l'indemnisation des réfugiés palestiniens, conformément à la résolution 194 de l'Assemblée générale des Nations unies et aux principes généraux du droit international des droits de la personne et du droit des réfugiés, et reconnaître que ces droits sont distincts, qu'ils ne s'excluent pas mutuellement et qu'ils ne doivent pas être opposés l'un à l'autre.
Chaque année, des centaines de milliers de réfugiés sont rapatriés volontairement dans leur pays d'origine à travers le monde.[xviii]. Si le rapatriement volontaire est la solution privilégiée pour tous les groupes de réfugiés, ce n'est que dans le cas des réfugiés palestiniens qu'il est refusé par les lois et politiques discriminatoires d'Israël, qui ont conduit à une situation de réfugiés prolongée qui dure depuis des décennies. Alors qu'Israël facilite le « retour » des Juifs du monde entier sur une terre où ils ne sont jamais allés et avec laquelle ils n'ont aucun lien ancestral direct, Israël continue de refuser aux réfugiés palestiniens (y compris les descendants des survivants de la Nakba) le droit de retourner sur une terre où eux ou leurs ancêtres ont vécu pendant des générations avant la Nakba.
6. Le Canada doit augmenter le financement de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et s'abstenir de s'associer à toute campagne menée par Israël ou les États-Unis pour discréditer l'Office ou interférer avec ses activités et son mandat.
En 2016, le Canada a rétabli son financement annuel à l'UNRWA, annulant les coupes précédentes. Cependant, depuis plusieurs années, l'UNRWA est confronté à une grave crise financière qui menace régulièrement sa capacité à payer ses employés ou à fournir des services de base, notamment dans les domaines de la santé et de l'éducation. Au lieu de répondre de manière adéquate à cette crise, les derniers engagements annuels du Canada envers l'UNRWA ont représenté une réduction de 5 millions de dollars par an[xix]. Pour ne rien arranger, le Canada a pris la décision politique irréfléchie de suspendre le financement de l'UNRWA en janvier 2024 sur la base d'allégations israéliennes qui n'ont jamais été étayées[xx]. L'UNRWA mérite le soutien financier et politique du Canada.
7. Le Canada doit jouer un rôle dans la demande de responsabilité et de réparations pour la Nakba (passée et en cours) en appelant la communauté internationale à mettre en place un Tribunal pénal international pour la Palestine afin d'enquêter sur les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide, ainsi qu'une commission des réclamations de masse pour la résolution des réclamations de propriété, comme cela a été fait dans des conflits antérieurs tels que la Bosnie et le Rwanda. Le Canada doit également apporter un soutien financier et politique à l'enquête ouverte par la Cour pénale internationale sur les crimes de guerre commis dans les territoires palestiniens occupés (Gaza, Cisjordanie et Jérusalem-Est) depuis 2014[xxi].
8. Le Canada doit également encourager la création d'une commission vérité et réconciliation dans le cadre de tout futur règlement négocié, afin de garantir que les crimes du passé soient ouvertement abordés et que le traumatisme et la violence de la Nakba soient reconnus.
[i] CJPME Factsheet No. 235, “The Nakba,” May 2023, https://www.cjpme.org/fs_235 ; Ardi Imseis, (2023), The United Nations and the Question of Palestine: Rule by Law and the Structure of International Subalternity, Cambridge University Press; Rashid Khalidi, (2020), The Hundred Years’ War on Palestine: A History of Settler Colonialism and Resistance, 1917-2017, Metropolitan Books; Ilan Pappe, (2006), The Ethnic Cleansing of Palestine, Oneworld Publications;
[ii] UNRWA, “Palestine Refugees,” https://www.unrwa.org/palestine-refugees; United Nations, “UN marks 75 years since displacement of 700,000 Palestinians,” May 15, 2023, https://news.un.org/en/story/2023/05/1136662
[iii] Ardi Imseis, (2023), The United Nations and the Question of Palestine: Rule by Law and the Structure of International Subalternity, Cambridge University Press; Bercusion, D., (1985), Canada and the Birth of Israel: A Study in Canadian Foreign Policy, University of Toronto Press; Tauber, E., (2002), Personal Policy Making: Canada’s Role in the Adoption of Palestine Partition Resolution, Praeger Press; Engler, Y., (2010), Canada and Israel: Building Apartheid, Fernwood Publishing.
[iv] Meron Rapoport, “The ‘second Nakba’ government seizes its moment,” 972+ Magazine, January 2, 2024, https://www.972mag.com/second-nakba-government-gaza/
[v] UNOCHA, “Hostilities in the Gaza Strip and Israel - reported impact | Day 199,” April 22, 2024, https://www.ochaopt.org/content/hostilities-gaza-strip-and-israel-reported-impact-day-199
[vi] CBC, “Leaked document fuels concern Israel plans to push Palestinians from Gaza into Egypt,” November 10, 2023, https://www.cbc.ca/news/world/israel-gaza-palestinians-concept-paper-1.7015576
[vii] CJPME, “Canada must support ICJ order to protect Palestinians in Gaza,” January 26, 2024, https://www.cjpme.org/pr_2024_01_26_icj_ruling
[viii] Physicians for Human Rights Israel, “The Consequences of Settler Violence and Forced Displacement on the Health and Wellbeing of Palestinian Communities in Area C,” March 28, 2024, https://www.phr.org.il/en/settler-violence-paper-eng/ ; Israel announces largest West Bank land seizure since 1993 - The Washington Post.
[ix] CJPME, “Letter to Bob Rae: Explain Canada’s boycott of UN Nakba event,” May 15, 2023, https://www.cjpme.org/letter_2023_05_15_bob_rae
[x] ACLA, “Anti-Palestinian Racism: Naming, Framing and Manifestations,” April 24, 2022, https://www.canarablaw.org/our-work
[xi] Richie Assaly, “A closer look at the racist myth at the heart of Selina Robinson’s comments,” Ricochet, February 7, 2024, https://ricochet.media/politics/a-closer-look-at-the-racist-myth-at-the-heart-of-robinsons-comments/
[xii] Toronto Star, “Peel school board urged to remove Nakba Day from calendar of significant dates,” April 17, 2024, https://www.thestar.com/news/gta/peel-school-board-urged-to-remove-nakba-day-from-calendar-of-significant-dates/article_c4bad80a-f8fa-11ee-a145-2711f948c320.html
[xiii] Over an overview of these processes and how they contribute to a process of consolidating a system of apartheid, see Amnesty International, “Israel’s apartheid against Palestinians: a cruel system of domination and a crime against humanity,” February 1, 2022, https://www.amnesty.ca/human-rights-news/israels-apartheid-against-palestinians-a-cruel-system-of-domination-and-a-crime-against-humanity/
[xiv] Over an overview of these processes and how they contribute to a process of consolidating a system of apartheid, see Amnesty International, “Israel’s apartheid against Palestinians: a cruel system of domination and a crime against humanity,” February 1, 2022, https://www.amnesty.ca/human-rights-news/israels-apartheid-against-palestinians-a-cruel-system-of-domination-and-a-crime-against-humanity/
[xv] The UN Declaration of Human Rights states that “everyone has the right to leave any country, including his own, and return to his own country.” United Nations, https://www.un.org/en/about-us/universal-declaration-of-human-rights
[xvi] UN Resolution 194, adopted on December 11, 1948, resolved that “refugees wishing to return to their homes and live at peace with their neighbours should be permitted to do so at the earliest practicable date, and that compensation should be paid for the property of those choosing not to return and for loss of or damage to property which, under principles of international law or equity, should be made good by the Governments or authorities responsible.” https://www.palquest.org/en/historictext/6728/unga-resolution-194-iii
[xvii] CJPME, “Change in Canada’s UN vote not enough to help Palestinian refugees under attack,” November 9, 2023, https://www.cjpme.org/pr_2023_11_09_un_vote
[xviii] Returnees | UNHCR.
[xix] CJPME, “Canada cuts funding for Palestinian refugees amid crisis,” June 27, 2023, https://www.cjpme.org/pr_2023_06_27_unrwa
[xx] CJPME, “UNRWA funding resumption is necessary, but not enough,” March 8, 2024, https://www.cjpme.org/pr_2024_03_08_unrwa_reinstated
[xxi] ICC opens 'war crimes' investigation in West Bank and Gaza (bbc.com).