Fiche-info 68, publiée en novembre 2009 : Cette fiche-info traite des raisons pour lesquelles les rapports des organisations des droits de l’homme au Moyen-Orient sont si crédibles. Des analyses réalisées par des tiers neutres qui cherchaient une divulgation complète deviennent essentielles dans la détermination des intentions, des moyens et des conséquences des conflits.
L’autorité des rapports des droits de l’homme sur le Moyen-Orient
Pourquoi les rapports des organisations des droits de l’homme sont-ils si crédibles?
Les rapports sur les droits de l'homme au Moyen-Orient sont hautement crédibles et font autorité parce qu’ils donnent l’évaluation de la situation faite par une « partie désintéressée ». Lorsqu'un conflit armé éclate, chacune des parties apportera sa propre explication sur les causes de l’affrontement et les raisons pour lesquelles des non-combattants ont pu être maltraités ou tués. Bien que de telles explications méritent d’être étudiées, il n’en demeure pas moins qu’elles sont naturellement suspectes puisqu’elles proviennent d’une partie impliquée dans le conflit; et les parties en guerre cherchent à influencer les perceptions du public et vont souvent passer en revue et censurer l'information avant de la divulguer. En conséquence, les analyses effectuées par des tierces parties neutres recherchant la divulgation complète de l’information – comme celles publiées par les organisations des droits de l'homme – deviennent essentielles afin d’établir les buts, les moyens et l’issue d’un conflit.
Les organisations des droits de l’homme sont-elles biaisées dans leur travail sur le Moyen-Orient?
Non. Les organisations internationales des droits de l'homme suivent un processus précis afin de s'assurer que leurs conclusions aient la plus de crédibilité possible (voir les sections ci-dessous). La plupart des organisations internationales des droits de l’homme travaillant au Moyen-Orient (par exemple, Amnistie Internationale (AI), Human Rights Watch (HRW), etc.) ont du personnel à différents endroits dans le monde et suivent toutes un ensemble commun de procédures et de principes bien documentés dans la conduite de leurs missions de terrain et dans l'élaboration de leurs conclusions.[1] L'impartialité de ces rapports est également attestée par le fait que la presque totalité d’entre eux exposent les violations des droits perpétrées par les deux parties au conflit (par exemple, tous les rapports de HRW sur l'invasion du Liban par Israël en 2006 relatent les violations du droit international commises tant par le Hezbollah qu’Israël). Enfin, les organisations des droits de l'homme publient régulièrement des rapports condamnant les violations des droits commises par des ennemis d'Israël, indépendamment de toute critique d'Israël.[2] [3]
Quelles sont les valeurs reflétées dans les rapports des droits de l’homme?
Pendant des décennies, depuis la Seconde Guerre mondiale, les organismes internationaux ont travaillé à développer un ensemble d'instruments juridiques internationaux qui puissent refléter les valeurs dites universelles relatives à la vie et la liberté. Le droit international humanitaire (DIH) (ex.: les Conventions de Genève) précise les droits des individus en période d'occupation et de guerre. Le DIH introduit des concepts tels que la proportion-nalité, la nécessité et la distinction, en les appliquant pour la protection des civils et des infrastructures. Le droit international des droits de la personne (ex.: la Déclaration universelle des droits de l'homme) protège les droits inhérents à tous les individus. Le travail des organisations des droits de l'homme est essentiel que le monde puisse condamner collectivement des actes qui entrent en violation de ces valeurs dites universelles. En respectant les conclusions des organisations des droits de l'homme, la communauté internationale permet de s’assurer que la vie humaine et la dignité soient respectées partout dans le monde, que ce soit en temps de conflit ou en temps de paix.
Comment les organisations des droits de l’homme déterminent-elles « les faits»?
Les organisations des droits de l’homme ont développé un certain nombre de techniques pour accéder « à ce qui s'est passé » pendant les périodes de conflit. Ce qui suit est un échantillon de haut niveau sur la façon dont les organisations de protection des droits humains déterminent « les faits » dans différentes situations:
Déterminer si les parties ont fait usage de « boucliers humains ». Lorsqu’un nombre élevé de victimes civiles résulte de frappes israéliennes, Israël attribue souvent ces pertes à l'utilisation de « boucliers humains » par ses ennemis. Si l’usage de bouclier humain est présumé, les organisations des droits de l'homme vont évaluer les allégations en se fondant sur 1) les signes d’activité militante dans la zone attaquée, tels que la destruction d’équipements militaires, des douilles d'obus usagées et la présence de combattants morts ou blessés, ou 2) des entretiens avec des témoins qui seraient en mesure de préciser si des militants étaient présents et/ou actifs au moment de l’affrontement.[4] Dans ce dernier cas, les organisations de droits de l’homme vont également procéder à un recoupement des comptes-rendus des témoins oculaires en s’assurant que lorsque des cibles militaires légitimes étaient touchées, les témoins oculaires puissent en effet décrire l'activité militaire ayant été la cible de l’assaut.
L'usage de « boucliers humains » peut prendre plusieurs formes. Dans une autre affaire, l'organisation israélienne des droits de la personne Briser le silence a été en mesure de confirmer que des soldats israéliens avaient régulièrement utilisé des Palestiniens en tant que boucliers humains[5] lors de patrouilles de porte à porte sous ordre de sécuriser une zone. Briser le silence publie l’intégral de ses entrevues avec les soldats israéliens, fait ressortir des tendances à travers les actes décrits par les soldats et contre-vérifie les faits avec d'autres témoins oculaires.
Déterminer si les parties ont délibérément pris des non-combattants pour cible. Les scénarios de combat peuvent varier considérablement, de sorte que les organisations des droits humains sont très vigilantes avant d’alléguer qu'une partie a délibérément visé des civils. L’exemple suivant montre le genre de précautions qu’elles prennent: malgré le fait qu'il y ait eu plus de 1300 morts du côté palestinien, HRW a consacré un rapport complet sur seulement sept incidents, qui ont tué 11 civils – des personnes qui brandissaient un drapeau blanc lorsqu’elles ont été abattues par les tirs d’armes légères israéliennes.[6] Les moyens de confirmer de tels actes peuvent être très fiables. Les comptes-rendus de témoins oculaires – qu'il s'agisse d'un soldat impliqué ou complice[7] ou de témoins civils[8] [9] – constituent souvent un point de départ, mais ils sont généralement accompagnés d'enquêtes sur les lieux de l'attaque et parfois de preuves tangibles comme des vidéos ou des photographies. L'analyse sera souvent basée sur le type d'arme utilisée durant l'attaque et sur une bonne compréhension de ce que la personne en contrôle de l'arme pouvait raisonnablement faire pour éviter de tuer des non-combattants.[10]
Juger des intentions des belligérants et de la possibilité que des crimes de guerre aient été commis. Les paragraphes ci-dessus donnent des exemples sur les différents outils à la disposition des organisations des droits de l'homme, mais il existe encore d'autres mécanismes. Les rapports élaborés par les médias et les déclarations publiques officielles peuvent également être des sources pour les rapports sur les droits de l'homme. Par exemple, dans son rapport sur les attaques de drones à l’aveugle par Israël et intitulé Precisely Wrong, HRW apprenait des rapports des médias que les opérateurs de drone pouvaient discerner l’habillement précis d’une cible potentielle, en plus de savoir si la cible avait ou non des objets dans ses mains.[11] Dans ce cas, avec une telle connaissance du champ de bataille, les opérateurs de drone pourraient être responsables des frappes menées contre des civils. Similairement, les déclarations publiques des dirigeants israéliens[12] pendant l'invasion israélienne du Liban en 2006 les ont également impliqués dans des crimes graves. À titre d’exemple, HRW cite une déclaration publique faite par le ministre israélien de la Justice, Haim Ramon, durant laquelle il a dit: « Tous ceux qui se trouvent aujourd'hui au Sud-Liban sont des terroristes qui sont d'une certaine manière liés au Hezbollah ». Une telle croyance – publiquement soutenue – pourrait faire en sorte que M. Ramon soit reconnu coupable pour les attaques indiscriminées subséquentes faites contre des civils libanais vivant dans le sud du Liban.
[1] À titre d'exemple, HRW donne un aperçu de sa méthodologie au http://www.hrw.org/en/node/75141. En outre, presque tous les rapports sur les droits de l'homme comprennent une section sur la méthodologie, qui décrit comment les données ont été collectées aux fins du rapport.
[2] Les exemples sont innombrables, mais l'un d’entre eux serait le rapport de HRW intitulé Under cover of war: Hamas political violence in Gaza, dans lequel HRW a documenté des cas d'arrestations arbitraires, de détentions, de torture et d'assassinats commis par des membres du Hamas.
[3] En août 2007, HRW a publié un rapport intitulé Civilians Under Assault: Hezbollah's Rocket Attacks on Israel in the 2006 War. Le Hezbollah s’est vigoureusement opposé à la publication de ce rapport et a forcé l'annulation de la conférence de presse sur le lancement du rapport à Beyrouth. Le directeur de HRW, Sarah Leah Whitson, a déclaré: « le Hezbollah essaie de faire taire la critique sur sa conduite pendant la guerre de 2006, mais l'équité et l'exactitude de nos rapports parleront d'eux-mêmes, que nous ayons une conférence de presse ou non ».
[4] La page sur la méthodologie de Fatal Strikes: Israel’s Indiscriminate Attacks Against Civilians in Lebanon (2 août 2006) peut être trouvée au http://www.hrw.org/en/node/11265/section/3. En fait, sur les dizaines de cas de morts de civils étudiés par HRW au cours de l'agression d'Israël contre le Liban, il n'y avait aucune preuve que le Hezbollah ait fait usage de boucliers humains.
[5] Cette pratique des soldats israéliens consiste à forcer un civil palestinien à proximité d’eux à s’acquitter d’une tâche (par exemple l'ouverture d'une porte pouvant être piégée, briser un mur, etc.) qui le met directement dans la ligne de feu. Désignée comme la « procédure du voisin » à une certaine époque, les personnes interviewées par Briser le silence ont admis qu’une telle pratique était toujours considérée comme une procédure habituelle par l'Armée.
[6] Voir White Flag Deaths: Killings of Palestinian Civilians during Operation Cast Lead, Human Rights Watch, août 2009.
[7] À titre d’exemple, voir Operation Cast Lead, Breaking the Silence, juin 2009, pp. 36-37.
[8] À titre d’exemple, voir Fatal Strikes: Israel’s Indiscriminate Attacks Against Civilians in Lebanon, Human Rights Watch, 2 août 2006. Le témoignage très efficace de témoins oculaires est fourni dans la section “Attacks on civilians homes”.
[9] Voir Operation ‘Cast Lead’: 22 Days of Death and Destruction, Amnistie Internationale, juillet 2009, avec une attention particulière aux pp. 24-26 “Close-range Shootings”.
[10] À titre d’exemple, voir Precisely Wrong: Gaza Civilians Killed by Israeli Drone-Launched Missiles, Human Rights Watch, juin 2009. Dans ce rapport, HRW a été en mesure de prouver que les morts de civils auraient pu être évités, compte tenu de la connaissance de la vision précise, de la cible et du contrôle que possédaient les opérateurs de drone.
[11] Precisely Wrong: Gaza Civilians Killed by Israeli Drone-Launched Missiles, p. 11
[12] Plusieurs déclarations imprudentes ont été faites par des responsables israéliens pendant l'invasion israélienne du Liban en 2006. Le lieutenant-général israélien Dan Halutz a déclaré à la chaîne israélienne Channel 10: « Si les soldats [israéliens] ne sont pas rendus, nous ramènerons le Liban 20 ans en arrière ». L'intention de s'engager dans une destruction aveugle comme le proposait M. Halutz aurait pu être considérée comme un crime de guerre en vertu du droit international.
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