Fiche info 155, publiée en mai 2012: Le 17 avril 2012, environ 1000 détenus de toute affiliation politique, incarcérés pour des raisons de sécurité, ont entamé une grève de la faim « illimitée ». Cette fiche-info explique les contestations de ces prisonniers et revient sur les réactions des autorités israéliennes puis de la communauté internationale suite à l’annonce de la grève.
La grève de la faim des prisonniers palestiniens, printemps 2012
Y a-t-il plusieurs détenus palestiniens en grève de la faim?
Le 17 avril 2012, environ 1000 détenus de toute affiliation politique, incarcérés pour des raisons de sécurité, ont entamé une grève de la faim « illimitée ». Rapidement, le mouvement a pris de l’ampleur et, selon des représentants des prisonniers, dès le début de mai, le nombre de grévistes était passé à 2000. Pour sa part, le Service pénitentiaire israélien (SPI) estime que 1600 prisonniers sont actuellement en grève. Deux détenus — Bilal Diab and Tha’er Halahleh — ont entamé leur grève beaucoup plus tôt, soit le 1er mars. D’après le Comité international de la Croix-Rouge et le groupe Médecins pour les droits de l’homme – Israël, qui se sont prononcés en date du 6 et du 8 mai respectivement, MM. Diab (27 ans) et Halahleh (34 ans) étaient mourants, tandis que la vie de plusieurs autres grévistes se trouvait menacée[1] [2].
Environ 40 pour cent des hommes palestiniens vivant dans les territoires occupés ont été, à un moment ou à un autre[3], emprisonnés par les autorités israéliennes, certains pendant des décennies. Selon les données du SPI, à la fin d’avril 2012, les prisons israéliennes détenaient quelque 4424 Palestiniens incarcérés pour des raisons de sécurité, y compris 203 mineurs.
Contre quoi protestent-ils?
La détention sans inculpation ni jugement : Le principal enjeu de la grève est la « détention administrative » pratiquée par Israël – c’est-à-dire la détention sans inculpation ni jugement. Israël a souvent recours à cette mesure, non pas pour punir une personne d’avoir commis une infraction, mais parce que les autorités croient qu’elle est susceptible d’en commettre une. Au cours des ans, Israël a incarcéré des milliers de Palestiniens sans inculpation ni jugement, pour des peines allant de plusieurs mois à plusieurs années. Des centaines d’entre eux étaient encore enfants quand ils ont été détenus pour la première fois. Selon le groupe de défense des droits de la personne B’Tselem, même si un juge doit autoriser l’ordonnance de détention, une grande partie de la preuve soumise par le ministère public demeure confidentielle et n’est divulguée ni au détenu ni à son avocat. Ces derniers sont donc incapables de la réfuter. En outre, bien que la durée maximale d’une détention administrative soit de six mois, elle peut être prolongée indéfiniment. En fait, plus de 60 pour cent des détenus se trouvant en prison en décembre 2011 ont vu leur détention prolongée au-delà de la première ordonnance de détention au moins une fois[4].
À la fin de mars 2012, environ 320 Palestiniens se trouvaient en détention administrative. MM. Halahleh et Diab — les deux grévistes les plus en danger de mort imminente — sont détenus depuis 22 et 9 mois respectivement, sans qu’aucune accusation ait été portée contre eux. Israël a souvent recours à la détention administrative pour punir et isoler les Palestiniens qui s’opposent publiquement à l’occupation des territoires palestiniens[5].
Utilisation fréquente de l’isolement cellulaire : Les prisonniers accusent les autorités israéliennes de faire un usage excessif de l’isolement cellulaire (24 heures par jour seul dans sa cellule, ou 23 heures par jour seul dans sa cellule ou avec un autre prisonnier). Addameer, un groupe qui défend, entre autres, les droits des prisonniers palestiniens, note que les autorités carcérales utilisent l’isolement cellulaire pour forcer les prisonniers à signer des confessions ou pour les punir d’avoir contrevenu aux règles de la prison. De plus, l’isolement vise à réduire au silence des personnalités politiques palestiniennes bien en vue, à inciter les prisonniers à collaborer ou encore à les punir, parfois sur le long terme[6]. Notamment, le prisonnier Mahmoud Issa, incarcéré depuis 1993, vit en isolement cellulaire depuis maintenant dix ans[7].
L’interdiction prolongée des visites familiales : Le refus persistant des autorités d’autoriser les visites familiales est un autre facteur de déclenchement de la grève. Des centaines de familles se sont vues refuser un permis de visite pour des « raisons de sécurité » gardées secrètes. Les autorités israéliennes ne justifient jamais leur refus, autrement que par la formule habituelle : « interdiction d’entrer en Israël pour des raisons de sécurité ». Ainsi, des milliers de prisonniers palestiniens purgent l’entièreté de leur peine sans recevoir de visites régulières de leur famille. Par exemple, en 10 ans d’isolement cellulaire, Mahmoud Issa n’a été visité qu’une seule fois par un membre de sa famille, une rencontre qui a duré trente minutes. En février 2012, un juge israélien a refusé une requête pour que la mère de M. Issa, âgée de 75 ans, puisse le visiter, jugeant que cela « présentait un risque potentiel élevé pour la sécurité d’État ». Selon la famille, une telle rencontre aurait exigé que M. Issa et sa mère soient séparés par une partition de verre et qu’ils conversent à l’aide d’un téléphone placé sous écoute[8].
Autres formes de mauvais traitements : Des fouilles à nu, des contrôles en pleine nuit, le refus de fournir l’accès à des soins médicaux et l’humiliation figurent parmi les autres formes de mauvais traitements qui ont déclenché la grève.
Quels sont les crimes présumés des grévistes?
Quelques-uns des grévistes ont été accusés d’actes ayant porté atteinte à la sécurité d’Israël et condamnés par des cours militaires israéliennes. D’ailleurs, certains de leurs agissements seraient jugés illégaux par tout pays démocratique. Cependant, plusieurs prisonniers ont été accusés de « crimes » pour avoir manifesté pacifiquement contre l’occupation ou les violations du droit international commises par Israël, par exemple l’établissement de colonies ou la construction d’un « mur de séparation »[9] Vingt-sept législateurs – soit 20 pour cent des membres du Conseil législatif palestinien (CLP) – font partie des grévistes[10]. Vingt-quatre d’entre eux n’ont pas été accusés de la moindre infraction. En outre, plusieurs prisonniers purgent de longues peines imposées par des cours militaires israéliennes pour des délits mineurs, comme le lancer de pierres vers les troupes d’occupation et leurs chars de combat.
Nombre d’enfants figurent parmi les prisonniers. Du début de 2005 à la fin de 2010, au moins 835 mineurs palestiniens ont été arrêtés et jugés par des cours militaires en Cisjordanie pour avoir lancé des pierres. Trente-quatre d’entre eux avaient 12 ou 13 ans, 255 étaient âgés de 14 ou 15 ans, et 546 avaient 16 ou 17 ans. Des 835 accusés, un seul a été acquitté. Entre 2005 et 2010, 93 pour cent des mineurs jugés coupables d’avoir lancé des pierres ont été condamnés à des peines variant de quelques jours à 20 mois[11]. Plusieurs des grévistes de la faim n’ont été accusés d’aucun délit, et encore moins condamnés. (Pour plus de détails, voir la section « La détention sans inculpation ni jugement » ci-dessus.)
Comment les autorités israéliennes ont-elles réagi?
Les autorités carcérales israéliennes maintiennent plusieurs des grévistes en isolement cellulaire; ces derniers se sont aussi vu transférer abruptement vers d’autres prisons, confisquer leurs effets personnels et refuser la visite d’un médecin ou d’un avocat indépendant. Le 7 mai, la Cour suprême d’Israël a rejeté un appel déposé par MM. Diab et Halahleh visant à mettre fin à leur détention sans inculpation ni jugement. La Cour a jugé que les interrogatoires des prisonniers avaient été menés de façon négligente, mais que ces derniers devaient néanmoins demeurer incarcérés, car ils posent un risque à la sécurité. La Cour s’est ensuite contredite en ordonnant la libération des prisonniers pour des raisons médicales[12].
Quelle a été la réaction de la communauté internationale?
Le 9 mai, en réaction à des manifestations devant les bureaux de l’ONU en Cisjordanie, le secrétaire général Ban Ki Moon a déclaré que « ceux qui sont détenus doivent être formellement poursuivis et traduits en justice, ou remis en liberté immédiatement[13] ». Le 10 mai, Filippo Grandi, commissaire général de l’UNRWA (l’organisme de l’ONU chargé de porter assistance aux réfugiés palestiniens) a fait écho à la déclaration de M. Ban, rappelant que les demandes des prisonniers « étaient globalement conformes aux droits de base des prisonniers définis par les Conventions de Genève[14] ».
Le 8 mai, des observateurs de l’Union européenne en mission à Jérusalem et Ramallah ont exhorté Israël à fournir toute assistance médicale requise et à permettre aux grévistes de recevoir la visite de leur famille[15]. Trente-cinq députés et sénateurs irlandais de tous les partis, y compris deux ministres d’État, ont exhorté le gouvernement d’Israël à respecter les dispositions du droit international limitant les détentions administratives aux cas extrêmes, à abandonner la pratique de l’isolement cellulaire et à permettre les visites familiales aux prisonniers[16]. En date du 10 mai 2012, le site Web du ministère des Affaires étrangères du Canada ne faisait aucune mention de la grève de la faim des prisonniers palestiniens ou de ses causes sous-jacentes.
[1] « Concern Mounts for the Lives of Prisoners on Protracted Hunger Strikes », Médecins pour les droits de l’homme – Israël.
[2] « Des détenus palestiniens en grève de la faim sont en danger de mort », Comité international de la Croix-Rouge, 8 mai 2012.
[3] Sherwood, Harriet. « Israeli court rejects Palestinian hunger strike prisoners' appeal », The Guardian, 7 mai 2012.
[4] « Administrative detainees Bilal Diab and Thaer Halahlah are near death after 70 days of their hunger strike », B’Tselem Israeli Information Center for Human Rights in the OccupiedTerritories, 7 mai 2012.
[5] Par exemple, Bassem Tamimi, leader du mouvement de protestation d’un village de Cisjordanie, a été libéré sous caution le 27 avril 2012, après un an d’emprisonnement. Le verdict de son procès militaire doit être prononcé le 13 mai. M. Tamimi, reconnu comme un défendeur des droits de la personne par l’Union européenne, a déjà passé trois ans en détention administrative. Son village, Nabi Saleh, a été le théâtre de manifestations hebdomadaires contre l’expansion illégale d’une colonie israélienne voisine sur les terres du village.
[6] « Key Issues. Isolation », Addameer Prisoner Support and Human Rights Association.
[7] Hass, Amira. « In solitary confinement for 10 years, Palestinian prisoner sees family only once », Haaretz, 4 mai 2012.
[8] Idem.
[9] « Mur de séparation »: Le haut mur qui s’enfonce profondément en territoire palestinien et qui, par conséquent, annexe des terres palestiniennes au côté « israélien » du mur.
[10] Après les élections du CLP en janvier 2006, supervisées par la communauté internationale, les forces de l’occupation israélienne ont arrêté des douzaines de leaders politiques, y compris huit ministres palestiniens et 26 membres du CLP. La majorité des personnes arrêtées étaient membres du bloc victorieux « Changement et réforme », un parti présumé pro-Hamas mais aussi formé de membres non affiliés et non musulmans. Israël ne s’était opposé à la participation de candidats de ce bloc ni avant, ni pendant les élections. Cependant, en février 2007, un an après les élections et l’arrestation des membres du CLP, Israël a déclaré ce bloc illégal.
[11] « No Minor Matter: Violation of the Rights of Palestinian Minors Arrested by Israel on Suspicion of Stone-Throwing », B’tselem, juillet 2011.
[12] Sherwood, Harriet. « Israeli court rejects Palestinian hunger strike prisoners' appeal », The Guardian, 7 mai 2012.
[13] « Ban Ki Moon préoccupé par le sort des prisonniers palestiniens en grève de la faim », Service d’information des Nations Unies, 9 mai 2012.
[14] « L’ONU appelle à nouveau Israël à résoudre le problème des prisonniers palestiniens », Service d’information des Nations Unies, 10 mai 2012.
[15] Yaish, Shatha. « EU asks Israel to let families visit hunger strikers », AFP, 8 mai 2012.
[16] « Thirty-five Oireachtas members sign petition on mass Palestinian prison hunger strike », Sinn Fein, 9 mai 2012.
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