Mandats d'arrêt de la CPI contre Netanyahu et Gallant
CJPME Factsheet 250, publié en décembre 2024 : Cette fiche d'information présente les mandats d'arrêt émis par la Cour pénale internationale contre le Premier ministre israélien Netanyahu et l'ancien ministre de la Défense Gallant. Elle décrit les crimes présumés, explore les questions d'immunité et de complémentarité, et explique les responsabilités juridiques du Canada de se conformer aux mandats.
Quels sont les mandats d'arrêt de la CPI ?
Le 21 novembre 2024, la Cour pénale internationale (CPI) a délivré des mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et de l'ancien ministre de la Défense Yoav Gallant pour des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre commis à Gaza entre octobre 2023 et mai 2024[1].
La décision de la CPI fait suite à un long délai de six mois depuis que le Procureur Karim Khan a initialement demandé les mandats en mai[2]. Les mandats font partie d'une enquête sur les crimes de guerre présumés commis par des responsables israéliens et palestiniens dans le territoire palestinien occupé (TPO) depuis 2014, qui a été lancée en 2021[3].
Alors que les mandats d'arrêt actuels se concentrent sur les crimes commis à Gaza, le Procureur de la CPI a laissé entendre que d'autres mandats seraient probablement délivrés prochainement pour des crimes commis en Cisjordanie et à Jérusalem-Est[4].
Par ailleurs, la CPI a délivré un mandat d'arrêt à l'encontre du commandant du Hamas, Mohammed Deif, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, en particulier en ce qui concerne les attaques contre des civils israéliens depuis le 7 octobre 2023. Israël affirme avoir tué Deif, mais cette information n'a été confirmée ni par le Hamas ni par la Cour. Le procureur avait également demandé des mandats d'arrêt contre deux autres dirigeants du Hamas, Yahya Sinwar et Ismail Haniyeh, mais il a été confirmé qu'ils avaient été tués par Israël[5].
Quels sont les crimes dont la CPI a accusé Netanyahu et Gallant ?
La CPI a trouvé des motifs raisonnables de croire que Netanyahu et Gallant « portent une responsabilité pénale » en tant que « coauteurs » de multiples actes horribles, notamment le crime de guerre consistant à utiliser la famine comme méthode de guerre, ainsi que les crimes contre l'humanité que sont le meurtre, la persécution et d'autres actes inhumains. La Cour a estimé que ces crimes « s'inscrivaient dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique contre la population civile de Gaza[6].»
Par exemple, la Cour a estimé qu'il était raisonnable de conclure que « les deux individus ont intentionnellement et sciemment privé la population civile de Gaza d'objets indispensables à sa survie, notamment de nourriture, d'eau, de médicaments et de fournitures médicales, ainsi que de carburant et d'électricité ». Évoquant les termes du crime de génocide, la CPI a noté que cette privation « a créé des conditions d'existence calculées pour entraîner la destruction d'une partie de la population civile de Gaza, ce qui a entraîné la mort de civils, notamment d'enfants en raison de la malnutrition et de la déshydratation[7].»
La Cour a également trouvé des motifs raisonnables de croire que Netanyahu et Gallant « portent une responsabilité pénale en tant que supérieurs civils pour le crime de guerre consistant à diriger intentionnellement des attaques contre la population civile de Gaza. [8]»
Le Canada est-il obligé de se conformer aux mandats ?
Oui. Le Canada fait partie des 124 pays signataires du Statut de Rome et est légalement tenu de « coopérer pleinement avec la Cour dans le cadre des enquêtes et des poursuites qu'elle mène pour les crimes relevant de sa compétence » (article 86). Plus précisément, le Canada doit « se conformer aux demandes d'arrestation et de remise » (article 89), car la CPI compte sur la coopération des États pour traduire les suspects en justice[9].
Le Canada est donc tenu d'arrêter Netanyahu ou Gallant s'ils mettent un jour le pied sur le territoire canadien, puis de les remettre à la CPI pour qu'ils soient jugés à La Haye.
Outre l'arrestation des suspects, les États sont tenus de coopérer activement avec la CPI, comme le prévoit l'article 93 du Statut de Rome, notamment en partageant des informations sur la localisation des suspects, en rassemblant des preuves, en fournissant des documents, en saisissant des biens, etc. [10]
La CPI est-elle compétente pour arrêter les dirigeants israéliens ?
Oui. Israël n'est pas signataire du Statut de Rome, mais les crimes en question ont été commis dans la bande de Gaza occupée. L'État de Palestine est signataire du Statut de Rome et la CPI a confirmé qu'elle était compétente pour juger les crimes commis sur le territoire, quelle que soit la nationalité de leurs auteurs. [11]
Netanyahu bénéficie-t-il d'une immunité devant la CPI ?
Non. L'article 27 du Statut de Rome est très clair : le Statut « s'applique à tous de la même manière, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'État ou de gouvernement [...] n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale en vertu du présent statut ».
Ce principe a été confirmé dans une décision récente de la CPI concernant le refus de la Mongolie de se conformer à un mandat d'arrêt délivré à l'encontre du président russe Vladimir Poutine. La Mongolie avait fait valoir que la Russie n'était pas un État partie à la CPI et que, par conséquent, Poutine jouissait de l'immunité en tant que chef d'État. Cependant, la CPI a conclu que l'obligation d'arrêter les suspects est « indépendante de leur qualité officielle et de leur nationalité » et que les accords d'immunité entre les États « ne protègent pas les individus, y compris les chefs d'État, de poursuites devant les juridictions pénales internationales ». La CPI a jugé que la Mongolie avait « manqué aux obligations internationales qui lui incombent en vertu du Statut en n'exécutant pas la demande d'arrestation formulée par la Cour.» [12]
Israël a son propre système juridique, alors pourquoi la CPI est-elle autorisée à intervenir ?
Un principe important de la CPI est la « complémentarité » : la Cour ne fait que compléter le travail des systèmes judiciaires nationaux et n'interviendra pas si le pays enquête et poursuit ses propres crimes. Cependant, il doit s'agir de « véritables enquêtes criminelles » concernant « les personnes recherchées par la CPI et portant essentiellement sur le même comportement que celui allégué dans les mandats d'arrêt.» [13] Selon un porte-parole de la CPI, « il ne suffit pas d'avoir un système juridique, mais il faut démontrer que ce système juridique est actif en ce qui concerne les crimes ou les crimes présumés. [14]» À ce jour, Israël n'a non seulement pas lancé d'enquêtes crédibles susceptibles de satisfaire la CPI, mais a également exprimé son hostilité à l'idée d'enquêter sur les crimes présumés. [15]
Que se passe-t-il si le Canada refuse de se conformer au mandat d'arrêt ?
Si le Canada refuse de se conformer à la demande de mandat et d'arrestation de la CPI, cette dernière peut déterminer que le Canada n'a pas respecté ses obligations internationales et en référer à l'Assemblée des États parties (AEP), l'organe directeur de la CPI[16]. L'AEP peut alors décider de prendre des mesures pour inciter le Canada à se conformer au mandat de la CPI, ce qui serait conforme à la manière dont la CPI a statué sur le défaut d'arrestation de Poutine par la Mongolie. [17]
Comment le Canada doit-il réagir à la décision de la CPI ?
Le Canada ne peut pas maintenir le statu quo avec un gouvernement dont le chef est un fugitif de la CPI. En outre, les crimes décrits dans les mandats d'arrêt de la CPI n'ont pas été commis uniquement par Netanyahu et Gallant ; de nombreux dirigeants politiques, militaires et acteurs de la société civile israéliens ont également leur part de responsabilité. La plupart des crimes sont encore commis aujourd'hui, y compris l'utilisation de la famine comme arme de guerre. Le Canada doit donc rompre toutes les relations diplomatiques et économiques avec Israël qui risquent d'aider et d'encourager les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité perpétrés contre les Palestiniens. Cela devrait inclure un embargo complet sur les armes dans les deux sens, la fin de l'accord de partenariat stratégique Canada-Israël, des sanctions contre les dirigeants politiques et militaires israéliens, et bien d'autres choses encore.
[1] International Criminal Court (ICC), “Situation in the State of Palestine: ICC Pre-Trial Chamber I rejects the State of Israel’s challenges to jurisdiction and issues warrants of arrest for Benjamin Netanyahu and Yoav Gallant,” November 21, 2024.
[2] ICC, “Statement of ICC Prosecutor Karim A.A. Khan KC: Applications for arrest warrants in the situation in the State of Palestine,” May 20, 2024.
[3] CJPME Factsheet No. 228, “ICC Investigation of War Crimes in Palestine,” July 2022.
[4] ICC, “Statement of ICC Prosecutor Karim A.A. Khan KC on the issuance of arrest warrants in the Situation in the State of Palestine,” November 21, 2024.
[5] ICC, “Situation in the State of Palestine: ICC Pre-Trial Chamber I issues warrant of arrest for Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri (Deif),” November 21, 2024.
[6] ICC, “Warrants of arrest for Benjamin Netanyahu and Yoav Gallant,” November 21, 2024.
[7] ICC, “Warrants of arrest for Benjamin Netanyahu and Yoav Gallant,” November 21, 2024.
[8] ICC, “Warrants of arrest for Benjamin Netanyahu and Yoav Gallant,” November 21, 2024.
[9] United Nations, “ICC issues arrest warrants for Israel, Hamas leadership: what happens next?”, November 23, 2024.
[10] ICC, “Arresting ICC suspects at large: Why it matters, what the Court does, what States can do,” online booklet, no date.
[11] ICC, “ICC Pre-Trial Chamber I issues its decision on the Prosecutor’s request related to territorial jurisdiction over Palestine,” February 5, 2021; ICC, “Warrants of arrest for Benjamin Netanyahu and Yoav Gallant,” November 21, 2024.
[12] ICC, “Situation in Ukraine,” No: ICC-01/22, October 24, 2024.
[13] Tom Dannenbaum, “Nuts & Bolts of the International Criminal Court Arrest Warrants in the ‘Situation in Palestine,’” Just Security, November 22, 2024.
[14] United Nations, “ICC issues arrest warrants for Israel, Hamas leadership: what happens next?”, November 23, 2024.
[15] Dalia Scheindlin, “Arresting Netanyahu: Why the ICC Doesn't Trust Israel's Justice System to Investigate Gaza War Crimes,” Haaretz, November 27, 2024.
[16] Middle East Eye, “Are Netanyahu and Gallant immune from ICC arrest warrants under international law?,” November 22, 2024; ICC, “Arresting ICC suspects at large: Why it matters, what the Court does, what States can do,” online booklet, no date; Tom Dannenbaum, “Nuts & Bolts of the International Criminal Court Arrest Warrants in the ‘Situation in Palestine,’” Just Security, November 22, 2024.
[17] ICC, “Situation in Ukraine,” No: ICC-01/22, October 24, 2024.