Lettre ouverte sur l’islamophobie - FMC et CJPMO

Open_Letter_on_Islamophobia.pngLettre ouverte sur l’islamophobie aux dirigeant.e.s politiques et civils du Canada et du Québec du Forum musulman canadien et les Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient, le 27 janvier 2021.

Dans quelques jours, les Canadien.ne.s marqueront le quatrième anniversaire du tragique massacre de la mosquée de Québec. Le 29 janvier 2017, un jeune homme influencé par la haine et le racisme en ligne est entré au Centre culturel islamique de Québec et a ouvert le feu sur des fidèles musulman.e.s canadien.ne.s. Lorsqu’il a fini, six Canadien.ne.s sont décédés et 19 autres ont été blessés. 

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À l’époque, de nombreux dirigeant.e.s ont réagi rapidement et de façon appropriée. Le lendemain de l’attaque, le Premier ministre Justin Trudeau et plusieurs autres dirigeant.e.s politiques ont assisté à une veillée en l’honneur des morts et des blessés. À la communauté musulmane canadienne, le maire de Québec, Régis Labeaume, a déclaré : « Pour la communauté musulmane, nos voisins, nos concitoyens, qui comptent sur notre soutien et notre solidarité, je tiens à dire “nous vous aimons” ».

Moins de deux mois après le massacre, la motion M-103 a été adoptée à la Chambre des communes, demandant aux politicien.ne.s de « condamner l’islamophobie et toutes les formes de racisme systémique et de discrimination religieuse ». Un an plus tard, le rapport commandé par la motion M-103 a été publié. Il contient 30 recommandations pour lutter contre l’islamophobie dans la société canadienne : une meilleure dénonciation des crimes haineux, l’équité en matière d’emploi et de services, une meilleure formation des fonctionnaires, etc. 

Cependant, quatre ans plus tard, on ne sait pas si les musulman.e.s canadien.ne.s bénéficient de meilleures opportunités ou protections qu’en 2017. Ces dernières semaines ont vu une nouvelle vague de campagnes de peur et d’insinuations très médiatisées dans les cercles culturels et politiques du Canada. Le 11 janvier, la nomination de Ginella Massa, une Afro-Latinoise portant le hijab, comme animatrice de l’émission « Canada Tonight » de Radio-Canada a été le premier de trois incidents nationaux à déclencher une réaction fanatique. Entre autres critique, l’écrivaine québécoise Sophie Durocher a suggéré que le hijab de Massa devant la caméra était une déclaration politique grossière, semblable à celle d’une animatrice de télévision portant une casquette rouge « Make America Great Again ».

Suite à la nomination le 12 janvier du député Syrien-Canadien Omar Alghabra au poste de ministre des Transports du Canada, le chef du Bloc Québécois Yves-Francois Blanchet a utilisé des allusions lorsqu’il a suggéré que « des questions se posent » du fait du rôle de M. Alghabra en tant qu’ancien président de la Fédération canado-arabe (FCA). Blanchet a refusé de faire une critique spécifique, mais a suggéré que M. Alghabra était associé au « mouvement politique islamique ». Bien que la FCA soit une organisation laïque, M. Blanchet n’a fourni aucune preuve d’une quelconque raison de s’opposer à la nomination d’Alghabra, mais s’est appuyé sur des sous-entendus islamophobes pour susciter la méfiance d’un opposant politique. 

La nomination, le 13 janvier dernier, de la Tuniso-Canadienne Bochra Manaï au poste de première commissaire au racisme et à la discrimination systémique à Montréal a créé sa propre controverse. Choisie parmi 120 candidat.e.s pour le poste, Manaï est titulaire d’un doctorat en études urbaines, d’une maîtrise en relations interethniques et migration, et d’une autre maîtrise en géographie urbaine. Manaï a également critiqué ouvertement et visiblement le projet de loi 21 du Québec, qui interdisait le port de vêtements religieux par certains employé.e.s du gouvernement. La nomination de Manaï a immédiatement fait l’objet de critiques exagéré : un fonctionnaire du bureau du premier ministre québécois François Legault a qualifié la sélection de Manaï d’« erreur », des personnalités de la radio ont qualifié Manaï de « militant radical » et un chroniqueur du Journal de Montréal a cyniquement suggéré que le travail de Manaï était de trouver du racisme partout. Comme l’a observé le journaliste Toula Drimonis à propos de la critique : « Je n’ai jamais vu autant de personnes qui nient l’existence du racisme systémique avoir autant d’opinions sur la personne que Montréal a engagée pour s’y attaquer ».

Comme le montrent clairement ces récents incidents, ce n’est pas parce que l’islamophobie ne fait pas l’actualité nationale tous les jours que le problème disparaît. Pendant que le reste du pays vaque à ses occupations, les musulman.e.s du Canada continuent de subir la calamité de l’islamophobie — via le vandalisme de leurs lieux de dévotion, l’obstacle de se procurer un emploi, les insultes et les sous-entendus raciaux qu’ils doivent endurer, et plus encore. Les récents commentaires contre Massa, Alghabra et Manaï reflètent l’islamophobie existante dans notre société, tout en en encourageant une plus grande partie. Lorsque les dirigeant.e.s politiques exploitent les tropes islamophobes, ils/elles suscitent la peur et la méfiance et affaiblissent le tissu de notre société. Ils rendent également la vie quotidienne des Canadien.ne.s musulman.e.s beaucoup plus difficiles.

Compte tenu de ces récents incidents, le Forum musulman canadien (FMC-CMF) et les Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient (CJPMO) appellent leurs dirigeant.e.s civils et politiques à se montrer plus exigeants et les mettent au défi de prendre les mesures suivantes

Abandonner la démagogie ; adopter les faits. L’exemple récent de Trump aux États-Unis nous rappelle que les campagnes populistes peuvent avoir des effets dévastateurs sur la cohésion sociale — des conséquences qui peuvent menacer les bases mêmes d’une démocratie. Les attaques et insinuations publiques contre Massa, Alghabra et Manaï étaient manifestement fausses ; chacune d’entre elles mérite de multiples excuses. À l’avenir, les détracteurs devraient concentrer leurs reproches sur les performances professionnelles réelles de ces personnes, et non sur leur identité ou leur tenue religieuses. 

Reconnaître le problème de l’islamophobie. Si les critiques désagréables de Massa, Alghabra et Manaï venaient surtout du Québec, les autres dirigeant.e.s politiques du Canada sont loin d’être innocents. En 2017, l’appel de la motion M-103 pour une stratégie visant à mettre fin à l’islamophobie a rencontré l’opposition de politicien.ne.s de tout le pays. La première étape pour traiter un problème est de le reconnaître. Les sondages d’opinion et les mesures sociales confirment régulièrement que les musulman.e.s du Canada sont confrontés à des obstacles débilitants et de longue date à leur intégration. Les dirigeant.e.s politiques du Canada doivent mobiliser nos institutions en attirant constamment l’attention sur le problème important de l’islamophobie dans notre société. 

Tirez parti de votre statut de dirigeant.e pour protéger les groupes ethniques et culturels. La plupart des critiques de Massa, Alghabra et Manaï étaient issues d’une idéologie politique majoritaire — un rappel que l’acceptation des groupes ethniques ou culturels est l’un des plus grands tests d’une démocratie résiliente. Les dirigeant.e.s politiques ne doivent pas créer d’obstacles à l’intégration de ces groupes. Ils doivent au contraire faire preuve de tolérance, d’ouverture et de volonté de compromis. Ce n’est que de cette manière que notre démocratie restera saine et résistante.

Faire des investissements concrets pour éradiquer l’islamophobie. Les 30 recommandations du rapport M-103 n’ont pas seulement fourni une évaluation raisonnable du problème du racisme systémique et de la discrimination religieuse au Canada, elles ont également fourni un plan d’action pour résoudre ces problèmes. Malheureusement, peu de choses ont été faites pour financer et mettre en œuvre la grande majorité des recommandations. L’islamophobie est un fléau pour notre société, à moins que nos dirigeant.e.s et leurs gouvernements ne fassent un investissement significatif pour y remédier.

Commémorer le 29 janvier. Tout comme le 6 décembre est la journée nationale de commémoration et d’action contre la violence envers les femmes, le 29 janvier devrait être une journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie et les autres formes de discrimination religieuse. Il s’agit de la recommandation 30 du rapport M-103, et l’une des seules recommandations qui mentionnent réellement la question de l’islamophobie. Le site web « Je me souviens du 29 janvier » (http://january29.ca) fournit des détails sur la campagne du 29 janvier et permet aux Canadien.ne.s d’envoyer un courriel au Premier ministre Justin Trudeau et aux autres politicien.ne.s fédéraux du Canada. Bien qu’il s’agisse d’une mesure symbolique, elle montrera néanmoins que le Canada reconnaît le problème de l’islamophobie et qu’il est prêt à prendre des mesures pour y remédier.

L’expérience multiculturelle canadienne ne réussira pas toute seule. Elle exigera de nos dirigeant.e.s politiques et civils qu’ils/elles se conforment à des critères plus élevés, qui renforcent la compréhension mutuelle et le respect bilatéral. Elle exigera que nous nous engagions activement les uns avec les autres, tant au sein de nos collectivités géographiques qu’entre nos communautés culturelles. Il faudra que ceux d’entre nous qui ne sont pas victimes de racisme systémique ou de discrimination religieuse restent sur leurs gardes pour ceux/celles qui le sont.

Comme Massa, Alghabra et Manaï, les musulman.e.s du Canada ne cherchent pas à être des symboles. Ils essaient simplement de vivre leurs vies, comme tous les autres Canadien.ne.s. Nous les honorons en tant que concitoyen.nes et citoyen.ne.s égaux lorsque nous reconnaissons qu’ils partagent les mêmes aspirations que nous tous — pour la famille, la communauté, la prospérité et la santé. Depuis 2017, les communautés musulmanes de tout le pays s’efforcent de tendre la main à leurs voisine.s par le biais d’événements portes ouvertes et de diverses initiatives collectives. La semaine de sensibilisation aux musulman.e.s, qui a lieu chaque année à la fin du mois de janvier, est un autre forum créé par nos concitoyen.ne.s musulman.e.s pour établir des liens de compréhension et de respect mutuels. 

Au lendemain du massacre de la mosquée de Québec, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, a déclaré aux musulman.e.s du Québec : « Nous sommes avec vous, vous êtes à la maison et vous êtes les bienvenus chez nous». Nous commençons à nous attaquer à l’islamophobie quand nous nous efforçons de faire en sorte qu’il n’y ait aucun obstacle à la réalisation de leurs aspirations. Nous leur permettons de fonctionner comme des citoyen.ne.s à part entière lorsque nous pouvons nous aussi leur dire : « Vous êtes chez vous. Et vous êtes bienvenus chez vous ».

 

Samer Majzoub, Président, Forum musulman canadien (FMC-CMF)

Thomas Woodley, Président, Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient (CJPMO)