Fiche-info 174, publiée en Juillet 2013: Cette fiche d’information examine l’importance de la pêche pour l’économie et le bien-être de Gaza. Après un bref retour sur l’histoire de la pêche à Gaza, ce document explore les impacts du blocus d’Israël sur l’industrie et sur la population locale.

L’industrie de la pêche à Gaza

Série Fiche-info N.174, créée: Juillet 2013, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient
 
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174a.pngComment l’industrie palestinienne de la pêche a-t-elle évolué au siècle dernier?

La pêche est depuis toujours un élément important de l’économie palestinienne. Les bancs de sardines et de thons, ainsi que les crevettes et les calmars sont abondants dans l’est de la Méditerranée, et permettent aux pêcheurs palestiniens de gagner leur vie depuis des siècles. Avant la Nakba de 1948, la Méditerranée fournissait environ 80 % des prises totales de la Palestine[1]. En 1944, lors de ce qui paraît être une année record, les pêcheurs du littoral méditerranéen ont pris 2814 tonnes de poissons. Bien que cette prise ait constitué une source de protéines essentielle pour les agglomérations palestiniennes, 5000 tonnes de poissons étaient aussi importées annuellement à cette époque[2]. L’industrie de la pêche était alors régie par le Code civil ottoman de 1870, resté pratiquement inchangé sous le règne britannique[3]. En 1948, les milices juives ont forcé de très nombreux Palestiniens, issus des communautés de pêcheurs du littoral méditerranéen, à fuir vers la bande de Gaza. On estime qu’aujourd’hui environ 80 % des pêcheurs gazaouis sont des descendants de réfugiés originaires d’autres villages côtiers de pêcheurs du sud de la Palestine[4].

 

Comment le blocus de Gaza a-t-il nui à la productivité de l’industrie de la pêche?

Les restrictions israéliennes du droit de pêcher des pêcheurs palestiniens : Depuis la prise de Gaza par Israël en 1967, la zone que la marine israélienne alloue aux Palestiniens pour la pêche a souvent été réduite (voir le schéma à droite des zones de pêche autorisées en vertu des divers accords de paix israélo-palestiniens). Chaque fois, les prises potentielles de poissons ont été proportionnellement réduites (voir le graphique ci-dessous).

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Source : « Gaza Fishing: An Industry in Danger ». BCAH, avril 2007.

Le 21 mai 2013, l’armée israélienne annonçait son intention de redonner au périmètre de pêche la dimension autorisée jusqu’en 2006, soit six milles marins5. Les conséquences de ce geste ne sont pas encore connues, mais la productivité a peu de chances d’augmenter puisque les bancs de grands poissons sont à au moins huit milles marins au large6.

Les restrictions israéliennes sur l’accès des pêcheurs de Gaza à de l’équipement de pêche et au carburant à bateau : Depuis le début du blocus économique contre Gaza en 2007, l’importation de filets de pêche, de pièces de rechange pour les moteurs et d’autres matériaux nécessaires au maintien des flottes de pêche a été radicalement réduite7. Il est devenu de plus en plus difficile de se procurer du pétrole et du diesel, et ces carburants sont de plus en chers. De nombreux pêcheurs palestiniens croient désormais que sortir leur bateau coûte plus cher que de le laisser échoué sur la côte de 45 km de Gaza. D’autres, s’acharnant à prendre la mer, substituent au carburant du combustible pour la cuisson, malgré les dégâts que cela cause à leur moteur8.

La pollution des eaux de rivage due à l’état du réseau d’égout : Les bombardements aériens israéliens ont causé des dommages considérables aux installations de traitement des eaux usées de Gaza. Ces installations ne peuvent pas actuellement être réparées puisqu’Israël restreint l’entrée des matériaux nécessaires à leur réparation. Ainsi, 50 des 80 millions de litres d’eaux usées non traitées ou partiellement traitées sont évacués chaque jour sur ou près du littoral méditerranéen. Cela est très néfaste puisque, depuis 2009, les pêcheurs ne peuvent pas s’éloigner à plus de trois milles marins du rivage. La zone située à proximité de la côte est donc la plus polluée et aussi la plus surexploitée. Dans certains cas, la pollution rend les poissons impropres à la consommation9.

La violence de la marine israélienne envers les pêcheurs : Ce ne sont pas seulement les eaux d’égout brutes qui ont provoqué une baisse de 47 % des prises annuelles entre 2008 et 200910. Les pêcheurs sont attaqués par des tirs réels lorsqu’ils traversent les limites nautiques non marquées imposées de façon arbitraire par Israël11.  Selon B‘Tselem, quatre pêcheurs ont été tués depuis 2000 (dont deux depuis janvier 2009) alors qu’ils pêchaient1213. La violence envers les pêcheurs de Gaza les force à choisir entre sécurité et emploi.

 

174c.pngComment cette baisse de productivité a-t-elle nui à l’économie de Gaza et au niveau de vie des Gazaouis?

La pêche est depuis toujours une source d’emploi, de revenu et de nourriture pour les familles gazaouies. L’industrie dépérit depuis tant d’années et le nombre de pêcheurs est passé de 10 000, en 2000, à 3500-4000, en 201014. Ceux qui pêchent toujours ne gagnent pas plus qu’avant. Selon un rapport de 2010 du CICR, 90 % des pêcheurs gazaouis vivent dans la pauvreté, soit 40 % de plus qu’en 200815. Plus de 45 000 personnes avaient auparavant un travail en lien avec la pêche ou avec une industrie connexe comme la réparation et la vente au détail16. Le taux de chômage ayant atteint 39 % en 201017, il est désormais souvent impossible de trouver un nouveau travail, particulièrement pour de nombreux pêcheurs plus âgés qui n’ont pas fait d’études. Normalement, les pêcheurs investissent la majeure partie de leurs économies dans leur bateau, ce qui leur laisse peu de marge pour se lancer dans de nouvelles entreprises18.

Tandis que la perspective d’une autosuffisance économique est à l’image des bateaux abandonnés, l’insécurité alimentaire et les besoins en rations alimentaires de l’ONU augmentent. Les Gazaouis doivent désormais importer du poisson d’Israël à un prix bien plus élevé que celui pêché localement19. Cette importante source de protéines et de vitamines étant hors d’atteinte pour beaucoup de gens, les rations alimentaires de l’ONU demeurent la seule solution20.

 

Quels sont les changements et les investissements qui pourraient permettre aux pêcheurs de relancer l’industrie?

Israël doit lever son blocus illégal contre Gaza Car il est impossible pour l’industrie d’être viable sans une stabilité économique et politique. L’autorisation d’importer des pièces de moteur et de l’équipement de pêche essentiel, ainsi qu’une quantité adéquate de carburant pour les bateaux pourrait immédiatement relancer l’industrie. Les pêcheurs doivent avoir un accès sans risque à des lieux de pêche s’étendant jusqu’à 20 milles marins de la côte, conformément aux Accords d’Oslo de 199521. Ils doivent aussi pouvoir vendre leurs poissons à leurs compatriotes en Cisjordanie occupée et sur les marchés internationaux. (Israël empêche actuellement les pêcheurs de Gaza de vendre leur poisson à l’extérieur de Gaza.) Cela favoriserait la modernisation de l’industrie. En 2005, 30 millions $ ont été alloués par l’Autorité palestinienne pour le développement des ports de pêche, la formation des pêcheurs et le développement de leurs capacités22. Ces projets ont perdu toute viabilité en raison du blocus, ainsi que de l’instabilité et de la violence qui en découlent. Un  financement international accru pourrait permettre leur renouvellement. Les installations de traitement des eaux usées doivent être réparées et améliorées, et des usines de transformation du poisson doivent être construites. Enfin, la démocratisation du processus de commercialisation du poisson serait bénéfique aux pêcheurs23. Ces mesures permettraient à l’industrie de la pêche de Gaza d’offrir travail, revenu et nourriture à un grand nombre de familles gazaouies, améliorant ainsi leur niveau de vie global.

 

Le Canada peut-il aider les pêcheurs palestiniens à rétablir la productivité de leur industrie?

Les Canadiens et leur gouvernement peuvent faire pression pour qu’Israël mette fin au blocus contre Gaza et aux violences infligées aux pêcheurs gazaouis. Le Canada pourrait offrir un soutien financier qui faciliterait la modernisation de l’industrie de la pêche gazaouie, et financer les pêcheurs canadiens et les ouvriers des usines de transformation du poisson afin qu’ils partagent leur savoir et leurs habiletés avec leurs homologues palestiniens.



[1] Nathan, R., Gass, O. « Palestine: problem and promise; an economic study ». Washington: Public Affairs Press. 1946. p. 117.

[2] Ibid., p. 583.

[3] « Gaza Strip Fisheries: Under Siege ». Collectif international d’appui à la pêche artisanale. Décembre 2000.

[4] Mandell, J. « Gaza: Israel's Soweto ». Rapport du MERIP. 1985.

5 « Lift the restrictions on the Gaza fishing range ». B’Tselem. 24 mars 2013.

6 « Fishing under fire in Gaza ». Oxfam.

7 « Dashed Hopes: Continuation of the Gaza Blockade ». Oxfam. 2010.

8 McCarthy, R. « Sea blockade sees dry patch for Gaza’s fishermen ». The Guardian, 12 mai 2008.

9 « Farming without Land, Fishing without Water: Gaza Agriculture Sector Struggles to Survive ».  Bureau de coordination des affaires humanitaires (BCAH),  25 mai 2010.

10 Oxfam 2010. op.cit.

11 Ibid.

12 « Lift the restrictions on the Gaza fishing range ». B’Tselem,  24 mars 2013.

13 BCAH 2013. op.cit.

14 B’Tselem 2013. op.cit.

15 « Gaza closure: not another year! » Comité international de la Croix-Rouge (CICR), 14 juin 2010.

16 Frykberg, M. « How Israel's naval blockade denies Gazans food, aid ». The Christian Science Monitor, 1er juillet 2009.

17 Oxfam 2010. op.cit.

18 Mandell, J. 1985. op.cit.

19 « Gaza Fishing: An Industry in Danger ». Bureau de coordination des affaires humanitaires (BCAH). Avril 2007.

20 L’alimentation de base de 61 % des Gazaouis dépend de rations alimentaires fournies par des organismes humanitaires. BCAH 2010. op.cit.

21 Oxfam 2010. op.cit..

22 « Gaza Strip Economic Development Strategy ». Ministères de l’Économie nationale et de la Planification de l’Autorité palestinienne, septembre 2005.

23 Par le passé, un seul encanteur dominait la commercialisation de presque toute la pêche à Gaza.  Comité international d’appui à la pêche artisanale 2000. op.cit.

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