Fiche-info 105, publiée en novembre 2010 : cette fiche a pour objet le déclin du Canada sur la scène internationale. Sous le gouvernement Harper, la réputation du pays s’est amoindrie en raison, entre autres, de l’inaction du gouvernement face au changement climatique, de l’occupation de l’Afghanistan ou encore de la diminution de la contribution à l’aide internationale et aux forces de maintien de la paix. Cependant, le changement le plus frappant en matière de politique étrangère concerne le Moyen‑Orient, et notamment le conflit israélo‑palestinien.

Le déclin de la réputation internationale du Canada

Série Fiche-info N.105, créée: Octobre 2010, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient
 

stephenharpershrugs.pngLe 12 octobre 2010, le Canada n’a pas réussi à obtenir un siège temporaire au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU), l’un des organes de décision les plus influents de la gouvernance mondiale. Le Canada a rempli six mandats de deux ans au Conseil de sécurité depuis 1948; le vote d’octobre marque sa première candidature infructueuse. L’opinion quasi unanime au Canada et ailleurs est que des changements fondamentaux dans la politique étrangère du Canada ont causé le déclin de sa réputation internationale.

 

Comment la politique étrangère canadienne au Moyen-Orient a-t-elle changé?

Depuis la création d’Israël en 1948, le Canada a maintenu une position respectée en tant que médiateur honnête dans les cycles successifs de négociations entre Israël et les Palestiniens. Il a également présidé le Groupe de travail multilatéral sur les réfugiés pour aborder les questions de « statut final » du processus de paix. Il a envoyé des troupes aux missions de paix de l’ONU dans la région et a grandement contribué à l’aide humanitaire et à l’aide au développement, en particulier pour les réfugiés palestiniens et les nouvelles institutions palestiniennes. Au fil des décennies, le Canada a maintenu un dossier de vote à l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) conforme au droit international et un engagement envers l’autodétermination des Palestiniens aux côtés d’un État d’Israël sûr et sécuritaire. Malheureusement, tout cela a changé ces dernières années.

Les changements dans l’attitude du Canada à l’AGNU (qui ont commencé sous l’ancien premier ministre Paul Martin, mais qui se sont intensifiés sous le gouvernement Harper) reflètent une politique de soutien irréfléchi envers Israël et de mépris du droit des Palestiniens à l’autodétermination.[1] Cette tendance persiste en dépit de la dérive d’Israël vers le fondamentalisme, la confrontation et le militarisme au cours des dernières années.[2]

Pendant l’invasion israélienne du Liban en 2006, le premier ministre Harper maintenait que la riposte d’Israël était un acte de légitime défense « modéré ». Harper n’a pas changé d’avis malgré les rapports faisant foi d’une utilisation indiscriminée de sous-munitions et d’attaques disproportionnées contre des centres de population civile par Israël.[3] Le gouvernement Harper a refusé d’appeler à un cessez-le-feu lors du conflit en dépit d’un vote de la majorité des membres du Comité des affaires étrangères en ce sens. Pendant le bombardement israélien de Gaza, qui a fait 1 400 morts et s’est attiré des condamnations de toutes parts, le gouvernement du Canada a de nouveau refusé d’appeler à un cessez-le-feu. Et ce, même après qu’il ait été révélé que l’armée israélienne avait délibérément pris pour cible des infrastructures civiles et entravé les secours humanitaires.[4] Le Canada a été le seul pays en 2010 à réduire ses dons à l’UNRWA, l’agence internationale chargée de fournir des services médicaux, de l’assistance humanitaire et de la formation à la subsistance aux réfugiés palestiniens, lesquels approchent leur cinquième génération sans État.[5]

 

Y a-t-il des preuves à l’effet que ce changement de politique ait contribué à l'échec de la candidature du Canada au Conseil de sécurité?

Oui. Le vote pour les sièges au Conseil de sécurité se fait par scrutin secret; il est donc impossible de fournir le décompte des votes pour savoir quels pays ont voté pour le Portugal et l’Allemagne au lieu du Canada et les raisons pour lesquelles ils ont décidé de le faire. Néanmoins, les experts et analystes de l’ONU s’accordent pour dire que l’appui inconditionnel du Canada envers Israël a grandement contribué à la défaite.[6] Le magazine The Economist qualifie la perte du siège de « camouflet » international ayant vu le jour en grande partie à cause du « soutien indéfectible envers le gouvernement extrémiste d’Israël, s’aliénant ainsi les pays musulmans qui représentent un tiers des membres de l’ONU ». Le Ha'aretz, grand quotidien d’Israël, est d’avis que d’avoir annoncé l’augmentation des échanges bilatéraux entre le Canada et Israël pourrait avoir été « le dernier clou dans le cercueil des aspirations du Canada au Conseil de sécurité. »[7]

Le premier ministre Harper, pour sa part, a attribué la perte du siège aux « principes qui sous-tendent notre politique des affaires étrangères », dont la pièce maîtresse est son soutien inconditionnel envers Israël.[8] Évoquant la pression internationale pour soutenir le sentiment anti-Israël et pour punir les points de vue pro-israéliens, le premier ministre a fait la déclaration suivante à peine quelques semaines après la tentative ratée à l’ONU :

Que ce soit à [l’ONU] ou dans toute autre instance internationale, la meilleure chose à faire est simplement d'accepter et d'aller de pair avec cette rhétorique anti-israélienne, de prétendre qu'il est juste d'être impartial et de s'en excuser en invoquant l'étiquette de médiateur honnête. Il y a, après tout, beaucoup plus de voix - beaucoup plus - à être anti-israélien qu'à prendre position.[9]

Cette déclaration est révélatrice pour au moins deux raisons. D’abord, elle illustre le fait que son gouvernement a abandonné la position historiquement respectable du Canada de médiateur honnête au Moyen-Orient et, en fait, se moque de la position. Le gouvernement Harper a qualifié le multilatéralisme de « stratégie de nation faible »,[10] et sa politique au Moyen-Orient résulte de cette perception globale des relations internationales. Deuxièmement, Harper reconnaît que la majorité de la communauté internationale est d’avis que de prendre une position pro-Israël irraisonnée n’est pas quelque chose qui mérite d’être récompensé par de l’influence internationale et la défaite du Canada au Conseil de sécurité reflète cette opinion.

 

La position du Canada affecte-t-elle les négociations israélo-palestiniennes?

Oui. Les négociations en cours entre Israël et l’Autorité palestinienne sont en proie à une série d’obstacles structurels et politiques qui empêche la possibilité d’un règlement juste et la création d’un État palestinien viable. Ces obstacles incluent, entre autres : la fragmentation politique palestinienne entre le Fatah et le Hamas, l’absence de la question des réfugiés dans les négociations, la demande d’Israël exigeant que l’Autorité palestinienne reconnaisse Israël comme un État juif, l’expansion des colonies dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, et la réticence d’Israël à délimiter des frontières définitives. Bien que le Canada ne puisse à lui seul éliminer ces obstacles, manquer de mettre l’emphase sur les principes et d’être un médiateur honnête ne fait que renforcer l’impasse.

L’inaction du Canada en tant que président du Groupe international de travail pour les réfugiés (GTR), le forum multilatéral légitime pour discuter de solutions sur le statut définitif des réfugiés palestiniens, a également été décevante. En refusant de convoquer le GTR, le Canada démontre son refus de fournir un leadership ou de permettre des progrès au sein de cet important forum. Le Canada est lié par le droit international humanitaire et le droit interne et doit s’opposer à l’expansion des colonies israéliennes illégales dans les territoirespalestiniens occupés. En mars 2010, Lawrence Cannon, ministre des Affaires étrangères et du commerce international, a déclaré que « nous estimons que l’expansion dans Jérusalem-Est contrevient au droit international et nous devons donc la condamner. Nous sommes très préoccupés par ce qui se passe maintenant. » Pourtant, malgré cette rhétorique prometteuse, le Canada n’a rien fait pour tirer parti de ses liens économiques ou politiques avec Israël pour presser ce dernier à geler l’expansion des colonies ou à se prononcer sur des frontières définitives. La passivité actuelle du Canada souligne ainsi son soutien unilatéral envers Israël – une position qui va sans doute continuer à affaiblir la contribution du Canada à la recherche de solutions sur la scène internationale.[11]



[1]  Voir la fiche-info de CJPMO intitulée «Le biais canadien récent à l'égard d'Israël aux Nations Unies».

[2]  Fiche-info de CJPMO intitulée «Les élections israéliennes de 2009 et le changement vers la droite».

[3]  L'utilisation de munitions à fragmentation sur des centres civils et des terres agricoles a été bien documentée par Amnistie Internationale, Human Rights Watch, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), l'Office des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) et l'USAID.

[4]  Voir la fiche-info de CJPMO intitulée «Les crimes de guerre israéliens pendant l'opération "Plomb durci"».

[5]  Voir la fiche-info de CJPMO intitulée «UNRWA : histoire et contexte».

[6] Un journaliste de l'ONU n'a trouvé aucune preuve auprès des délégués de l'ONU que les commentaires d'Ignatieff aient influencé le vote. La plupart ne connaissaient même pas Ignatieff.

[7]  «Did Canada's support for Israel cost it a seat on UN Security Council?» Haaretz, 17 oct. 2010

[8]  Voir, par exemple, le Embassy Magazine : «Behind the Harper Government’s “Principled” Israel Policy», mai 2010.

[9] Galloway, Gloria, «Harper Pledges ‘Relentless’ Stand Against Anti-Semitism» Le Globe and Mail, 8 novembre 2010

[10]  Embassy Magazine. Ibid.

[11]  The Economist, Ibid.

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