Fiche-info 122, publiée en mai 2011: Cette fiche-info fournit une biographie de Muammar Gaddafi, le chef libyen qui a été si longtemps au pouvoir. Ce document décrit dans un premier temps son ascension au pouvoir, puis la transformation de la Lybie sous son règne ainsi que les tensions et réconciliations avec l’Occident qui en ont découlé. Enfin, cette fiche-info revient sur la base du soutien dont il disposait et sur l’héritage qu’il a laissé après des décennies au pouvoir.

Le Libyen Mouammar Kadhafi

Série Fiche-info N.122, créée: Mai 2011, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient
 

Gaddafi.pngDans quel contexte le chef libyen Mouammar Kadhafi est-il entré au pouvoir?

Le 1er septembre 1969, les « officiers unionistes libres », un groupe de quelque 100 officiers subalternes menés par Mouammar Kadhafi, alors âgé de 27 ans, ont mis fin au régime du  roi Idris. Avant ce dernier, la Libye avait été sous domination étrangère pendant des siècles, dirigée par les Ottomans de 1551 à 1911, puis par les Italiens, de 1911 à 1951.  Idris, souverain de la Libye depuis l’indépendance en 1951, était le petit-fils du fondateur de la confrérie sénoussie, un mouvement de renouveau islamique institué à al-Bayda dans les années 1840.  Il tirait ainsi une grande part de son appui politique des tribus de l’intérieur de la Cyrénaïque (Libye orientale), où la confrérie sénoussie était particulièrement influente.

Une semaine après le coup d’État de 1969, on révéla le nom du nouveau commandant en chef, Mouammar Kadhafi. Ce dernier fut désigné président d’un Conseil de commandement de la révolution (CCR) formé de 12 membres. Les noms des autres membres ne furent révélés qu’en janvier 1970.  D’emblée, Kadhafi s’est érigé en figure centrale du CCR, incarnant le rejet de la domination étrangère et la corruption des anciens régimes.

Les officiers du CCR provenaient de différents milieux, et cinq parmi les douze venaient de tribus relativement privilégiées, bien que Kadhafi ait par la suite tenté de présenter les membres du CCR comme étant généralement d’origines modestes. Ils étaient jeunes et s’étaient inscrits à l’Académie militaire de Benghazi dans l’espoir d’une ascension dans l’échelle sociale et d’une opportunité de renverser la monarchie[1].  À l’instar du chef égyptien Gamal Abdel Nasser, alors très admiré[2], ils étaient des nationalistes panarabes et des socialistes arabes intéressés à promouvoir  la souveraineté politique de la Libye et à instaurer une réforme politique et économique. 

 

La Libye sous le règne de Kadhafi, de 1969 à 1999

Le CCR expurgea le corps diplomatique et la haute bureaucratie gouvernementale des membres liés au roi Idris et assuma sans intermédiaire la direction des ministères gouvernementaux, à l’exception du ministère du Pétrole, qui requérait des connaissances techniques dont le CCR ne disposait pas.  Le CCR établit différents organes visant prétendument à encourager la participation populaire aux processus de prise de décision : les Congrès populaires, l’Union socialiste arabe et la « révolution populaire ».  Cependant, le public libyen perdit rapidement ses illusions face à ces institutions, le véritable pouvoir politique demeurant aux mains du CCR et, en particulier, de Kadhafi.  Depuis, la Libye est caractérisée par cette contradiction entre le pouvoir formel, mais  fictif, du « peuple », et la réalité de la domination de Kadhafi dans toutes les prises de décisions.

Plus tard, des divisions ont surgi au sein du CCR relativement à l’utilisation des revenus d’exploitation du pétrole libyen – constituant 99 pour cent des revenus du gouvernement – et à la domination de Kadhafi.  En 1975, Kadhafi résista à une tentative de coup d’État perpétrée par d’autres membres du CCR. À la fin de 1975, le CCR ne comptait plus que cinq adhérents demeurés fidèles à Kadhafi. Ce dernier consolida  par la suite son pouvoir en retirant des instituts de planification et des ministères tout individu membre du personnel civil et militaire suspecté de déloyauté. Des membres de la tribu de Kadhafi (la Kadhadhfa) et de tribus alliées furent progressivement choisis pour combler les postes clés de l’armée et de la sécurité[3]

Kadhafi démantela systématiquement la société civile : les partis politiques, organismes syndicaux indépendants et autres organisations civiles ont été prohibés[4]. Ses opposants furent emprisonnés, torturés ou exécutés, même en exil. Les exécutions télévisées alimentèrent un climat de peur et renforcèrent l’emprise de Kadhafi. 

Compte tenu des revenus importants liés à l’exploitation pétrolière libyenne et de la population relativement restreinte du pays, le gouvernement de Kadhafi fut en mesure de fournir à cette dernière des soins de santé, des services d’éducation et des logements subventionnés en dépit de la répression croissante. Après 1993, Kadhafi a établi un système de Comités populaires de leadership social (CPLS), composés de chefs tribaux et d’autres gens d’influence. Les CPLS répandaient les largesses de l’État, telles des bourses d’études et des logements subven-tionnés, mais ils avaient le devoir de ramener à l’ordre tout dissident anti-Kadhafi au sein de leur tribus respec-tives sous peine de sanction collective[5]. Le contrat social implicite sous Kadhafi est tel : en échange de la docilité politique des citoyens, l’État libyen s’assure que leurs besoins économiques fondamentaux soient comblés[6].

   

Tensions et réconciliations avec l’Occident

Les tensions, de 1978 à 1999 : Le soutien de Kadhafi à divers groupes radicaux, dont certains ont été impliqués dans des actes de terrorisme international, a mené à des restrictions commerciales de la part des États-Unis et au retrait de compagnies pétrolières sous Jimmy Carter. Sous Ronald Reagan, un embargo total et des sanctions ont été imposés.  La capitale, Tripoli, et la deuxième ville en superficie, Benghazi, ont aussi été bombardées en 1986. En décembre 1988, des Libyens ont été impliqués dans l’attentat à la bombe d’un avion au-dessus de Lockerbie, en Écosse, et, en 1989, dans celui d’un vol d’UTA au-dessus du Niger. En mars 1992, après que Kadhafi a refusé de remettre à la justice les présumés terroristes, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 748 imposant un embargo économique à la Libye. Bien que les sanctions n’aient eu qu’un impact direct mineur, Kadhafi a difficilement pu maintenir son contrat social avec les Libyens lorsque les prix de l’essence ont chuté pendant les années 1990. En fait, sa survie politique dépendait alors d’une réconciliation avec l’Occident.      

La réconciliation, de 1999 à 2010: À la suite de l’intercession de Nelson Mandela et du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, Kadhafi a accepté, en 1999, de remettre les suspects de l’attentat de Lockerbie aux Pays-Bas pour la tenue d’un procès selon les lois écossaises. Les sanctions imposées par l’ONU ont été suspendues, mais celles émanant des États-Unis ont été maintenues. En 2003, la Libye a annoncé l’abandon de ses programmes d’armes de destruction massive.  En août 2003, elle a écrit aux Nations unies, reconnaissant officiellement sa « responsabilité pour les actes de ses représentants » relativement à l’attentat de Lockerbie, et acceptant de verser une compensation de 2,7 milliards de dollars aux familles des 270 victimes[7].  En 2004, les États-Unis ont levé leurs sanctions économiques et repris leurs relations officielles avec la Libye, suivis par les principales puissances de l’Europe occidentale.  Malgré les critiques amères qu’il a autrefois formulées publiquement vis-à-vis de l’Occident, Kadhafi a, depuis 2005, accueilli favorablement la présence de Exxon Mobil, de Chevron, de Shell et d’autres géants pétroliers dans l’exploitation des richesses en pétrole et en gaz de la Libye[8].

 

D’où Kadhafi tire-t-il ses appuis? [9]

Grâce à des revenus pétroliers importants et à une population restreinte, la Libye est parvenue à maintenir l’incidence de pauvreté relative et absolue sous un seuil inférieur à celui de l’Égypte voisine[10].  Le revenu annuel moyen y est de 12 000 dollars, soit une fraction de ce qu’il est dans les États du Golfe, mais cinq fois celui de l’Égypte[11]. Néanmoins, le gouvernement de Kadhafi n’a pas su mettre à profit ses revenus pétroliers pour diversifier et renforcer l’économie du pays. Par conséquent, le chômage, dont le taux actuel s’élève entre 30 à 35 pour cent, est un problème persistent. La qualité du logement et des hôpitaux reste également à la traîne de celle des puissances pétrolières du Golfe.    

En plus de s’assurer le soutien de sa propre tribu et celui de nombreux services civils libyens, Kadhafi s’est attiré la faveur du peuple par de nombreuses actions affirmant la souveraineté de la Libye vis-à-vis de l’Ouest et par ses propos au sujet de l’égalité sociale. Il a également fourni de nombreux exutoires symboliques pour faciliter l’expression des frustrations, encourageant par exemple la formulation de critiques lors des Congrès populaires. Ces gestes, combinés à un appareil de sécurité imposant et à l’interdiction de la formation de partis politiques, ont découragé l’émergence de toute opposition organisée, et ce, malgré les problèmes économiques.  Les Libyens demeurent néanmoins conscients que leur pays est sous-développé malgré ses vastes richesses pétrolières.

     

Quel sera l’héritage de Kadhafi?

L’héritage de Kadhafi est une Libye qui a fait des avancées considérables en ce qui concerne les soins de santé et l’éducation, mais a échoué à exploiter ses revenus pétroliers faramineux comme tremplin vers un réel développement économique. Les aspirations des Libyens ont souvent été nourries par le discours de Kadhafi sur le « pouvoir populaire », puis contrecarrées par la machine de contrôle assurant sa domination du véritable pouvoir économique et politique.    



[1] Vandewalle, Dirk. "Libya Since 1969," chapitre 1.

[2] Nasser, avec d’autres jeunes officiers de l’armée, avait renversé la monarchie égyptienne en 1952 et procédé à l’établissement d’un gouvernement nationaliste à forte connotation panarabe et favorable aux réformes sociales.

[3] Vandewalle, Dirk. "Libya Since 1969," chapitre 1.

[4] Montreal Review. “Libya: the Road Ahead,” Ronald Bruce St John, avril 2011.

[5] Montreal Review. “Libya: the Road Ahead,” Ronald Bruce St John, avril 2011.

[6] Vandewalle, Dirk. "Libya Since 1969," chapitre 1.

[7] Lors d’une conversation avec CJPMO le 6 mai 2011, Ronald Bruce St John a souligné que la lettre libyenne étaient beaucoup plus nuancée que ne l’ont laissé croire les médias occidentaux, puisqu’un aveu direct de responsabilité aurait exposé Kadhafi à des poursuites à la Cour pénale internationale.  Une fois les sanctions levées, Kadhafi a souvent laissé sous-entendre que les 2,7 millions versés en compensation aux victimes avaient été un bon investissement, puisqu’ils avaient entraîné des investissements directs étrangers en Libye de 4 milliards de dollars en 2004, puis de 10 milliards de dollars additionnels au cours des quatre années subséquentes.   

[8] Bloomsberg Business Week, “The Opening of Libya,” 12 mars 2007.

[9] Pour plus d’informations sur le soutien domestique et l’opposition à Kadhafi, voir la fiche info  de CJPMO « La guerre civile de 2011en Libye », mai 2011.

[10] National Public Radio. “A Libya Primer,” (interview with Dirk Vandewalle), 21 février 2011.

[11] Toronto Star. “Moammar Gadhafi’s hold on Libya slipping,” 18 février 2011.

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