Fiche-info 209, publiée en juin 2018 : Cette fiche-info revient sur la rivalité moderne entre l'Arabie saoudite et l'Iran en soulignant les objectifs géopolitiques de chacun. Cette fiche-info présente également les caractéristiques de cette "Guerre froide" saoudo-iranienne composées de nombreux conflits par procuration entre les deux pays. Finalement, cette fiche-info discute de la neutralité du Canada dans cette rivalité.

Fiche d’information : L’Arabie saoudite et l’Iran : une rivalité régionale

Série Fiche-info N.209, créée: Juin 2018, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient

Untitled_design.pngPourquoi l’Arabie saoudite et l’Iran sont-ils rivaux ?

La rivalité moderne entre l’Arabie saoudite et l’Iran remonte au début du 20ème siècle. Lorsque les puissances coloniales ont établi les frontières et se sont retirées, l’Arabie saoudite et l’Iran, à cause de leur taille et de leur richesse pétrolière, ont immédiatement commencé à rivaliser pour le contrôle régional.

Bien que cette rivalité soit principalement politique et économique, elle comprend également une composante religieuse inévitable. L’islam a deux courants principaux : le sunnisme et le chiisme. L’Arabie saoudite est une monarchie conservatrice sunnite[1] tandis que l’Iran est un régime révolutionnaire chiite. La révolution islamique en 1979 en Iran est généralement considérée comme un tournant décisif dans la rivalité moderne saoudo-iranienne[2]. Après la révolution iranienne, un gouvernement saoudien nerveux a commencé à persécuter les communautés chiites de l’est du pays qui réclamaient davantage de droits et de visibilité. Craignant un sentiment pro-iranien, la monarchie a déployé des efforts considérables pour pousser ces minorités religieuses en marge de la société saoudienne, en exécutant les dirigeants religieux et politiques chiites  et en réprimant les manifestants au fur et à mesure qu’ils se présentaient[3][4].

Pour leur part, les dirigeants iraniens considèrent le gouvernement saoudien wahhabite comme un régime corrompu de « faux musulmans » qui déforment la religion pour se conformer aux intérêts pro-occidentaux. De plus, ils n’apprécient pas le fait que les Saoudiens se présentent comme les leaders du monde musulman.

Bien que la religion joue un rôle important dans les relations saoudiennes-iraniennes, ce n’est pas l’élément moteur de la rivalité[5]. L’Arabie saoudite et l’Iran se font plutôt concurrence dans le domaine commercial, en particulier dans le secteur pétrolier. L’Arabie saoudite a de plus grandes réserves que l’Iran et choisit de garder ses prix bas. L’Iran, néanmoins, à cause d’une offre plus rare et des revers économiques causés par la guerre et les sanctions internationales, pousse à la hausse des prix. L’Arabie saoudite est également allée jusqu’à inonder le marché du pétrole, faisant chuter les prix à titre de sanction pour l’Iran parce qu’il avait dépassé ses quotas pétroliers[6]. Cela a abouti à une lutte de pouvoir au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).

Quels sont les objectifs géopolitiques de l’Arabie saoudite et de l’Iran ?

Les objectifs concurrents de l’Arabie saoudite et de l’Iran sont clairs : devenir la puissance politique, militaire et pétrolière régionale dominante. Les deux pays poursuivent des politiques militaristes risquées afin d’atteindre ces objectifs. L’Iran continue d’armer et de soutenir les entités chiites dans les conflits au Moyen-Orient dans l’espoir de placer ces groupes dans des positions de pouvoir afin d’élargir sa sphère d’influence. Pour sa part, l’Arabie saoudite promeut le wahhabisme conservateur autour du monde, et s’oppose activement aux mesures de l’Iran en soutenant financièrement et militairement les groupes opposés.

Même si les deux pays prétendent vouloir la fin des tensions régionales, l’Iran a récemment pris une approche plus diplomatique que l’Arabie saoudite. Les Iraniens ont réélu Hassan Rouhani comme président. Il promeut une politique de « bon voisinage » qui avait permis aux deux pays rivaux de rétablir des relations diplomatiques dans les années 1990. Néanmoins, le nouveau prince héritier de l’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salmane (MbS)[7], connu pour être imprévisible et réactionnaire, agit de manière plus provoquante dans son désir apparent de dominer la région[8].

Comment est-ce que cette rivalité se manifeste ?

Les décennies de tensions entre les deux puissances régionales se sont manifestées dans des relations bilatérales très tendues. Les relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran ont été rompues pour la première fois en 1987 après la répression saoudienne contre des manifestants chiites lors du pèlerinage annuel des musulmans à la Mecque qui a provoqué une bousculade entraînant la mort de 450 pèlerins, la plupart Iraniens. Les tensions se sont apaisées dans les années 1990, mais ont été ravivées après une bousculade similaire en 2016 qui a provoqué la mort de 2000 pèlerins. La situation s’est aggravée l’année suivante lorsque l’Arabie saoudite a exécuté un célèbre dirigeant politique chiite qui dirigeait des manifestations antigouvernementales dans l’est du pays. Les manifestants iraniens ont réagi en brulant l’ambassade saoudienne à Téhéran[9]. Depuis, les relations diplomatiques entre les deux nations sont demeurées hostiles[10]. Nombreux sont ceux qui considèrent l’antagonisme entre les deux nations comme une « Guerre froide » irano-saoudienne en raison de l’ingérence dans les affaires politiques régionales, de la prolifération des armes et de l’affrontement par substitution. L’Arabie saoudite a même menacé de développer des armes nucléaires si l’Iran poursuivait son propre programme nucléaire[11].

Cette rivalité se manifeste par une série de conflits par procuration au Moyen-Orient. Le premier de ces conflits s’est déroulé au cours des huit années de guerre entre l’Irak et l’Iran dans les années 1980. Craignant une victoire iranienne, l’Arabie saoudite a versé une aide financière et militaire à l’Irak de Saddam Hussein, prolongeant ainsi cette guerre débilitante et meurtrière[12].

Un autre foyer de la rivalité saoudo-iranienne a été le Liban. Le Hezbollah, la milice libanaise chiite et parti politique, entretient des liens étroits avec l’Iran et exerce une forte influence sur les zones à majorité chiite du Liban[13]. Il a également un allié puissant dans le régime dominé par les Alaouites en Syrie. La rivalité a pris de l’importance en 2005 durant la révolution du Cèdre, lorsque la société civile libanaise a protesté contre l’influence de la Syrie sur le gouvernement libanais. La rivalité s’est à nouveau aggravée en novembre 2017 lorsque l’Arabie saoudite a forcé la démission temporaire du premier ministre libanais Saad Hariri. Le geste a été vu comme une tentative par l’Arabie saoudite de montrer son influence sur les affaires d’un pays qui a longtemps été le bastion de l’influence iranienne[14][15].

La Syrie et le Yémen sont présentement les lieux où l’hostilité saoudo-iranienne se manifeste le plus. En Syrie, l’Iran soutient le régime d’Al-Assad. En revanche, l’Arabie saoudite est connue pour fournir des armes à différentes factions rebelles, et supposément au groupe sunnite extrémiste al-Nosra[16]. Au Yémen, un scénario similaire se joue. L’Arabie saoudite a accusé l’Iran de fournir une assistance militaire à la milice rebelle chiite des Houthis, et a réagi en lançant une campagne militaire contre les Houthis[17]. Les frappes saoudiennes ont provoqué la mort de milliers de civils au Yémen[18], et son blocus du pays a provoqué l’une des pires crises humanitaires dans le monde, en effet plus de 22 millions de yéménites ont un besoin urgent d’aide humanitaire[19].

La rivalité s’est également manifestée dans le blocus du Qatar par l’Arabie saoudite et ses alliés régionaux. Sans surprise, le supposé déclencheur du blocus était les commentaires présumés de l’émir qatari exprimant des sentiments pro-iraniens[20].

Le Canada a-t-il pris parti sur la question ?

L’Iran et l’Arabie saoudite sont tous les deux connus pour leurs violations aux droits de la personne avec des politiques interventionniste au Moyen-Orient que le Canada devrait condamner. Pourtant, le Canada n’a pas encore pris de position officielle sur cette rivalité, ses actions démontrent une forte préférence pour l’Arabie saoudite. En 2012, le gouvernement Harper a rompu les liens avec l’Iran, supposément à cause de la rhétorique hostile de l’Iran envers Israël. Même la possibilité de rétablir ces relations a récemment été écartée par les politiciens canadiens[21]. Les députés ont également poussé à la condamnation du programme nucléaire iranien et le premier ministre Trudeau s’est opposé à l’implication de l’Iran dans les guerres régionales par procuration[22]. En revanche, le Canada est en bon terme avec l’Arabie saoudite, et ne voit apparemment pas d’inconvénients à vendre des milliards de dollars en armes à un pays réputé pour ses violations aux droits fondamentaux de ses citoyens[23], pour son exportation de la théologie wahhabite extrêmement conservatrice, et pour son soutien aux milices en Syrie et peut-être ailleurs.

 

 

[1] For more information, see CJPME Factsheet No. 201 Saudi Arabia and Wahhabism, June 2011.

[2] James Devine, “Lessons from the Past: The Saudi Iranian Crisis in Historical Perspective,” Canadian Political Science Association Annual Conference, Toronto, ON: 31 May, 2017.

[3] Frederic Wehrey, et al. Saudi-Iranian Relations Since the Fall of Saddam: Rivalry, Cooperation, and Implications for U.S. Policy, Santa Monica, CA: Rand Corporation, 2009: 14.

[4] “Saudi Arabia cuts diplomatic ties with Iran,” Aljazeera News, 4 Jan, 2016.

[5] Frederic Wehrey, et al. Saudi-Iranian Relations Since the Fall of Saddam: Rivalry, Cooperation, and Implications for U.S. Policy, Santa Monica, CA: Rand Corporation, 2009: 11.

[6] James Devine, “Lessons from the Past: The Saudi Iranian Crisis in Historical Perspective,” Canadian Political Science Association Annual Conference, Toronto, ON: 31 May, 2017.

[7] For more information, see CJPME Factsheet No. 208 Saudi Crown Prince Muhammad bin Salman, June 2011.

[8] James Devine, “Lessons from the Past: The Saudi Iranian Crisis in Historical Perspective,” Canadian Political Science Association Annual Conference, Toronto, ON: 31 May, 2017.

[9] “Saudi Arabia cuts diplomatic ties with Iran,” Aljazeera News, 4 Jan, 2016.

[10] James Devine, “Lessons from the Past: The Saudi Iranian Crisis in Historical Perspective,” Canadian Political Science Association Annual Conference, Toronto, ON: 31 May, 2017.

[11] Harvey Gavin, “World War 3 WARNING: Saudi Arabia Reveals Nuclear Ambitions Amid Fears of Atomic Arms Race,” Express, 10 May, 2018.

[12] James Devine, “Lessons from the Past: The Saudi Iranian Crisis in Historical Perspective,” Canadian Political Science Association Annual Conference, Toronto, ON: 31 May, 2017.

[13] Frederic Wehrey, et al. Saudi-Iranian Relations Since the Fall of Saddam: Rivalry, Cooperation, and Implications for U.S. Policy, Santa Monica, CA: Rand Corporation, 2009: 80.

[14] Nahlah Ayed, “Lebanon Again Dangerously at Mercy of Saudi Arabia-Iran Rivalry,” CBC News, 13 Nov, 2017.

[15] Jonathan Marcus, “Why Saudi Arabia and Iran are Bitter Rivals,” BBC News, 18 Nov, 2017.

[16] Jonathan Marcus, “Why Saudi Arabia and Iran are Bitter Rivals,” BBC News, 18 Nov, 2017.

[17] Thomas Juneau, “Iran’s Policy Towards the Houthis in Yemen: A Limited Return on a Modest Investment,” International Affairs, Vol. 92, No. 1, 1 May, 2016: 647.

[18] “900 Days of Aggression in Yemen,” Al-Masdar News, 14 September, 2016.

[19] UNOCHR: United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (https://reliefweb.int/report/yemen/yemen-humanitarian-bulletin-issue-30-28-january-2018-enar)

[20] Declan Walsh, “Wealthy Qatar Weathers Siege, but Personal and Political Costs Grow,” The New York Times, 2 July, 2017.

[21] Trudeau, J. (2010, Jun 13). “Iran.” Canada. Parliament. House of Commons. Edited Hansard 318. 42nd Parliament, 1st Session.

[22] Trudeau, J. (2010, Jun 13). “Iran.” Canada. Parliament. House of Commons. Edited Hansard 318. 42nd Parliament, 1st Session.

[23] Steven Chase & Robert Fife, “Saudis appear to be using Canadian-made combat vehicles against Yemeni Rebels,” The Globe and Mail, 22 Feb, 2016.

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