Fiche-info 208, publiée en juin 2018: Mohammed Ben Salmane, surnommé MbS, est devenu le prince héritier de l'Arabie saoudite après sa montée au pouvoir en 2017. Cette fiche-info revient sur la manière dont il a modifié les politiques nationales et régionales et sur la réaction du Canada à ces changements.

Fiche d’information : Le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane

Série Fiche-info N.208, créée:juin 2018, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient

mbsfsimage.pngQui est MbS ?

Le prince Mohammed ben Salman, surnommé MbS, est le fils du roi Salmane d’Arabie saoudite. Le roi Salmane a cassé la tradition en nommant son neveu, Mohammed ben Nayef, prince héritier.  Néanmoins, en 2017, il le remplace par son propre fils, Mohammed. C’est la première fois dans l’histoire saoudienne qu’un fils est autorisé à succéder à son propre père comme roi [i].

MbS a depuis pris de nombreuses mesures agressives pour consolider et centraliser son pouvoir, en commençant par arrêter des dizaines d’intellectuels, de ministres et de membres de la famille royale dissidents. Tout en réduisant les dépenses publiques, il continue à dépenser des sommes extravagantes pour ses besoins personnels, comme le montre l’achat d’une peinture de 500 millions de dollars et d’un yacht[ii] de 766 millions de dollars. Bien qu’il ne soit pas encore roi, le prince héritier MbS est largement reconnu comme étant la « voix du Royaume », et a promulgué des changements gouvernementaux drastiques et des réformes au nom de son père[iii].

Comment l’Arabie saoudite a-t-elle changé depuis que MbS a pris le pouvoir ?

Beaucoup ont attiré l’attention sur les réformes sociales tapageuses qui sont entrées en vigueur dans le Royaume quand MbS a accédé au pouvoir. Néanmoins, ces réformes ne sont pas aussi progressives et positives qu’elles semblent être en surface; de nombreuses « réformes » n’apportent presque rien en termes de changement concret et semblent motivées par des intentions douteuses. Par exemple, les femmes ont maintenant le droit d’assister aux événements sportifs, et les premières femmes saoudiennes à obtenir un permis de conduire ont commencé à conduire fin juin 2018, mais les femmes sont encore obligées de s’asseoir dans des sections « familiales » isolées dans les stades, et de nombreuses militantes qui revendiquaient à l’origine le droit de conduire sont encore emprisonnées par le régime saoudien. Qui plus est, les femmes saoudiennes vivent encore sous le cadre de lois de tutelle masculine strictes et autoritaires qui les privent de leur indépendance et de leur liberté de choix et de mouvement. Rien ne laisse à penser que MbS accordera plus d’importance aux droits de la personne que ses prédécesseurs. En réalité, le taux d’exécution de l’Arabie saoudite, qui est déjà l’un des plus élevé au monde, a doublé depuis que MbS est arrivé au pouvoir[iv]. En outre, par exemple, sous le régime de MbS, presque tous les membres de l'association saoudienne des droits civils et politiques ont été emprisonnés[v]. En effet, de nombreux militants ont été emprisonnés simplement pour avoir défendu les droits de leurs amis et des membres de leur famille en prison[vi].

Selon un autre exemple, il semblerait que Jamal Khashoggi, un ressortissant saoudien travaillant pour le Washington Post, ait été assassiné à l’intérieur du consulat saoudien à Istanbul. Khashoggi écrivait pour le Washington Post, et était souvent critique du régime saoudien dans ses articles[vii]. Les autorités turques prétendent posséder des preuves confirmant le meurtre de Khashoggi au consulat saoudien. Ce n’est pas la première fois que MbS cible ses détracteurs. En septembre 2018, le dissident saoudien Omar Abdulaziz, résidant maintenant au Canada, a appris que les Saoudiens surveillaient ses communications[viii]. Ces affaires soulignent l’hypersensibilité de MbS face aux critiques, ainsi que sa détermination à dépasser les frontières saoudiennes pour faire taire les dissidents.

MbS a également initié une série d’enquêtes et de purges des fonctionnaires corrompus qui semblent motivées par le pouvoir plutôt que par la morale. Par exemple, MbS a commencé à modifier la relation symbiotique de la monarchie saoudienne avec le clergé wahhabite, et de nombreux observateurs craignent que la relation ne se détériore. L’arrestation de clercs wahhabites[ix] laisse penser que les « réformes » de MbS n’étaient que des initiatives politiques visant à consolider le pouvoir de la monarchie.

Sous le règne de MbS, l’Arabie saoudite s’est également concentrée sur les progrès économiques et technologiques grâce à des programmes tels que Vision 2030 – un plan pour faire évoluer l’économie saoudienne vers l’innovation technologique et le développement. Le Royaume prévoit également une mégapole destinée à devenir la « Silicon Valley saoudienne ». Ce plan privatisera de nombreux secteurs de l’économie saoudienne, et brisera l’industrie pétrolière nationale.  En revanche, cette privatisation pourrait entraîner une perte d’avantages et de services publics pour les Saoudiens ordinaires.

Comment est-ce que les politiques régionales ont été affectées par la politique étrangère de MbS ?

Sous le règne de MbS, les décisions de politique étrangère sont passées de mesurées et collectives à arbitraires et imprévisibles. MbS a progressivement détourné le pouvoir de son père et de ses conseillers et a pris en charge des affaires régionales et internationales cruciales. Maintenant, il « possède […] un degré de pouvoir sans précédent dans l’histoire saoudienne » [x]. MbS a été au centre de nombreuses débâcles de politique étrangère, incluant son aggravation de la guerre du Yémen, le blocus du Qatar, et le rôle étrangement personnel qu’il a joué dans la démission du premier ministre libanais Saad Hariri. La plupart des décisions de politique étrangère prises par MbS tournent autour de la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran, et visent à accroître l’influence saoudienne et le contrôle saoudien dans la politique régionale[xi].

Rien n’a été plus percutant dans le programme de MbS en tant que leader des affaires régionales que sa décision de soutenir le gouvernement yéménite contesté d’Abd Rabbo Hadi. MbS a perpétué la guerre civile en essayant d’empêcher les rebelles houthis de renverser le gouvernement Hadi, sympathisant saoudien. Le Conseil de coopération du Golfe (CCG), une organisation qui comprend la plupart des pays du Golfe, a légitimé la position de force de l’Arabie saoudite dans la région et a apporté son soutien aux premières frappes militaires de l’Arabie saoudite au Yémen en 2015[xii]. Depuis, l’armée de MbS a été extrêmement agressive et imprudente; les frappes aériennes saoudiennes ont tué plus de 13 600 civils yéménites depuis le début de leur incursion[xiii], et un blocus saoudien important du Yémen a lentement affamé le pays. Actuellement, plus de 22,2 millions de Yéménites, soit plus de 80% de la population, ont besoin d’aides humanitaires[xiv].

Lorsque d’autres pays du Golfe prennent des positions dissidentes à l’égard des actions de l’Arabie saoudite, la sanction est rapide et dramatique. En mai 2017, l’Arabie saoudite et trois alliés du CCG ont soudainement lancé un blocus diplomatique et économique contre le Qatar après avoir accusé l’émir du Qatar d’exprimer des sentiments pro-iraniens[xv]. Malgré la consternation internationale, la coalition menée par l’Arabie saoudite a demandé au Qatar de minimiser ses relations diplomatiques avec l’Iran et de fermer son agence de presse officielle Al-Jazeera, entre autres – ces demandes ont été rejetées par le Qatar[xvi].

 

[i] G.C., “The rise of Muhammad bin Salman,” The Economist, le 14 nov. 2017.

[ii] Peter Walker, “Saudi Prince Mohammed bin Salman ‘buys £452m yacht’ but Slashes Public Spending,” Independent, le 18 oct. 2016.

[iii] Umer Karim, “The Evolution of Saudi Foreign Policy and the Role of Decision-making Processes and Actors,” The International Spectator, Vo.52 No.2, 2017.

[iv] Azeezah Kanji, “Saudi Crown Prince is a Pauper on Human Rights,” The Star, le 30 mai 2018.

[v] “ACPRA Trials.” ALQST. Le 14 août 2017.

[vi] “Can’t Stop My Tears.” Al-Araby. Le 10 juin 2018.

[vii] Nic Robertson, “Khashoggi’s fate could sink MBS in brutal Saudi politics,” CNN, le 12 oct. 2018.

[viii] Collin Freeze, “Government agents likely affiliated with Saudi Arabia spying on dissident in Canada, Citizen Lab alleges,” The Globe and Mail, le 1er oct 2018.

[ix] Voir la fiche d’information 201 de CJPMO : Saudi Arabia and Wahhabism, juin 2011.

[x] Umer Karim, “The Evolution of Saudi Foreign Policy and the Role of Decision-making Processes and Actors,” The International Spectator, Vol. 52, No. 2 (2017): 77

[xi] Anne Barnard and Maria Abi-Habib, “Why Saad Hariri had that Strange Sojourn in Saudi Arabia,” The New York Times, le 24 dec 2017.

[xii] Umer Karim, “The Evolution of Saudi Foreign Policy and the Role of Decision-making Processes and Actors,” The International Spectator, Vol. 52, No. 2 (2017): 73

[xiii] Al-Masdar (https://www.almasdarnews.com/article/900-days-aggression-yemen-34072-yemeni-civilians-martyrs-wounded/)

[xiv] UNOCHR: United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (https://reliefweb.int/report/yemen/yemen-humanitarian-bulletin-issue-30-28-january-2018-enar)

[xv] Jason Lemon, “What’s Happening with Qatar Crisis? The Blockade Explained One Year On,” Newsweek, le 4 juin 2018.

[xvi] Declan Walsh, “Wealthy Qatar Weathers Siege, but Personal and Political Costs Grow,” The New York Times, le 2 Juillet 2017.

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