CJPME Factsheet No. 228, publié en juillet 2022 : La fiche suivante donne un aperçu des raisons pour lesquelles la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête sur les crimes de guerre dans les territoires palestiniens occupés. Elle présente et explique c'est quoi la CPI. En plus, elle donne des réponses aux différentes questions qui sont posées lorsque le sujet est discuté, comme par exemple si la CPI a la compétence appropriée pour enquêter sur les TPO, si la Palestine et Israël soutiennent l'enquête, et quelle est la position du Canada sur l'enquête.
Le 3 mars 2021, la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête sur les crimes de guerre présumés commis par les forces israéliennes ou palestiniennes dans les territoires palestiniens occupés (TPO, y compris la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza) depuis le 13 juin 2014.
Qu'est-ce que la CPI?
La CPI a été créée en 1998 pour enquêter et poursuivre les personnes accusées des « crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale », comme le stipule le Statut de Rome : crimes de guerre, génocide, crimes contre l'humanité et crime d'agression.[i] La CPI n'engage des poursuites que dans les cas où les États ne veulent ou ne peuvent le faire eux-mêmes.
123 pays (dont le Canada) sont parties au Statut de Rome, mais tous ne l'ont pas signé et ratifié ; les exceptions notables sont la Chine, l'Inde, la Russie, Israël et les États-Unis. Certains pays estiment que la Cour a trop peu d'autorité, ce qui la rend inefficace pour poursuivre les criminels de guerre. D'autres pays considèrent que la Cour est trop puissante et constitue une menace pour leur souveraineté. D'autres encore affirment qu'elle est trop vulnérable aux partis pris politiques.[ii]
Les processus juridiques de la CPI fonctionnent différemment des tribunaux nationaux. Tout d'abord, le Bureau du Procureur détermine s'il existe des preuves suffisantes de crimes relevant de la compétence de la CPI. Ensuite, la CPI procède à une enquête, un procès préliminaire, un procès, des appels et l'exécution d'une sentence (si nécessaire).[iii]
Qu'est-ce qui a incité la CPI à ouvrir une enquête dans le TPO?
La demande d'enquête de la CPI fait suite à l'offensive militaire de 50 jours d'Israël contre Gaza en 2014, au cours de laquelle Israël a tué plus de 2 251 Palestiniens, dont 551 enfants. À la suite de la guerre, une commission d'enquête des Nations unies a conclu que les forces israéliennes et les groupes palestiniens pourraient avoir commis des crimes de guerre.[iv] Certains des crimes présumés documentés par l'ONU et les ONG de défense des droits de l'homme incluent l'utilisation d'une force létale inutile par les forces israéliennes contre les manifestants palestiniens à Gaza, les frappes aériennes israéliennes contre les civils et les infrastructures civiles, les colonies illégales d'Israël et les tirs indiscriminés de roquettes par les groupes militaires palestiniens.[v]
Plusieurs mois plus tard, en janvier 2015, l'État de Palestine a accédé au Statut de Rome, acceptant ainsi l'autorité de la CPI, et a également déposé une plainte officielle auprès de la Cour pour des crimes de guerre présumés dans le TPO. Cela a incité le Procureur de la CPI à ouvrir une enquête préliminaire pour répondre aux questions concernant la compétence, la validité et l'opportunité de l'affaire. Cinq ans plus tard, et à la suite d'une détermination préliminaire supplémentaire, la CPI a finalement conclu que la Cour était effectivement compétente et que l'affaire était fondée, autorisant ainsi la poursuite de l'enquête.[vi]
L'enquête de la CPI se concentre-t-elle uniquement sur Israël?
Israël et ses partisans ont tenté de faire valoir que l'enquête de la CPI était injuste envers Israël. Le Premier ministre israélien de l'époque a accusé la CPI de pointer du doigt Israël et a qualifié l'enquête de « pur antisémitisme ».[vii]
Toutefois, l'enquête de la CPI dans le TPO n'est pas uniquement axée sur Israël, mais portera sur des crimes de guerre présumés commis tant par des Israéliens que par des Palestiniens. Dans sa déclaration annonçant l'enquête, Fatou Bensouda, alors Procureur en chef, a déclaré que « notre préoccupation centrale doit être pour les victimes de crimes, tant palestiniennes qu'israéliennes, découlant du long cycle de violence et d'insécurité qui a causé de profondes souffrances et un grand désespoir de tous les côtés ».[viii]
La CPI a-t-elle la juridiction appropriée pour enquêter dans le TPO?
Les pays opposés à l'enquête de la CPI ont suggéré que la Cour n'a pas l'autorité nécessaire pour enquêter sur les crimes commis dans le TPO. Ils affirment que parce qu'Israël n'est pas partie au Statut de Rome, et que la Palestine n'est pas un pays reconnu, la Cour n'a pas de juridiction dans les TPO.[ix] En 2019, la procureure de la CPI, Mme Bensouda, a demandé à la Chambre préliminaire de la Cour de réfléchir à ces questions.[x] En février 2021, la Chambre préliminaire a conclu que la CPI a bien la juridiction appropriée sur les territoires palestiniens occupés par Israël,[xi] en partie parce que la Palestine est elle-même partie au Statut de Rome.[xii]
Pourquoi une enquête de la CPI est-elle nécessaire?
Le mandat de la CPI est d'enquêter sur les crimes dans les cas où les États ne peuvent ou ne veulent pas enquêter eux-mêmes. Un rapport publié en 2022 par l'organisation israélienne de défense des droits de l'homme Yesh Din a révélé que seulement deux pour cent des plaintes d'abus contre des soldats israéliens aboutissent à des poursuites judiciaires.[xiii] Pour sa part, l'organisation israélienne de défense des droits de l'homme B'Tselem a conclu que le processus d'enquête militaire israélien n'est rien d'autre qu'un « mécanisme de blanchiment » et que l'on ne peut faire confiance à l'État israélien pour enquêter sur les crimes commis dans les TPO.[xiv] Ainsi, en vertu de la loi israélienne existante, les Palestiniens n'ont aucun moyen de tenir les forces israéliennes responsables de leurs crimes.
L'enquête de la CPI peut également fournir une voie par laquelle les dirigeants israéliens peuvent être tenus responsables des décisions qu'ils prennent et qui entraînent des pertes de vie ou des souffrances considérables pour les Palestiniens. En cas de condamnation, les dirigeants israéliens risqueraient d'être arrêtés par les pays parties à la CPI lors de leurs déplacements. En fin de compte, cela pourrait amener les dirigeants israéliens à faire preuve de plus de retenue dans les types de politiques et de campagnes qu'ils déclenchent contre les Palestiniens.
Israël et la Palestine soutiennent-ils l'enquête?
L'État de Palestine a demandé l'enquête, s'est engagé à coopérer avec elle et en respectera les conclusions.[xv]
Le groupe militant palestinien Hamas se félicite également de l'enquête de la CPI, même s'il est accusé de crimes de guerre qui feront l'objet d'une enquête par la cour. Pour sa part, le Hamas estime que ses actions relèvent de la « résistance légitime » et ne violent pas le droit international ».[xvi]
Israël, cependant, s'est montré ouvertement hostile à l'enquête de la CPI. Après l'enquête, le procureur général d'Israël a affirmé qu'Israël était capable d'enquêter sur lui-même et a déclaré qu'il n'y avait « absolument aucune place pour l'intervention de la CPI dans les affaires qui relèvent de la juridiction de l'État d'Israël ».[xvii] En avril 2021, Israël a annoncé « qu'il ne coopérerait pas avec l'enquête [de la CPI] ».[xviii] Au lieu, Israël a répondu en menaçant d'imposer des sanctions à l'Autorité palestinienne,[xix] a encouragé les États-Unis à imposer des sanctions punitives aux responsables de la CPI,[xx] et s'est engagé à protéger les responsables israéliens d'éventuelles poursuites judiciaires.[xxi]
Quelle est la position du Canada sur l'enquête de la CPI ?
Depuis des années, le Canada a envoyé à plusieurs lettres à la CPI visant à décourager la Cour de procéder à une enquête. Comme d'autres opposants à l'enquête, le Canada fait valoir que parce que la Palestine n'est pas considérée comme un État, la CPI n'a pas de compétence.[xxii] Cependant, lorsque l'enquête a été lancée en 2021, le Canada a affirmé qu'il soutenait néanmoins la CPI et « continue de respecter l'indépendance de ses juges et du procureur de la CPI ».[xxiii] Le Canada, en tant que puissance moyenne, serait bien avisé de soutenir le travail de la Cour, car il pourrait un jour avoir besoin de sa protection. Si les responsables israéliens ou palestiniens sont reconnus coupables par la Cour, le Canada devrait participer à l'application du verdict de la CPI, notamment en exerçant sa compétence universelle pour livrer les accusés à la Cour.
[i] Cour pénale internationale (CPI), « Comment fonctionne la Cour »
[ii] Felter, Claire, « The Role of the International Criminal Courtt », Council on Foreign Relations, 28 mars 2022.
[iii] IBID
[iv] Nations unies, « Un rapport de l'ONU cite de possibles crimes de guerre commis tant par Israël que par des groupes palestiniens dans le conflit de 2014 à Gaza », 22 juin 2015
[v] Human Rights Watch, « Israël/Palestine : Les juges de la CPI ouvrent la porte à une enquête formelle », 6 février 2021
[vi] CPI, « L’état de la Palestine »
[vii] Times of Israel, « International Criminal Court probe of Israel is ‘pure anti-Semitism,’ says PM », 22 décembre 2019; Anthony Deutsch, Stephanie van den Berg, Reuters, « ICC prosecutor warns against crimes in escalating Israeli-Palestinian violence », 13 mai 2021
[viii] CPI, « Déclaration du Procureur de la CPI, Fatou Bensouda, concernant une enquête sur la Situation en Palestine », 3 mars 2021.
[ix] Geoffrey York, « La campagne anti-ICC d'Israël laisse le Canada pris au piège », The Globe and Mail, 21 janvier 2020
[x] CPI, « Déclaration du Procureur de la CPI, Fatou Bensouda, sur la conclusion de l'examen préliminaire de la situation en Palestine, et la demande de décision sur l'étendue de la compétence territoriale de la Cour », 20 décembre 2019
[xi] CPI, « Décision sur la « Demande de l'Accusation, conformément à l'article 19(3), de statuer sur la compétence territoriale de la Cour en Palestine ». », 5 février 2021
[xii] IBID, voir les paragraphes 109-112.
[xiii] Middle East Monitor, « Seulement 2% des plaintes pour abus déposées contre des soldats israéliens aboutissent à des poursuites judiciaire », 24 mai 2022
[xiv] B’Tselem, « La feuille de vigne de l'occupation : le système d'application de la loi militaire d'Israël comme mécanisme de blanchiment », mai 2016
[xv] Human Rights Watch, « Israël/Palestine : Les juges de la CPI ouvrent la porte à une enquête formelle », 6 février 2021
[xvi] Reuters, « Le Hamas a salué la décision de la CPI et a défendu ses actions comme une « résistance légitime » » 3 mars 2021
[xvii] Ministre israélien de la Justice, « Déclaration du procureur général d'Israël concernant la récente décision de la Cour pénale internationale» 2 novembre 2021
[xviii] Middle East Eye, « Israël ne coopérera pas avec l'enquête de la CPI, selon le gouvernement », 8 avril 2021
[xix] Middle East Monitor, « Israël menace d'imposer des sanctions à l'AP au sujet de l'enquête de la CPI », 23 mars 2021
[xx] Barak David, Axios, « L'administration Trump a coordonné les sanctions de la CPI avec Israël », 11 juin 2020
[xxi] Yonah Jeremy Bob, The Jerusalem Post, « Gantz déclare qu'Israël prend des mesures pour protéger les citoyens de la CPI », 2 mars 2021
[xxii] Ron Csillag, The Canadian Jewish News, « Le Canada soutient Israël dans sa contestation de la CPI », 26 février 2020; CJPME, « Guide des élections de CJPME pour le vote 2021 », 7 septembre 2021
[xxiii] Affaires mondiales Canada, « Déclaration du ministre des Affaires étrangères sur la décision de la Cour pénale internationale concernant sa compétence sur la Cisjordanie et Gaza », 7 février 2021