Montréal, le 16 mai 2024 - CJPMO a envoyé une lettre au Premier ministre Justin Trudeau demandant que le Canada mette fin à son implication dans les colonies israéliennes en territoire palestinien occupé.
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Monsieur le Premier ministre Justin Trudeau,
Je vous écris en ma qualité de directeur principal des affaires parlementaires de Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient (CJPMO) sur la question de l'implication du Canada dans les crimes de guerre liés aux colonies israéliennes (c'est-à-dire les implantations et les avant-postes) dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 (ci-après « TPO »). CJPMO a pour objectif de veiller à ce que la politique étrangère et les lois nationales du Canada soient appliquées conformément au droit international. L'un de mes principaux domaines d'engagement consiste à veiller à ce que le Canada poursuive les personnes au Canada qui ont participé à des crimes de guerre en Palestine. Nous avons récemment écrit au ministre de la Justice, Arif Virani, au sujet de la nécessité d'enquêter sur les ressortissants canadiens qui servent dans l'armée israélienne.[1] Nous voulons que les Palestiniens et les Israéliens soient soumis aux mêmes normes de responsabilité devant le droit canadien et international. Jusqu'à présent, le Canada a fait preuve de partialité dans son action policière à l'égard des Palestiniens par le biais de la législation antiterroriste, tout en laissant les partisans des crimes de guerre israéliens agir en toute impunité. Cette partialité institutionnelle doit cesser.
Depuis 1967, Israël a établi près de 300 colonies en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est, où vivent actuellement plus de 700 000 colons israéliens.[2] Ces colonies sont soutenues, en grande partie, par des entreprises internationales et israéliennes qui investissent massivement dans l'économie florissante des colonies. En outre, elles dépendent des Juifs d'autres pays qui achètent des propriétés dans ces colonies. Des Canadiens ont été impliqués dans l'entreprise de colonisation et le gouvernement fédéral a fermé les yeux sur ces crimes de guerre pendant trop longtemps.
Nous avons récemment appris qu'une tournée immobilière intitulée « Great Israeli Real Estate Event » s'est tenue à Montréal et à Thornhill (Toronto), et qu'elle comprenait la vente de propriétés situées dans des colonies du TPO, notamment les colonies de Neve Daniel, Ma'aleh Adumim et Efrat, en Cisjordanie.[3] Cela équivaut à la vente illégale et ouverte de propriétés en territoire occupé, ce qui constitue un crime de guerre. Le Canada doit agir pour mettre un terme à cette activité illégale en adoptant une approche pangouvernementale. Ce n'est pas la première fois que des propriétés situées dans des colonies illégales sont disponibles au Canada, et ce ne sera pas la dernière si le Canada n'agit pas. Le Canada ne doit pas être un havre de paix pour le vol de terres. Compte tenu de l'héritage colonial du Canada, nous avons la responsabilité de mettre fin à la complicité avec le colonialisme à l'étranger.
Pendant ce temps, le gouvernement israélien d'extrême droite étend et autorise les colonies illégales à un rythme supérieur à celui des années précédentes,[4] tout en cherchant à annexer officiellement la Cisjordanie occupée.[5] Au début de l'année, de hauts ministres du gouvernement israélien ont participé à une conférence consacrée à l'établissement de colonies dans la bande de Gaza, tout en appelant à la « migration volontaire » de la population palestinienne.[6] Le Canada doit de toute urgence s'attaquer à la politique d'annexion d'Israël de manière coordonnée entre les différents ministères.
L'illégalité des colonies israéliennes
L'illégalité des colonies israéliennes est l'une des questions les plus solidement établies dans le droit international moderne. En effet, l'une des principales motivations du développement du système des Nations unies était de mettre fin à l'annexion en tant que pratique étatique. L'importance du crime de colonisation est le reflet de ce fondement. Le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) a réaffirmé en décembre 2016 que les colonies constituaient une violation flagrante du droit international (CSNU 2334).[7] Cette position a été affirmée par la Cour internationale de justice,[8] l'Assemblée générale des Nations unies,[9] le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de la personne,[10] le Conseil des droits de la personne des Nations unies,[11] l'Union européenne,[12] Amnesty International,[13] le Comité international de la Croix-Rouge,[14] les Hautes Parties contractantes à la quatrième Convention de Genève,[15] la Commission internationale de juristes,[16] Human Rights Watch,[17] Al-Haq[18] et B'Tselem.[19] Le Canada ne peut pas continuer à fermer les yeux sur cette réalité juridique.
En vertu du statut de Rome de 1998 de la Cour pénale internationale, les colonies israéliennes sont considérées comme un crime de guerre présumé.[20] Le Statut de Rome a été intégralement transposé dans le droit canadien par le biais de la loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre (2000),[21] ce qui signifie que les colonies ont le même statut de crimes de guerre en droit fédéral national qu'en droit international. Par conséquent, le Canada doit veiller à ce que les poursuites et l'application de la responsabilité pénale individuelle pour les crimes de guerre se fassent selon les mêmes mécanismes que pour toutes les autres dispositions du droit pénal canadien. La loi canadienne sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre énumère les transferts de population (c'est-à-dire les colonies) comme l'un des crimes de guerre reconnus en droit interne. Dans le cas de l'occupation et de l'annexion de la Crimée par la Russie, le Canada sanctionne toutes les relations commerciales et financières avec les personnes et les entités qui soutiennent l'occupation et le transfert de populations civiles.[22] Nous demandons la même approche dans le cas des territoires palestiniens occupés. Le Canada doit mettre un terme à la colonisation israélienne s'il espère parvenir à un résultat politique juste, car les colonies sont les obstacles les plus flagrants à une coexistence à long terme. En outre, il s'agit là d'un test de la sincérité du Canada dans ses engagements déclarés de respecter le droit international. Si le droit ne s'applique pas de la même manière à nos amis et à nos ennemis, il ne s'agit alors que d'une arme rhétorique pour frapper hypocritement nos ennemis.
Colonies israéliennes, entreprises et droits de la personne
Des rapports récents du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de la personne ont conclu que les colonies israéliennes sont une source importante de violations des droits de la personne à l'encontre de la population palestinienne protégée dans le territoire palestinien occupé. Ces violations comprennent le vol de terres, la violence des colons, des lois de planification discriminatoires, le vol de ressources naturelles, la démolition de maisons, le transfert forcé de population, l'exploitation du travail, les expulsions et les déplacements forcés, l'application discriminatoire de la loi et l'imposition d'un système à deux niveaux d'inégalité des droits politiques, sociaux et économiques basé sur l'appartenance ethnique (ce que la plupart des groupes de défense des droits de la personne qualifient d' « apartheid »). Par-dessus tout, les colonies font partie intégrante de la politique israélienne visant à refuser le droit à l'autodétermination aux Palestiniens sous occupation.[23] Elles constituent un mécanisme clé dans la manière dont Israël annexe des terres et remplace les Palestiniens par des colons juifs. Les colonies sont une caractéristique et non un défaut du plan israélien visant à s'approprier les terres des Palestiniens.
Au cours des cinq dernières années, les principales organisations de défense des droits de la personne et les organes des Nations unies ont mené des études approfondies sur l'économie des colonies israéliennes et sur le rôle que les sociétés et les entreprises, y compris les entreprises immobilières, jouent dans la détérioration de la situation des droits de la personne.[24] Ils concluent qu'il est impossible de s'engager dans l'économie de colonisation israélienne, que ce soit directement ou indirectement (c'est-à-dire en investissant dans des sociétés engagées dans l'économie de colonisation ou en achetant des propriétés résidentielles ou commerciales), sans violer les normes internationales reconnues en matière de droits de la personne et les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de la personne. Cela inclut l'achat de propriétés ou d'investissements dans les colonies israéliennes existantes ou futures dans le TPO. Le Canada doit aligner sa politique sur cette réalité en mettant fin à l'environnement national permissif qui favorise la complicité avec les colonies.
Sanctions contre les colons
Nous sommes conscients que le Canada tarde à mettre en place des sanctions à l'encontre de certains colons israéliens extrémistes responsables de la violence des colons à l'encontre des Palestiniens et de leurs communautés. Bien que la promesse de sanctions soit un pas en avant apparemment positif, nous avons écrit à la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly pour l'exhorter à étendre ce programme de sanctions afin qu'il comprenne des mesures visant à tenir les fonctionnaires israéliens responsables de la violence des colons soutenue par l'État et de l'entreprise de colonisation de manière plus générale.[25] Les membres d'extrême droite de la coalition de M. Netanyahou ont distribué des armes aux colons extrémistes.[26] Si le droit canadien reconnaît que les colonies sont des crimes de guerre, sanctionner une poignée d'individus extrémistes n'a aucun sens et permet à l'État israélien d'éviter de rendre des comptes sur ses politiques d'annexion. Les Canadiens se demandent pourquoi il est répréhensible de voler des terres par la violence, alors que si vous vous habillez en costume et que vous le faites lors d'un salon professionnel dans une synagogue, c'est admissible et défendu par la police anti-émeute canadienne et les injonctions des tribunaux. À l'heure actuelle, il semble que la réponse du Canada soit que tant que l'on vole des terres de la bonne manière, c'est acceptable. La seule conclusion que l'on puisse en tirer est que nous n'avons vraiment pas tiré les leçons de notre processus de vérité et de réconciliation. Nous refusons toujours d'admettre que le vol de terres est le fondement du colonialisme de peuplement.
Recommandations
En résumé, la vente des propriétés des colonies israéliennes dans le TPO constitue une violation flagrante du droit international, du code pénal canadien et des normes des Nations unies en matière de droits de la personne. Les colonies sont des crimes de guerre en droit canadien. Par conséquent, le fait que des Canadiens achètent des propriétés dans les colonies constitue une participation à un crime de guerre actif. En conséquence, le Canada doit immédiatement adopter une approche pangouvernementale pour mettre fin à l'implication du Canada dans les crimes de guerre coloniaux d'Israël par le biais de la série de mesures coordonnées ci-jointe, qui relève de la compétence de différents portefeuilles ministériels.
Les recommandations contenues dans la prise de position ci-jointe sont fondées sur notre conviction que ce dossier, en raison de sa nature transversale et de la complexité politique qu'il implique, nécessite le leadership direct du Premier ministre pour être traité de manière efficace. Il ne peut être laissé à un seul ministre le soin de corriger ce qui s'apparente à une incapacité de l'ensemble du gouvernement à s'attaquer d'urgence à l'implication du Canada dans les crimes de guerre. Cette question nécessite une approche coordonnée entre les différents portefeuilles, et c'est exactement le type de dossier sur lequel un Premier ministre doit prendre l'initiative. Nous pensons qu'avec l'engagement du Premier ministre, le Canada peut montrer son soutien inébranlable au droit international dans tous les cas, y compris les violations israéliennes.
Cordialement,
Alex Paterson
Directeur principal des affaires parlementaires
Canadiens pour La Justice et La Paix au Moyen-Orient
[1] CJPME, "Letter to Minister Virani : Investigate Canadians in IDF", 18 janvier 2024, https://www.cjpme.org/letter_2024_01_18_virani_idf
[2] United Nations, "Human Rights Council Hears that 700,000 Israeli Settlers are Living Illegally in the Occupied West Bank - Meeting Summary (Excerpts)," 28 mars 2023, https://www.un.org/unispal/document/human-rights-council-hears-that-700000-israeli-settlers-are-living-illegally-in-the-occupied-west-bank-meeting-summary-excerpts/
[3] Vanessa Balintec, "Pro-Palestinian supporters decry real estate events at synagogues over allegations occupied land being sold", CBC News, 4 mars 2024, https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/real-estate-thornhill-event-1.7133251 ; Par Oona Barrett, "Infiltration dans une foire immobilière qui vend des terres palestiniennes à Montréal", Pivot, 8 mars 2024, https://pivot.quebec/2024/03/08/infiltration-dans-une-foire-immobiliere-qui-vend-des-terres-palestiniennes-a-montreal/
[4] Tani Goldstein, "2023 sets record for settlement construction and outpost legalization - watchdog," Times of Israel, August 8, 2023, https://www.timesofisrael.com/2023-sets-record-for-settlement-construction-and-outpost-legalization-watchdog/
[5] Michael Sfard, "Israel is Officially Annexing the West Bank", Foreign Policy, 8 juin 2023, https://foreignpolicy.com/2023/06/08/israel-palestine-west-bank-annexation-netanyahu-smotrich-far-right/
[6] Nir Hasson, "'The People of Israel Will Settle Gaza' : Netanyahu's Ministers at Far-right Conference Endorse Expulsion of Palestinians", Haaretz, 29 janvier 2024, https://www.haaretz.com/israel-news/2024-01-29/ty-article-magazine/.premium/the-people-of-israel-will-settle-gaza-netanyahu-ministers-urge-palestinians-expulsion/0000018d-5495-d1b6-aded-5fdd570c0000
[7] Résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations unies (23 décembre 2016).
[8] Avis consultatif Wall, (2004), 43 ILM 1009, au paragraphe. 120.
[9] A/Res/71/97 (23 décembre 2016).
[10] A/HRC/40/42 (30 janvier 2019).
[11] A/HRC/43.L37 (22 juin 2020).
[12] Conseil de l'Union européenne, "Conclusions du Conseil sur le processus de paix au Moyen-Orient", 28 janvier 2016, https://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2016/01/18/fac-conclusions-mepp/
[13] Amnesty International, "Israeli Settlements and International Law", 30 janvier 2019, https://www.amnesty.org/en/latest/campaigns/2019/01/chapter-3-israeli-settlements-and-international-law/.
[14] Peter Maurer, "Challenges to International Humanitarian Law : Israel's Occupation Policy" (2012), 888 Revue internationale de la Croix-Rouge 94, 1507.
[15] Déclaration de la Conférence des Hautes Parties Contractantes à la Quatrième Convention de Genève
[16] Commission internationale de juristes, "The Road to Annexation : Les manœuvres d'Israël pour changer le statut du territoire palestinien occupé", 2019, https://www.icj.org/wp-content/uploads/2019/11/Israel-Road-to-Annexion-Advocacy-Analysis-brief-2019-ENG.pdf.
[17] Human Rights Watch, "Israël et Palestine", Rapport pays 2019, https://www.hrw.org/world-report/2019/country-chapters/israel/Palestine.
[18] Al Haq, "An Obstacle to Peace : 41 Years of Israel's Illegal Settlement Policy and the Violation of Palestinian Right to Self-Determination", 12 octobre 2010, https://www.alhaq.org/advocacy/7266.html.
[19] B'Tselem, "Settlements", https://www.btselem.org/topic/settlements.
[20] Statut de Rome de la Cour pénale internationale (modifié en dernier lieu en 2010), 17 juillet 1998, article 8(2)(b)(viii).
[21] Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre (modifiée en dernier lieu en 2019), 29 juin 2000, article 8, (2)(b) (viii)
[22] Gouvernement du Canada, "Sanctions liées à l'Ukraine", dernière modification le 6 septembre 2023, https://www.international.gc.ca/world-monde/international_relations-relations_internationales/sanctions/ukraine.aspx?lang=eng
[23] Rapport du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, "Les colonies de peuplement israéliennes dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et dans le Golan syrien occupé", A/HRC/43/67 (30 janvier 2020) ; A/HRC/46/65 (15 février 2021).
[24] Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, "Statement on the implications of the Guiding Principles on Business and Human Rights in the context of Israeli settlements in the Occupied Palestinian Territory", 6 juin 2014 ; Résolution du Conseil des droits de l'homme des Nations unies A/HRC/52/L.42, "Colonies israéliennes dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et dans le Golan syrien occupé", 27 mars 2023 ; Human Rights Watch, "Occupation INC. : How Settlement Businesses Contribute to Israel's Violations of Palestinian Rights", 19 janvier 2016, https://www.hrw.org/news/2016/01/21/occupation-inc ; Amnesty International, "Think Twice : Can companies do business with Israeli settlements in the Occupied Palestinian Territories while respect human rights ?", 13 mars 2019, https://www.amnesty.org.uk/resources/thinktwice.
[25] CJPME, "Letter to Minister Joly : Canada must act against state-sponsored settler violence", 15 décembre 2023, https://www.cjpme.org/letter_2023_12_15_joly_settler_violence ; B'Tselem, (Nov 2021), State Business : Israel's misappropriation of land in the West Bank through settler violence, https://www.btselem.org/publications/202111_state_business
[26] Jeremy Sharon, (10 oct. 2023), Ben Gvir says 10,000 assault rifles purchased for civilian security teams, Times of Israel, https://www.timesofisrael.com/ben-gvir-says-10000-assault-rifles-purchased-for-civilian-security-teams/ ; Middle East Monitor, (24 oct. 2023), Security Minister Itamar Ben-Gvir arms Israeli settlers in occupied West Bank, https://www.middleeastmonitor.com/20231024-security-minister-itamar-ben-gvir-arms-israeli-settlers-in-occupied-west-bank/ ; Jacob Magid, (21 nov. 2023), US said to delay shipment of weapons for security squads due to Ben Gvir's conduct, Times of Israel, https://www.timesofisrael.com/us-said-to-delay-shipment-of-weapons-for-security-squads-due-to-ben-gvirs-conduct/