Fiche-info 159, publiée en septembre 2012: Au milieu de l’année 2012, on estimait à 60 000 les africains ayant immigré en Israël durant les cinq dernières années. Ce document revient sur la manière dont ces migrants sont perçus par le gouvernement israélien et par la société. On s’interroge également à savoir si le traitement qui leur a été réservé est en accord avec le droit international.
La situation des migrants africains en Israël
D’où viennent les migrants africains?
Au milieu de l’année 2012, on estimait à 60 000 le nombre de migrants[1] africains vivant en Israël. La plupart ont traversé la frontière poreuse égyptienne au cours des cinq dernières années et proviennent du Soudan, d’Érythrée, de République démocratique du Congo, de Côte d’Ivoire, et d’Éthiopie[2]. Ils se rendent en Israël car il s’agit du refuge économique le plus accessible en marchant.
Ce sont surtout des réfugiés ou des demandeurs d’asile politique, tel que défini par le droit international[3]. D’autres sont des migrants économiques qui fuient la pauvreté provoquée par les guerres civiles. Selon un rapport publié par la Tufts University[4] sur les migrants soudanais et érythréens vivant à Tel-Aviv, la traversée du Sinaï comporte des coûts et des risques très élevés. La plupart d’entre eux vivent dans les grands centres urbains, notamment au sud de Tel-Aviv. Le quartier situé au sud de la rue Neve Shaanan a été rebaptisé « Petite Afrique » par les Israéliens.
Comment les migrants africains sont-ils perçus par la population israélienne?
Depuis le milieu de 2009, le gouvernement israélien tente de freiner l’arrivée de ces migrants sur son territoire. En 2012, les tensions entre les résidents juifs de Tel-Aviv et les migrants africains se sont intensifiées. Entre la fin de semaine du 27-29 avril (suivant la journée d’Indépendance d’Israël) et le 20 mai 2012, sept attaques contre des migrants africains ont eu lieu, notamment l’attaque à la bombe incendiaire de maisons et de commerces appartenant à des Africains, et l’incendie d’une garderie[5].
Au lieu de s’attaquer au problème de la xénophobie qui motive ces attaques, le gouvernement israélien s’emploie à l’exacerber. Le 16 mai 2012, le ministre de l’Intérieur Eli Yishai a déclaré sur les ondes de la radio de l’armée israélienne que la plupart des migrants africains étaient impliqués dans des affaires criminelles et devraient être emprisonnés[6]. Le 20 mai, le premier ministre Benjamin Netanyahou a déclaré que « le phénomène de l’infiltration illégale à partir de l’Afrique est extrêmement grave et menace les fondements de la société israélienne, la sécurité nationale et l’identité nationale[7]. » Le 21 mai, le ministre de la Justice Yaakov Neeman a qualifié la question des migrants de « calamité nationale » et, comme Netanyhaou, il a utilisé le terme « infiltrés » pour désigner les migrants africains.
Le 23 mai dernier, environ 1 000 Israéliens ont manifesté à Tel-Aviv, agitant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Infiltrés, sortez de nos foyers. » Une voiture transportant des immigrés africains a été attaquée et des commerces desservant majoritairement des réfugiés ont été pillés[8]. Au moins trois députés du Likoud ont participé à cette manifestation, dont Miri Regev qui a déclaré « les Soudanais sont un cancer dans notre corps[9]. » Bien que Netanyahou ait déploré la violence le lendemain, il s,est borné à proposer l’expulsion des migrants et la construction d’une clôture de sécurité à la frontière israélo-égyptienne[10]. Le 3 juin, le ministre de l’Intérieur Eli Yishai s’est plaint que « la plupart des musulmans qui arrivent ici ne croient même pas que ce pays nous appartient, à nous, les blancs[11]. » Le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman a critiqué ces commentaires et intimé aux ministres du Cabinet de se taire à l’avenir, sans doute car il redoutait les réactions de la communauté internationale[12]. Le lendemain, un apparte-ment où vivaient dix Érythréens a été attaqué à la bombe incendiaire, blessant au moins quatre de ses locataires[13]. Peu de temps après, le gouvernement israélien rassemblait les migrants et les déportait (voir paragraphe suivant).
Beaucoup d’Israéliens estiment que l’afflux d’Africains menace le caractère juif de l’État d’Israël, ces migrants n’ayant aucun lien culturel ou religieux avec Israël. D’autres pensent qu’un pays créé par et pour des réfugiés ne devrait pas les refouler à ses frontières et certains y voient des similitudes inquiétantes avec la déportation des juifs durant l’holocauste nazi[14] [15] [16].
Quelles mesures ont été prises contre les réfugiés africains?
Le 3 juin, Netanyahou a ordonné à ses ministres d’accentuer la déportation des quelque 25 000 migrants illégaux venus du Sud-Soudan, de Côte d’Ivoire, du Ghana et d’Éthiopie. Ceux provenant d’Érythrée, du Soudan ou de Somalie (dont le premier ministre israélien a reconnu que les vies seraient en danger s’ils étaient expulsés) seraient plutôt détenus dans des centres de détention construits dès que possible dans le Negev, en attendant de trouver des pays tiers pour les accueillir[17]. Le jour même, la loi « anti-infiltration » entrait en vigueur. Elle autorise la détention de migrants pendant trois ans sans procès, et prévoit la déportation ou des peines d’emprisonnement de 2 à 15 ans pour quiconque emploie, abrite ou transporte des migrants « illégaux »[18].
Le 7 juin, le tribunal de district de Jérusalem a confirmé le plan de déportation[19]. Les autorités israéliennes ont alors procédé à l’arrestation de 700 migrants sud-soudanais[20]. Le Sud-Soudan a accepté de les accueillir, bien que la situation politique du pays soit toujours aussi instable. Le gouvernement israélien a même offert des billets d’avion gratuits et 1 000 euros aux migrants qui décideraient de quitter le territoire israélien « volontairement. » Selon Eli Yishai, l’étape suivante serait l’expulsion d’Israël de tous les « infiltrés » venus d’Érythrée ou du Soudan[21]. Le premier vol à destination du Sud-Soudan a décollé de Tel-Aviv le 11 juin avec à son bord 127 passagers, hommes, femmes, et enfants[22]. Après six semaines passées à rassembler les migrants sud-soudanais, le dernier vol de migrants a décollé du sol israélien le 25 juillet, portant à 850-900 le nombre total de déportés[23]. Le 24 juin, le tribunal de district de Jérusalem a rejeté l’appel de 132 Ivoiriens, ouvrant la voie à leur déportation prochaine[24].
Pendant ce temps, le gouvernement a poursuivi la construc-tion du centre de détention, le plus grand du genre au monde, dans le sud du pays, près de la frontière égyptienne, qui pourra accueillir entre 11 000 et 30 000 personnes[25]. Netanyahou a ordonné la construction d’un mur de fer long de 241 kilomètres et haut de 4,9 mètres à la frontière égyptienne pour freiner l’afflux de migrants africains. Selon certaines sources, il aurait demandé à des fonctionnaires d’examiner la possibilité de construire un mur semblable à la frontière jordanienne, au cas où des migrants tenteraient de traverser l’étroit golfe d’Aqaba pour entrer en Israël[26].
Israël respecte-t-il les droits des réfugiés et des migrants africains?
Non. Bien avant les déportations qui ont eu lieu en 2012, le traitement que le gouvernement israélien infligeait aux migrants économiques et aux demandeurs d’asile africains bafouait leurs droits.
Bien qu’il ait signé en 1954 la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, l’État israélien ne dispose pas de lois définissant les droits des demandeurs d’asile. La procédure d’asile est encadrée par des politiques très floues et les décisions sont rendues par une seule personne, le ministre de l’Intérieur. Les migrants venus d’Érythrée et du Soudan n’ont pas été autorisés à déposer des demandes individuelles du statut de réfugié. Depuis 2007, les demandeurs d’asile sont systématiquement détenus : des milliers d’entre eux sont emprisonnés jusqu’à ce qu’on décide de leur sort. Quand les prisons atteignent leur pleine capacité, certains migrants sont relâchés dans les villes israéliennes sans aucune assistance. Leur accès aux soins de santé, à l’éducation au logement, à la formation professionnelle et à l’emploi est limité, voire inexistant. Des centaines d’entre eux y compris des femmes enceintes, des enfants et des mineurs non accompagnés se retrouvent sans domicile. Les migrants qui sont autorisés à demander le statut de réfugié doivent souvent attendre parfois des années avant qu’une décision ne soit rendue, ce qui permet l’exploitation des migrants par les employeurs et entraînent des problèmes psychologiques. Seules les organisations de défense des droits de la personne basées à Tel-Aviv, telle que l'African Refugee Development Centre ou Médecins pour les droits de l’homme, offrent des services de soutien aux réfugiés. Depuis sa création en 1949, seules 150 personnes ont obtenu le statut de réfugié[27] [28].
Ces traitements, ainsi que la loi « anti-infiltration », sont des violations de l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des NU. Ce pacte garantit le droit aux « étrangers » de ne pas être expulsé d’un pays hôte sans avoir eu la chance d’être défendu par un avocat et de plaider leur cause avec toute la considération due à leur situation personnelle. Ils violent aussi la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.
Comme l’a souligné Segal Rosen, membre de l’organisation israélienne Hotline for Migrant Workers, le gouvernement semble ignorer complètement le fait qu’ils sont de vrais réfugiés[29].
[1] Dans cette fiche info, « migrants » désigne à la fois les migrants économiques et les demandeurs d’asile
[2] African Refugee Development Center, « Refugees in Israel »
[3] Un réfugié est une personne qui fuit son pays d’origine de peur d’être persécuté, en tant qu’individu ou en tant que membre d’un groupe ethnique. On appelle demandeurs d’asile ceux qui souhaitent être officiellement reconnus comme réfugiés par le pays hôte.
[4] Furst-Nichols, Rebecca, and Jacbosen, Karen. « African Migration to Israel.Debt, Employment and Remittances. » Tufts University, Feinstein International Center. Sept. 2011
[5] Schlagman, Nic. « Mounting Tensions between Refugees and Israelis. » African Refugee Development Center. 20 mai 2012.
[6] « Israel's Interior Minister: All African migrants should be jailed. » Haaretz, 16 mai 2012
[7] Nesher, Talila. « Netanyahu: Israel could be overrun by African infiltrators.. », Haaretz, 21 mai 2012
[8] Sherwood, Harriet.« Israelis attack African migrants during protest against refugees. » 24 mai 2012
[9] Ravid, Barak. « Netanyahu condemns violence against African migrants, promises to solve problem, » Haaretz, 24 mai 2012.
[10] Ravid, Barak. Ibid.
[11] Weiler-Polak, Dana. « Israel enacts law allowing authorities to detain illegal migrants for up to 3 years. »Haaretz, 3 juin 2012
[12] Ravid, Barak. « n unprecedented move, Israel's Foreign Ministry condemns violence against African migrants. » Haaretz, 4 juin 2012.
[13] Sherwood, Harriet. « Jerusalem apartment housing migrants firebombed. » Haaretz4 juin 2012
[14] Esipisu, Isaac « s Israel right in deporting African migrants? » Blog, Reuters, 20 juin 2012
[15] Kreimer, Sarah. « What would my grandfather say about migrant workers? », Haaretz, 15 juin 2012
[16] Ben-Yehuda, Roi. « Sick talk: The danger of blaming migrants for Israel’s ills. » Haaretz, 17 juin 2012
[17] Ravid, Barak. « Netanyahu orders swift deportation of 25,000 illegal African migrants. » Haaretz, 4 juin 2012
[18] Weiler-Polak, Dana. « Israel enacts law allowing authorities to detain illegal migrants for up to 3 years. » 3 juin 2012
[19] Rosenberg, Oz, and Weiler-Polak, Dana. "Israel cleared to deport South Sudan nationals, court says." Haaretz, 7 juin 2012
[20]« Israel to deport last S. Sudanese on Wednesday..» The Daily Star (Lebanon),.24 juin 2012
[21] Sewell, Anne. « Israel to deport Ethiopian and south Sudanese migrants .» Digital Journal (online). 17 juin 2012
[22] « Israel Starts Deporting African Refugees. » The Right Perspective. 20 juin 2012
[23] The Daily Star (Lebanon), ibid.
[24] Hasson, Nir. « vorian migrants lose appeal against deportation orders, » 25 juin 2012.
[25] Greenwood, Phoebe. « Huge detention centre to be Israel's latest weapon in migration battle. » 17 avril 2012; Cohen, Gil..« Detention camp for African migrants in Israel's south to hold up to 30,000 people. » Haaretz, 2 août 2012. Cohen, Gili. « srael seeks to build tent camp for African migrant ts with no sewage or proper facilities. » Haaretz, 19 juin 2012.
[26] Israel to fly out South Sudanese migrants, Al Jazeera, 13 juin 2012
[27] “Refugees in Israel.” African Refugee Development Centre. (en ligne), 16 août 2012
[28] Rapport alternatif présenté par l’African Refugee Development Center (ARDC) au Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale dans le cadre de l’examen des 14e et 16e rapports périodiques sur la violation par Israël de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. », publié le 30 janvier 2012.
[29] CBC News. "Israel's African migrants face mass deportation." 12 juin 2012.
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