Expulsions massives à Sheikh Jarrah et Silwan

Fiche-info CJPMO No. 223, publiée en juin 2021: Expulsions massives à Sheikh Jarrah et Silwan

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Sheikh_Jarrah_Image.pngQue se passe-t-il à Sheikh Jarrah et Silwan?

Sheikh Jarrah et Silwan sont deux quartiers à Jérusalem-Est occupée où au moins 175 familles palestiniennes font face à des menaces d’expulsion des maisons que leurs familles habitent depuis des générations, pour être remplacés par des colons israéliens juifs.

Le 1er mai 2021, le tribunal de district de Jérusalem a ordonné à six familles de quitter leur logement à Sheikh Jarrah. Les familles font actuellement appel à la Cour suprême[i].  Le tribunal de district a également ordonné à sept autre familles de quitter leurs maisons à Sheikh Jarrah d’ici le 1er août 2021[ii]. Au total, 75 familles palestiniennes sont menacées d’expulsion à Sheikh Jarrah et 11 familles ont déjà été expulsées[iii]. Un processus similaire est en place à Silwan, ouu 100 familles sont à risque, 84 d’entre elles sont actuellement en cours d’expulsion par les tribunaux. 14 familes à Silwan ont déjà été expulsées et remplacées par des colons[iv]. À travers Jérusalem-Est, près de 1000 Palestiniens risquent d’être expulsés de force, ce qui constitue une violation du droit international[v].

Qui expulse les Palestiniens?

Les principaux acteurs à l’origine des expulsions sont les organisations de colons Nahalot Shimon Ltd et Ateret Cohanim. Les projets proposés à Sheikh Jarrah sont menés par Nahalot Shimon Ltd, une firme d’immobilier américaine[vi], tandis que Ateret Cohanim est responsable des évictions de Palestiniens à Silwan[vii]. Les deux organisations comptent sur les dons des donateurs américains pour financer leurs projets de colonisation[viii]. Ces groupes de colons affirment que la terre est une propriété juive et que les Palestiniens qui y vivent n’y ont aucun droit légal.

À mesure que les colons s’emparent des quartiers palestiniens, leur présence a entraîné une violence et un harcèlement quotidiens à l’encontre des résidents palestiniens par les colons et la police israélienne, rendant la vie « insupportable » [ix]. À Sheikh Jarrah, la répression israélienne s’est intensifiée ces dernières semaines, avec des violences et des arrestations injustes de résidents, de militants et de journalistes[x].

Depuis combien de temps les Palestiniens y vivent-ils?

Les familles palestiniennes menacées d’expulsion résident à Sheikh Jarrah et Silwan depuis des générations. Durant la Nakba en 1948, ces familles ont été dépossédées et déplacées de leurs maisons à Haïfa et dans les autres villes côtières. Dans le cas de Sheikh Jarrah, ces réfugiés palestiniens s’y sont installés en 1956. Sous le mandat de la Jordanie à l'époque, un accord avait été conclu avec l'UNWRA pour fournir des logements aux Palestiniens déplacés à Sheikh Jarrah et, au bout de trois ans, signer les actes de propriété des terrains à leurs noms. On avait dit aux familles qui ont cherché refuge à Sheikh Jarrah et Silwan qu'elles deviendraient propriétaires des terres, mais cela ne s'est jamais produit[xi].

À qui appartiennent vraiment ces maisons?

Les organisations de colons ont déclaré que ces maisons sont la propriété historique de familles juives. Cette affirmation a été remise en question par Khalil Toufakji, un cartographe, et expert sur Jérusalem, qui a récupéré des actes de propriété de l’époque ottomane qui montrent que les Juifs n’étaient pas les premiers propriétaires des propriétés de Sheikh Jarrah en question[xii].

Les organisations de colons prétendent aussi que les familles palestiniennes n’ont aucun droit à la propriété. Ce qui est faux. En 1968, après qu’Israël ait occupé Jérusalem-Est, le Knesset a publié un décret déclarant qu’Israël était lié à l’accord original signé par l’UNRWA et la Jordanie[xiii]. En avril, le gouvernement jordanien a fourni à l'Autorité palestinienne des documents, certifiés par l'UNRWA, qui, selon lui, prouvent le droit légal des familles palestiniennes à vivre là-bas[xiv].

De plus, même si la terre appartenait à l’origine aux Juifs, les organisations de colons derrière ses convictions ne sont pas les directs héritiers de la propriété. Peace Now estime qu’il « n’y a pas de lien entre l’objectif initial de la loi et son utilisation actuelle », et que « les colons à l’origine des procès pour expulsion ne sont pas connectés aux propriétaires originaux des propriétés. »[xv]. Aucun Juif israélien n’a jamais vécu dans ces maisons, qui avaient été construites à l’origine pour les réfugiés palestiniens par la Jordanie et l’UNRWA.

Est-ce que le processus d’éviction discrimine les Palestiniens?

Oui. La capacité légale des organisations de colons à expulser ces familles est basée sur une loi israélienne discriminatoire, la Loi sur les questions juridiques et administratives. Établie en 1970 suite à la conquête de Jérusalem-Est, cette loi avait pour but de restituer les terres perdues pendant la guerre de 1948[xvi]. Néanmoins, la loi s’appliquait seulement aux Juifs israéliens qui affirmaient avoir perdu des propriétés, et excluait les Palestiniens d’exercer le même droit.

Les familles palestiniennes ont-elles une chance équitable d’être jugées?

Non. Bien que les tribunaux israéliens aient présenté ces audiences comme étant des conflits de propriété foncière entre « deux parties égales » [xvii], Peace Now déclare que cette perspective « ignore le fait qu’il s’agit d’un processus organisé dans le cadre d’une loi discriminatoire qui accorde des droits à un groupe et prive un second groupe. » [xviii].  Les droits des Palestiniens ne sont pas respectés par le système judiciaire israélien qui les discrimine systématiquement.

En avril 2021, les 28 familles à Sheikh Jarrah ont écrit à la Cour pénale internationale pour demander une enquête, soulignant que « étant donné la nature discriminatoire et non transparente du système juridique israélien tel qu’il est appliqué dans le territoire occupé, nous sommes systématiquement privés d’accès à la justice ou de tout recours effectif. » [xix].

S’agit-il simplement d’un « litige immobilier » ?

Le gouvernement israélien et les organisations de colons prétendent qu’il s’agit simplement d’un « litige immobilier », mais les évictions à Sheikh Jarrah et Silwan doivent être comprises comme une partie du processus de nettoyage ethnique systémique perpétué par le système judiciaire israélien[xx].

Depuis qu’il s’est emparé de Jérusalem-Est en 1967, Israël « traite les résidents palestiniens de la ville comme des immigrants indésirables et s’efforce systématiquement de les chasser de la zone. » [xxi]. Ces évictions à Jérusalem occupée font partie du plan israélien « d’équilibre démographique » dans le cadre duquel les autorités tentent de limiter la population palestinienne à 30% pour maintenir la majorité de la population juive israélienne. [xxii]

Les colons eux-mêmes comprennent que les évictions font partie d’un processus visant à garder Jérusalem « juive » en expulsant les Palestiniens. Comme l’a dit le maire adjoint de Jérusalem au New York Times : « Biensûr qu’elles [les évictions] font partie d’une stratégie plus large visant à installer des « couches de Juifs » dans tout Jérusalem-Est ».[xxiii]

Comment le Canada a-t-il réagi?

Le gouvernement canadien a fait plusieurs déclarations à propos des évictions de Sheikh Jarrah et Silwan. Le premier ministre Trudeau, le ministre des Affaires étrangères Marc Garneau, des diplomates canadiens et de nombreux membres du caucus libéral ont exprimé leurs préoccupations concernant les évictions qu’ils qualifient comme étant « un obstacle sérieux à une paix juste, globale et durable », et ont demandé à Israël de « mettre fin aux activités de colonisation » à Jérusalem-Est[xxiv]. Néanmoins, le Canada n’a pas directement condamné Israël ou pris des mesures concrètes pour décourager ces évictions.

 

[i] Linah Alsaafin, “What is happening in occupied East Jerusalem’s Sheikh Jarrah?” Al Jazeera, May 1, 2021.

[ii] Ibid.

[iii] Peace Now, “Systematic dispossession of Palestinian communities in Sheikh Jarrah and Silwan,” May 2018.

[iv] Ibid.

[v] UNRWA, “UNRWA Joins Other UN Entities in Raising Alarm Over Eight Sheikh Jarrah Families at Risk of Forced Eviction,” May 10, 2021.

[vi] Alex Kane, “Tax-Exempt U.S. Nonprofits Fuel Israeli Settlers in Jerusalem,” The Intercept, May 14, 2021.

[vii] Ibid.

[viii] Ibid.

[ix] B’Tselem, “East Jerusalem,” November 11, 2017.

[x] “Sheikh Jarrah: Israel briefly detains Palestinian activist Muna al-Kurd and her brother Mohammed,” Middle East Eye, June 6, 2021.

[xi] Linah Alsaafin, “What is happening in occupied East Jerusalem’s Sheikh Jarrah?” Al Jazeera, May 1, 2021.

[xii] Ibid.

[xiii] Ibid.

[xiv] “Jordan gives PA documents to help prevent Israeli evictions in East Jerusalem,” Times of Israel, April 22, 2021.

[xv] Ibid.

[xvi] Peace Now, “Systematic dispossession of Palestinian communities in Sheikh Jarrah and Silwan,” May 2018.

[xvii] Ibid.

[xviii] Ibid.

[xix] Al-Haq, “Sheikh Jarrah Families Send Letter to the International Criminal Court Calling for Urgent Investigation of their Imminent Forced Displacement, Endorsed by 190 Organisations,” April 24, 2021.

[xx] B’Tselem, “East Jerusalem cleansing continues: Israel removes more Palestinian families, hands over their homes to settlers,” March 11, 2019.

[xxi] B’Tselem, “East Jerusalem,” November 11, 2017.

[xxii] Linah Alsaafin, “What is happening in occupied East Jerusalem’s Sheikh Jarrah?” Al Jazeera, May 1, 2021

[xxiii] “Evictions in Jerusalem Become Focus of Israeli-Palestinian Conflict,” New York Times, May 8, 2021.

[xxiv] Government of Canada, “Canada’s remarks at UN Human Rights Council Special Session to address the ‘Grave human rights situation in Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem,’” May 27, 2021.