Fiche-info 192, publiée en Avril 2015: Cette fiche-info traite de l’islamophobie au Canada, et du fait qu’elle soit promulguée par les institutions gouvernementales,  ainsi que par la société en générale. 

L'islamophobie au Canada

Série Fiche-info N.192, créée: Avril 2015, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient
 
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192.pngQu’est-ce que l’islamophobie?

Le terme « islamophobie » a été utilisé pour une première fois en 1997 pour décrire une « hostilité sans fondement envers les musulmans qui se manifeste dans la crainte et l’animosité envers ces derniers[1]. » Or, des recherches plus récentes tendent à élargir cette définition pour y inclure la discrimination envers tout individu qui semble musulman en raison de son habillement, de la couleur de sa peau, de son nom, de son accent ou en raison d’autres codes culturels[2] [3]. L’islamophobie n’est pas rare dans les sociétés occidentales,  notamment au Canada. Un sondage d’Angus Reid de 2013 révélait que 54 pour cent des Canadiens voyaient l’islam défavorablement. Au Québec, cette statistique grimpait à 69 pour cent[4].

 

De quelle façon les gouvernements sanctionnent-ils l’islamophobie au Canada?

L’islamophobie affecte les gens de différentes façons. Dans un rapport publié récemment par la Fondation CJPME, les chercheurs témoignaient d’une  tendance à l’islamophobie sanctionnée par l’État. L’islamophobie est particulièrement néfaste lorsqu’elle menace l’obtention de la citoyenneté, l’accès à l’emploi et l’intégration communautaire[5].

L’obtention de la citoyenneté : En matière de citoyenneté, certaines politiques de Citoyenneté et immigration Canada sont discriminatoires envers des personnes aux pratiques religieuses particulières. Par exemple, les lois en place prescrivent qu’ « il faut confirmer l’identité des candidats à la citoyenneté qui se présentent avec un voile couvrant partiellement ou totalement le visage. […]On doit indiquer aux candidats qu’ils devront retirer leur voile pendant la prestation du serment[6]. » Malgré un bilan généralement positif du Canada en matière de libertés civiles et religieuses, l’exigence de retirer un vêtement religieux pour obtenir la citoyenneté canadienne laisse croire qu’une personne ne pourrait vivre pleinement son culte tout en devenant citoyen canadien. Ceci est d’autant plus vrai pour une femme musulmane. À ce propos, le juge à la cour fédérale Keith Boswell s’est opposé à cette mesure de la cérémonie d’assermentation qu’il a déclarée illégitime[7].

Les musulmans ont aussi vu leur accès à la citoyenneté restreint par d’autres moyens. Après s’être engagé à accueillir un certain nombre de réfugiés syriens victimes de la guerre civile, le gouvernement canadien a annoncé qu’il allait prioriser les dossiers d’immigration des personnes appartenant aux minorités religieuses. L’Organisation des Nations Unies et Amnistie Internationale ont toutes deux vivement critiqué cette mesure qui semble conçue pour favoriser certains groupes religieux au détriment des réfugiés syriens musulmans[8].

L’accès à l’emploi : Les musulmans canadiens font également face à la discrimination de certaines institutions gouvernementale dans leur accès à l’emploi. La Charte des valeurs québécoises[9], proposée à l’automne 2013 par le Parti Québécois, aurait gravement nuit à l’employabilité des musulmans, notamment parce qu’il aurait interdit le port de vêtements religieux dans la fonction publique[10]. Même si le projet de loi n’a jamais été adopté, il témoigne de la paranoïa grandissante de la société canadienne envers les symboles de l’islam et envers les musulmans en général. 

Ce malaise est aisément perceptible dans l’analyse d’un incident survenu plus tôt cette année dans les bureaux d’Emploi Québec. Ce jour-là, un employé du gouvernement a dit à une femme musulmane qu’elle ne décrocherait pas d’emploi si elle continuait à porter le hijab. L’employé lui a déclaré : « […] nous vivons dans une société libérale et laïque. […] Vous devez aller dans un pays arabe pour trouver un emploi. Vous avez décidé de vous ghettoïser, et c’est votre problème[11]. »

L’intégration communautaire : Une troisième forme d’islamophobie s’immisce dans les institutions gouvernementales canadiennes. Elle prend la forme de barrières à l’intégration communautaire. Par exemple, dans la ville de Shawinigan, au Québec, le conseil municipal a refusé de changer le zonage d’un parc industriel pour bloquer l’ouverture d’une mosquée. Le maire a déclaré que des « peurs irrationnelles »[12] auraient mené à cette décision. Des incidents du même ordre ont eu lieu dans d’autres municipalités du Québec en dépit du fait que la « discrimination par zonage » est strictement illégale[13].

Peu de temps après l’incident susmentionné, une juge du Québec a refusé d’entendre la cause d’une femme musulmane qui refusait de retirer son hijab. Il va sans dire que les minorités religieuses  doivent avoir accès au système judiciaire pour s’intégrer à la société[14].

Des incidents du genre sont la preuve que l’islamophobie s’est infiltrée dans les institutions gouvernementales et qu’elle nuit souvent à l’intégration des communautés musulmanes, symboliquement et dans la réalité.

 

Comment l’islamophobie se fait-elle sentir dans la société canadienne?

Tandis que l’islamophobie sanctionnée par le gouvernement se révèle de façon évidente,  la peur des musulmans se fait souvent sentir de façon plus  subtile dans des gestes de racisme ordinaire.  Même si les lois canadiennes interdisent la discrimination en fonction de l’origine ethnique ou de l’appartenance religieuse, le taux de chômage est beaucoup plus élevé, à compétence égale, chez les musulmans que dans le reste de la population. Qui plus est, une étude de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec datant de 2012 a démontré que les candidats qui portent un nom à consonance québécoise ou canadienne avaient 1,63 fois plus de chance d’être rappelés par un employeur que les candidats de compétences égales dont le nom est d’origine arabe[15].

Le cas d’Hérouxville, au Québec, est un autre exemple d’islamophobie.  En 2007, les autorités de la municipalité ont adopté un code de vie pour les nouveaux arrivants, même si la ville ne compte pratiquement aucun étranger ni minorité visible. L’étrange document visait distinctement les musul-mans car il interdisait le port du voile et la pratique de gestes archaïques parfois associés aux stéréotypes sur l’islam[16].

Même si l’islamophobie semble davantage présente au Québec qu’ailleurs au pays, des mosquées de villes comme Vancouver et Hamilton ont été vandalisées au cours des dernières années. Autre exemple d’islamophobie : le magazine canadien Maclean’s a publié en 2006 un texte argumentatif de 4800 mots dans lequel on affirmait que les musulmans représentent une « menace démographique, culturelle et sécuritaire pour l’Occident[17]. »

 

En quoi l’islamophobie est-elle un problème d’actualité?

L’islamophobie se transforme au fil des années. Depuis l’époque du colonialisme européen, les musulmans, comme d’autres communautés ethniques et religieuses, sont perçus comme étant « différents » au sein des sociétés dominantes. Plusieurs musulmans occidentaux ont constaté une montée de l’islamophobie depuis les attentats du 11 septembre 2001[18]. Un sondage mené par la maison Ipsos Reid en 2001 confirme ce sentiment. Il révèle que 60 % des Canadiens croyaient que les musulmans faisaient face à davantage de discrimination que dix ans auparavant[19]. Plusieurs chercheurs universitaires ont attribué cette montée de l’islamophobie à une association erronée entre personnes de confession musulmane, violence et terrorisme[20].

Ces dernières années, les images de gestes violents commis par des groupes se proclamant de l’islam se sont multipliées dans les médias. L’émergence du groupe armé État islamique (souvent désigné sous les acronymes EI ou Daech) et la couverture médiatique dont il est l’objet contribuent à renforcer les préjugés négatifs et les stéréotypes associés à l’islam. Al-Shabaab, Boko Haram et les Talibans causent un tort similaire à l’image des musulmans.  Bien que l’aversion éprouvée à l’endroit des actes terroristes perpétrés par ces groupes soit compréhensible, il est cependant fort injuste de châtier nos paisibles voisins musulman-canadiens pour les crimes de tels groupes armés. En fait, d’influents leaders musulmans occidentaux condamnent régulièrement les gestes de ces groupes d’outremer[21].

 

Comment combattre l’islamophobie?

La Fondation CJPME recommande au gouvernement de faire tout en son possible pour mettre en œuvre les garanties légales et constitutionnelles existantes contre la discrimination basée sur l’origine ethnique et la religion. La Fondation CJPME propose également au gouvernement d’émettre des directives et d’organiser des campagnes de sensibilisation dans la fonction publique. Des initiatives de ce genre pourraient prévenir des situations fâcheuses comme celle survenue à Emploi-Québec mentionnée ci-haut[22].  



[1] “Defining ‘Islamophobia.’” University of California, BerkelyCenter for Race and Gender. Consulté le 7 avril 2015.

[2] Semati, Mehdi. “Islamophobia, Culture and Race in the Age of Empire.” Cultural Studies 24, no. 2, 2010. p. 256-275. 

[3] « Observations sur l’aperçu provisoire des grandes lignes du rapport déposé par le Canada auprès du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale », Fondation CJPME. Mars 2015, p. 2.

[4] Geddes, John. “Canada anti-Muslim sentiment is rising, disturbing new poll reveals.” Macleans. 3 octobre 2013.

[5] Ibid., Fondation CJPME.

[6] Ibid., Fondation CJPME, p. 3.

[7] Ibid., Fondation CJPME.

[8] Ibid., Fondation CJPME, p. 4.

[9] Ce projet portait le nom officiel de Chartre affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement.

[10] “Projet de la loi n°60: Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement.” Assemblée nationale du Québec, présenté à la 40e législature, 1ere session. 

[11] “Hijab sparks harassment at West Island Emploi-Québec office, woman says.” CBC News. 29 janvier 2015.

[12] Rukavina, Stephen. “Michel Angers, Shawinigan mayor, explains decision to reject mosque.” CBC News Montreal. 13 février 2015.

[13] Van Praet, Nicolas. “Religious tension in Quebec resurfaces over mayoral interference,” The Globe and Mail. 19 février 2015.

[14] “Rania El-Alloul hijab ruling draws complaint against Quebec judge,” CBC News on-line. 2 mars 2015.

[15] Eid, Paul et al. “Mesurer la discrimination à l’embauche subie par les minorités racisées: résultats d’un ‘testing’ mené dans le grand Montréal.” Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Mai 2012. 

[16] Gordon, Sean.  “Quebec town spawns uneasy debate.” The Toronto Star. 5 février 2007.

[17] Siddiqui, Haroon. “Islamophobia: Paranoia infects North America.” The Toronto Star. 16 septembre 2011.

[18] Jamil, Uzma. “Discrimination experienced by Muslims in Ontario.” Ontario Human Rights Commission. Janvier 2012.

[19] Ibid.

[20] Ibid.

[21] Jahangir, Junaid. “Muslims Stand Against ISIS, Too.” The Huffington Post. 27 août 2014.

[22] Ibid, Fondation CJPME, pp. 4-7. 

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