Fiche-info 64, publiée en mai 2009 : Ce document introduit le terme « racisme respectable », qui est définit comme étant les pratiques et les discours qui devraient être qualifiés de racistes, mais qui ne sont plus perçus comme tels par les politiciens, les intellectuels et le grand public. Les représentations des Arabes et des musulmans comme des êtres irrationnels et animés par la haine sont au nombre des exemples de racisme respectable les plus courants à l’heure actuelle. Quand ce type de discours devient acceptable, il se transforme en « racisme acceptable », ce qui constitue une norme dangereuse qui pourrait avoir des conséquences désastreuses sur la société en général.
Le racisme « respectable » en Amérique du Nord
Qu’est-ce que le « racisme respectable »?
Dans son texte intitulé « Un racisme "respectable" »[1], le sociologue Rachad Antonius qualifie de « racisme respectable » les pratiques et les discours qui devraient être qualifiés de racistes, mais qui ne sont plus perçus comme tels par les politiciens, les intellectuels et le grand public. Le discours raciste devient acceptable lorsqu’il est utilisé par les politiciens et les autres acteurs sociaux de premier plan parce que leur position le légitime et lui confère par conséquent de la respectabilité.
Les représentations des Arabes et des musulmans comme des êtres irrationnels et animés par la haine sont au nombre des exemples de racisme respectable les plus courants à l’heure actuelle. Employées initialement pour expliquer les actes violents commis par certains Arabes ou musulmans, plus particulièrement les responsables des attentats terroristes du 11 septembre, elles ont débouché sur une généralisation à l’ensemble de la culture arabe et musulmane. On en trouve un exemple flagrant sur le site Web de la télévision de Radio-Canada, dont la section Moyen-Orient porte le titre La spirale de la haine[2].
Ce genre de connotations négatives sont désormais si étroitement liées aux termes Islam et Arabe qu’il est pratiquement impossible de les distinguer. Qu’un acte soit commis par un civil palestinien, un soldat libanais ou un fonctionnaire iraquien, s’il est violent, c’est la nature de la culture arabe qui en est la cause, et non les circonstances historiques ou l’injustice sociale. Le discours dominant insinue que les Arabes et les musulmans ont quelque chose de particulier qui serait à l’origine de la violence, de la haine et de comportements irrationnels.
Comment le racisme devient-il « respectable »?
La manière de parler de divers groupes de personnes et de les représenter dans le discours public a des répercussions majeures sur nos façons d’agir et de penser. Que ce soit dans les médias, les universités ou au café du coin, le discours public établit les paramètres de ce que la société considère comme acceptable ou politiquement correct et constitue ainsi une sorte de guide de comportement dans la vie de tous les jours.
Surtout depuis le 11 septembre, mais même avant, des types particuliers de discours sur les musulmans et les Arabes se sont imposés, avec des conséquences graves sur le traitement qui leur est réservé, non seulement au Canada et aux États-Unis, mais aussi dans le reste du monde en raison de la politique étrangère. Rachad Antonius a noté que les généralisations faites à propos des musulmans et des Arabes qui étaient auparavant considérées comme socialement inacceptables, voire racistes, sont maintenant défendues publiquement comme étant des caractéristiques inhérentes et culturelles, ce qui cause une nouvelle vague de racisme que l’on peut appeler le racisme respectable.
Quelles sont les manifestations du racisme respectable en Amérique du Nord?
Le racisme « respectable » au Canada et aux États-Unis est utilisé par ceux qui veulent justifier certaines politiques étrangères en diabolisant les forces politiques arabes et musulmanes. La politique des États-Unis et du Canada à l’égard du conflit israélo-palestinien illustre bien ce point. En assimilant les Palestiniens à la violence, on fait du soutien aux Palestiniens l’équivalent d’une défense de la « haine » et de la « terreur », ce qui justifie a contrario la défense de l’occupation du territoire palestinien et de la violence contre le peuple palestinien.
Par ailleurs, on n’accorde pas la même attention à la vie d’un Palestinien qu’à celle d’un Israélien. Beaucoup moins d’Israéliens meurent d’attaques palestiniennes que de Palestiniens d’attaques israéliennes[3]. Pourtant, lorsqu’un Palestinien non armé est tué en Cisjordanie par les forces israéliennes, par exemple, la presse occidentale n’y accorde pas beaucoup d’attention. En fait, les souffrances quotidiennes des Palestiniens sont rarement mentionnées dans les pages de publications occidentales, qui s’intéressent seulement aux réactions violentes qu’elles suscitent. Résultat : c’est Israël, occupant et colonisateur, qui passe pour la victime. Les Palestiniens sont perçus comme violents et intransigeants, et l’on insinue que leur tempérament résulte de leur ethnicité ou de leur religion, au lieu de facteurs historiques ou politiques.
Les médias occidentaux jouent un rôle central dans cette représentation des Arabes comme irrationnels et haineux. Non seulement ils propagent ces stéréotypes, comme l’illustre l’exemple de Radio-Canada susmentionné, mais ils participent également à la distorsion et à la négation sélectives des faits sur le terrain. Les manœuvres de feu Israel Asper, propriétaire de CanWest Global Media, en offrent un exemple parlant : en août 2001, tous les comités de rédaction de ses journaux (une douzaine de quotidiens importants au Canada, entre autres) ont reçu une circulaire leur interdisant de critiquer Israël et indiquant que le siège social de CanWest serait désormais chargé de rédiger tous les éditoriaux sur ce sujet, qui seraient envoyés aux divers journaux pour être publiés[4].
Selon le journaliste primé Robert Fisk, la chaîne CNN a donné des instructions strictes aux journalistes au sujet des colonies construites autour de Jérusalem en violation du droit international[5] : il ne faut pas les appeler « colonies », mais plutôt « quartiers juifs » construits sur « un territoire occupé par Israël en 1967 »[6]. Il résulte de telles distorsions que les colons sont représentés comme des civils israéliens ordinaires vivant dans des quartiers juifs, et non comme des intégristes armés. L’opposition des Palestiniens à l’occupation illégale n’est pas vue comme un acte de résistance ou de désespoir, mais plutôt comme un acte antisémite.
Quels sont les dangers de ce type de discours?
Le principal problème que pose le racisme respectable est, de loin, que ce discours n’est pas reconnu pour du racisme. Les fausses représentations qu’il propage sont plutôt prises pour la réalité et, par conséquent, elles légitiment les actes qui aggravent le mauvais traitement subi par les cibles de ce racisme.
De plus, la distorsion et la négation d’information essentielle ont plusieurs conséquences. Premièrement, les manifestations de colère des Palestiniens, des Arabes et des musulmans sont perçues comme l’expression de leur haine. Or, en représentant leur colère de la sorte, on occulte les causes réelles de la violence politique et du terrorisme. Deuxièmement, cette soi-disant haine est présentée comme une caractéristique fondamentale des cultures islamique et arabe, représentation stéréotypée négative des Arabes et des musulmans du Moyen-Orient qui contribue à renforcer la division ethnique en Amérique du Nord.
Comprendre ce qui nourrit l’hostilité aux Arabes et aux musulmans ici et à l’étranger est de la plus haute importance pour ceux et celles qui sont préoccupés par les questions de justice sociale. Comprendre les causes de l’hostilité à l’Occident dans le monde arabe est tout aussi important. Compte tenu de l’hostilité croissante du climat actuel à la libre discussion sur ce sujet, les enjeux sont immenses pour ceux et celles qui ont intérêt à ce que ce discours raciste cesse.
[1] Antonius, Rachad, « Un racisme “respectable” », in Jean Renaud et coll. Les relations ethniques en question. Ce qui a changé depuis le 11 septembre 2001, pp. 253-271. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 2002.
[2] « La spirale de la haine », Radio-Canada. http://www.radio-canada.ca/nouvelles/dossiers/israel/conflit/
[3] « Fatalities », B’Tselem, http://www.btselem.org/english/statistics/Casualties.asp.
[4] Antonius, Rachad, « Un racisme “respectable” », op. cit.
[5] The Independent, Londres, 3 septembre 2001, cité par Antonius, Rachad, « Un racisme “respectable” », op. cit
[6] Antonius, Rachad, « Un racisme “respectable” », op. cit.
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