Fiche-info 193, publiée en avril 2015: Cette fiche-info traite de la guerre civile de 2015 au Yémen. Le document revient donc sur les origines du conflit, les conséquences du Printemps et arabe et les causes de l’instabilité politique ayant suivi. Avant de terminer sur les différents partis s’opposant dans le conflit.

Guerre civile de 2015 au Yémen

Série Fiche-info N.193, créée: Avril 2015, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient
 

yemen.jpgyemen.jpgQuelle est l’origine du conflit de 2015 au Yémen?

Même s’il est considéré comme un pays du Golfe persique, le Yémen n’a pas la stabilité autoritariste ni la fortune qui caractérisent ses voisins. En dépit de ses exportations de pétrole, le pays demeure relativement pauvre et il a subi plusieurs changements politiques depuis l’indépendance du Nord en 1962 et du Sud en 1967[1][2]. Le pays a été réunifié en 1990, mais les conditions de la réunification n’ont jamais plu au camp du Sud, si bien qu’une guerre de sécession a éclaté en 1994[3]. Depuis la fin de la guerre civile dans les années 1990, le Yémen est passé sous la gouverne d’Ali Abdullah Saleh. Dans les années 1990, l'exploitation des champs pétrolifères a permis au président Saleh d’asseoir son pouvoir grâce au favoritisme politique et au néopatrimonialisme. Toutefois, la distribution des richesses a été fort inégale – elle a profité au camp du Nord ainsi qu’à la tribu Hashid du président Saleh. Or, ces richesses ont été amassées grâce à des expropriations de terres au sud du pays regorgeant d’or noir[4]. Ces inégalités de revenus sont vite devenues la source d’un vif mécontentement envers le régime et elles sont en partie à l’origine des protestations qui ont agité le pays lors du Printemps arabe de 2011.[5]

Il faut également noter que, pendant son règne, Saleh a souvent utilisé la situation géopolitique du Yémen et la menace d’Al Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) pour permettre l’intervention étrangère contre les groupes rebelles. Par exemple, en 2009, le président a permis aux forces armées saoudiennes d’entrer au pays pour mater une rébellion houthie, invoquant la possibilité que la crise ne se transporte en Arabie Saoudite. Il a alors[6]. Des exemples de ce genre sont essentiels pour mieux comprendre les origines de la guerre civile de 2015.

 

Quelles sont les conséquences du Printemps arabe au Yémen?

Au Yémen, diverses demandes de réformes sociales ont eu lieu bien avant le Printemps arabe. Des manifestants sont descendus dans la rue dès 2008 pour exiger une meilleure gouvernance[7]. Cependant, les manifestations à grande échelle n’ont débuté qu’en 2011, dans la foulée des soulèvements populaires en Égypte et en Tunisie[8]. La riposte des autorités fut fort violente : les forces armées ont tué des dizaines de manifestants en mars 2011. Toutefois, plutôt que d’éteindre le mouvement, la violence des autorités a plutôt conduit à une plus grande mobilisation de la population et résulté en ce que l’on pourrait qualifier de soulèvement de masse[9]. Qui plus est, en raison de l’accumulation des richesses dans les mains de la famille Saleh et de sa tribu, plusieurs vétérans membres de l’élite politique ont déserté le parti. En mai 2011, la situation est devenue si instable que le président Saleh a pour la première fois été dans l’obligation de réfléchir aux nombreuses propositions de transfert pacifiste du pouvoir suggérées par le Conseil de coopération du Golfe (CCG)[10]. Blessé lors d’une attaque à la voiture piégée en juin, le président Saleh a finalement décidé de quitter ses fonctions en novembre et de céder le pouvoir à son vice-président  Abdrabbuh Mansour Hadi[11].

 

Comment a-t-on basculé dans la violence?

Le traité de paix élaboré par le CCG et ses alliés visait à ramener un certain niveau de stabilité politique au Yémen. Toutefois, le président Hadi s’est montré incapable d’intégrer différents groupes au gouvernement, notamment les Houthis[12]. Les chefs de la rébellion chiite houthie sont originaires du nord du Yémen et se disent descendants du prophète Mahomet. Ils utilisent fréquemment cette idée pour mobiliser les fidèles et pour critiquer le gouvernement. De ce fait, l’inclusion des Houthis au gouvernement est une condition sine qua non pour l’atteinte d’un certain équilibre politique dans le pays[13]. Par ailleurs, le gouvernement Hadi et les Houthis ont tous deux été confrontés à la montée de la menace de l’AQPA, une situation à l’origine de plusieurs bombardements de drones américains à travers tout le pays[14].

Durant l’été 2014, le gouvernement Hadi a voté pour l’abolition des subventions sur l’essence – une mesure qui avait le potentiel d’entraîner une sévère hausse des prix à la pompe. Cela ajouté à un contexte politique des plus instables, des milliers de partisans houthis sont descendus dans la rue pour revendiquer la chute du gouvernement, pour dénoncer la corruption et pour demander le maintien des subventions sur l’essence[15]. Les manifestations se sont transformées en assauts de groupes rebelles contre divers établissement gouvernementaux dans la capitale Sanaa[16].

En réponse aux agitations grandissantes, le président Hadi a invité les Houthis à rejoindre un gouvernement de coalition. Les deux parties ont fini par signer un accord de paix négocié par l’envoyé spécial de l’ONU au Yémen, Jamal Benomar. Malgré cela, des groupes rebelles houthis ont continué à s’emparer de divers territoires. La violence a de nouveau resurgi en janvier 2015 lors du dévoilement d’une première ébauche de constitution, les deux parties étant incapables d’en arriver à un compromis[17].

Les Houthis se sont alors emparés de la télévision nationale et de violents heurts les ont opposés aux responsables de la sécurité. En février, ils ont pris d’assaut le palais de la république dans ce que plusieurs qualifient de coup d’État de facto[18] [19]. Le président Hadi, qui avait abdiqué après ces événements, a par la suite pris la fuite vers sa ville natale, Aden. Il a alors renoncé à son abdication et essayé de se raccrocher à n’importe quelle source du pouvoir avant de reprendre la fuite, cette fois vers Riyad, vers la fin du mois de mars[20].

 

Qui s’oppose dans le conflit au Yémen?

Tel que décrit ci-haut, la guerre civile actuelle origine, en grand partie, d’un conflit entre l’ancien gouvernement Hadi et les rebelles houthis. Toutefois, le conflit implique dorénavant plusieurs autres groupes à travers le pays.

Comme nous l’évoquions précédemment, l’Arabie Saoudite a depuis longtemps un grand intérêt dans la politique interne du Yémen, notamment en raison de la longue frontière qui sépare les deux pays[21] [22]. Dans le climat actuel, le gouvernement saoudien est particulièrement préoccupé à l’idée que la violence ne traverse la frontière. L’Arabie Saoudite ne craint pas seulement la rébellion houthie, mais elle s’inquiète aussi des gains territoriaux d’AQPA au Yémen[23]. En mars 2015, le CCG, à l'initiative de l’Arabie Saoudite, a procédé à des frappes aériennes pendant plusieurs semaines contre les Houthis[24].

Les rebelles houthis, de leur côté, reçoivent du financement de l’Iran, la principale puissance chiite de la région. Contrairement à ce que pensent plusieurs, des chercheurs affirment que les Houthis n’agissent pas forcément par procuration pour servir les intérêts de l’Iran. Les Houthis forment un groupe yéménite dont les revendications datent d’avant la réunification. Même s’ils reçoivent du financement de l’Iran, les experts considèrent que le groupe a son propre ordre du jour[25].

En plus de subir l’intervention militaire de l’étranger, le Yémen doit maintenant faire face à la montée de plusieurs groupes extrémistes qui ont profité de la dissolution du gouvernement officiel en janvier. AQPA, déjà présent depuis plusieurs années, a notamment été en mesure d’accroître sa zone d’influence et d'assurer sa mainmise sur certaines ressources. Le groupe agit souvent à découvert[26]. Récemment, le groupe armé État islamique (EI) a revendiqué la responsabilité pour un certain nombre d’attaques terroristes au Yémen. Plusieurs s’inquiètent à savoir si le groupe est officiellement entré au pays[27].

Même si les États-Unis ne sont pas partie prenante dans le conflit, ils ont néanmoins un intérêt certain dans le devenir du pays. À l’instar de l’Arabie Saoudite, plusieurs organismes de renseignement de l’Occident s’inquiètent de la menace d'AQPA. Dans le passé, les États-Unis profitaient de leur relation cordiale avec le gouvernement Hadi pour échanger des renseignements et pour mener des frappes de drone contre l’AQPA au Yémen. Depuis la fuite de Hadi à Riyad, les Américains voudraient s’assurer que l’AQPA n’ait pas la possibilité d’étendre ses opérations[28].

Récemment, d’autres pays du Moyen-Orient ont montré leur intérêt pour le Yémen. L’Égypte, la Jordanie, le Maroc et le Soudan ont ainsi participé aux interventions du CCG mentionnées précédemment. L’Égypte est particulièrement inquiétée par la guerre civile au Yémen en raison de la géolocalisation stratégique de ce dernier. Le Yémen est en effet situé directement sur le détroit Bab-el-Mandeb qui relie la Mer Rouge au Golfe d’Aden. L’Égypte et l’Arabie Saoudite s’inquiètent qu’une prise de pouvoir par les Houthis ne crée de l’agitation dans le détroit et compromette l’accès commercial[29].



[1] Brynen, Rex et al. Beyond the Arab Spring: Authoritarianism & Democratization in the Arab World.Boulder: Lynne Rienner Publishers, 2012. p. 86.

[2] “Yemen Profile: Timeline.” BBC News. 1er avril 2015.

[3] Ibid, Brynen et al. p. 86.

[4] Ibid, p. 87.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Ibid., BBC News.

[8] “Arab Spring: A Research and Study Guide: Yemen.” CornellUniversity Library. Juin 2011.

[9] Thiel, Tobias. “Yemen’s Arab Spring: From Youth Revolution to Fragile Political Transition.” LSE Ideas Special Report: After the Arab Spring: Power Shift in the Middle East? Mai 2012.

[10] Ibid.

[11] Ibid., BBC News.

[12] Johnsen, Gregory D. “Why Yemen’s political implosion is dangerous for the U.S.” PBS Newshour. 22 janvier 2015.

[13] Ibid., Brynen et al., p. 86.

[14] Ibid., BBC News.

[15] Salisbury, Peter. “Yemen capital hit by anti-government rallies.” Al Jazeera English. 20 août 2014.

[16] Al Batati, Saeed. “Who are the Houthis in Yemen?” Al Jazeera English. 29 mars 2015.

[17] Ibid.

[18] Ibid., BBC News.

[19] “Yemen’s Houthis form own government in Sanaa.” Al Jazeera English. 6 février 2015.

[20] Al-Haj, Ahmed and Maggie Michael. “Yemen President Abed Rabbo Mansour Hadi Flees Home As Rebels Close In.” The Huffington Post. 25 mars 2015.

[21] “Yemen Crisis: Who is fighting whom?” BBC News. 26 mars 2015.

[22] Ibid., Brynen et al., p. 86-88.

[23] Ibid., Johnsen.

[24] “Iran vows to end Saudi-led air strikes on Yemen rebels.” Al Jazeera English. 15 avril 2015.

[25] Ibid., Johnsen.

[26] Ibid.

[27] “ISIS claims increasing stake in Yemen carnage.” CBS News. 23 mars 2015.

[28] Ibid., BBC News, “Yemen Crisis: Whom is fighting who?”

[29] Ibid.

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