Lutte contre le racisme anti-palestinien et l'antisémitisme :

Ce rapport conjoint fournit des recommandations au gouvernement canadien concernant le renouvellement de la stratégie fédérale de lutte contre le racisme. Il soutient que la stratégie canadienne doit s'attaquer à l'antisémitisme, à l'islamophobie et au racisme anti-palestinien, main dans la main, en utilisant un cadre intersectionnel. Il s'agit d'une soumission conjointe de Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient (CJPMO), de l'Arab Canadian Lawyers Association (ACLA), de Voix juives indépendantes Canada (VJI) et du Conseil canadien des affaires publiques musulmanes (CCAPM).

Émis en mai 2024

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Résumé des recommandations politiques

  1. La stratégie antiraciste du Canada et les manuels/guides associés doivent reconnaître que le colonialisme de peuplement est une caractéristique centrale et le fondement du racisme au Canada et en Israël.
  2. La stratégie canadienne de lutte contre le racisme doit inclure une description du racisme anti-palestinien.
  3. La stratégie antiraciste du Canada et le manuel de l'IHRA doivent reconnaître les intersections et le déséquilibre structurel entre les efforts de lutte contre le racisme anti-palestinien et l'antisémitisme.
  4. Le manuel de l'IHRA doit fournir un équilibre d'exemples de ce que l'antisémitisme est et n'est pas, et reconnaître la primauté du contexte.
  5. La stratégie antiraciste du Canada et les manuels/guides associés doivent protéger les droits garantis par la Charte, les libertés civiles et les droits des défenseurs des droits de la personne.
  6. La stratégie antiraciste du Canada et les manuels/guides associés doivent reconnaître les lacunes des données sur les crimes de haine et éviter de privilégier certaines formes de racisme par rapport à d'autres.
  7. La stratégie antiraciste du Canada doit aborder le lien entre le soutien au sionisme et le racisme anti-palestinien.
  8. Le Canada doit reconnaître officiellement la Nakba et son rôle dans la partition du mandat de la Palestine.

Introduction

Au printemps 2024, le gouvernement du Canada devrait publier sa dernière version de la Stratégie antiraciste du Canada (SADC). Par la suite, le Canada publiera un « manuel de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA) » par l'intermédiaire du bureau de l'envoyé spécial pour la préservation de la mémoire de l'Holocauste et la lutte contre l'antisémitisme, afin de guider les institutions sur la manière d'interpréter et d'appliquer la définition de travail controversée de l'antisémitisme de l'IHRA. Nos organisations s'opposent à la définition de l'IHRA car elle assimile faussement la critique légitime des politiques et actions israéliennes à de l'antisémitisme,[1] et dresse les communautés les unes contre les autres au lieu d'unir les Canadiens dans la lutte contre toutes les formes de racisme et de sectarisme.

Nous insistons sur le fait que le SADC et ses documents et programmes connexes doivent tenir compte de la question unique du racisme systémique anti-palestinien, dans un contexte de montée en flèche des niveaux globaux de haine anti-palestinienne, anti-arabe, islamophobe (anti-musulmane) et antisémite (anti-juive) apparaissant au cours de ce que la Cour internationale de justice (CIJ) a reconnu comme un « génocide plausible » par Israël dans la bande de Gaza. Le Canada doit également reconnaître que l'amalgame entre la critique légitime des politiques et des actions israéliennes et l'antisémitisme rend plus difficile pour le public l'identification du véritable antisémitisme, mettant ainsi délibérément les Juifs en danger. En outre, insister sur le fait que le judaïsme/la judéité signifie un soutien non critique aux politiques et aux actions d'un État qui est largement et à juste titre condamné pour de graves violations des droits de la personne est en soi antisémite, efface les identités et les histoires juives non sionistes, et met également les Juifs en danger. Nous pensons que nous devons nous attaquer à l'antisémitisme, à l'islamophobie et au racisme anti-palestinien, main dans la main, en utilisant un cadre intersectionnel.

Pour les besoins de cette soumission, nous définirons le racisme anti-palestinien en utilisant la description de l'Association des juristes arabes canadiens trouvée dans leur rapport cadre sur le rapport annuel d'activité 2022 :

« Le racisme anti-palestinien est une forme de racisme anti-arabe qui réduit au silence, exclut, efface, stéréotype, diffame ou déshumanise les Palestiniens ou leurs récits. Le racisme anti-palestinien prend diverses formes, notamment : nier la Nakba et justifier la violence contre les Palestiniens ; ne pas reconnaître les Palestiniens en tant que peuple autochtone ayant une identité collective, une appartenance et des droits en relation avec la Palestine occupée et historique ; effacer les droits de la personne et l'égalité de dignité et de valeur des Palestiniens ; exclure ou faire pression sur d'autres pour exclure les perspectives palestiniennes, les Palestiniens et leurs alliés ; diffamer les Palestiniens et leurs alliés en les accusant d'être intrinsèquement antisémites, d'être une menace terroriste/un sympathisant ou d'être opposés aux valeurs démocratiques. »[2]

Notre référence pour décrire l'antisémitisme provient de la Déclaration de Jérusalem sur l'antisémitisme (DJA), un document créé comme une alternative et un « correctif pour surmonter les lacunes de la définition de l'IHRA», approuvé par plus de 350 des plus grands spécialistes mondiaux de l'Holocauste, de l'antisémitisme et du Moyen-Orient.[3] La définition du DJA est accompagnée de lignes directrices détaillées sur ce qui constitue ou non de l'antisémitisme. Sa définition de base se lit simplement :

« L'antisémitisme est la discrimination, les préjugés, l'hostilité ou la violence à l'encontre des juifs en tant que juifs (ou des institutions juives en tant que juives) ».

Vous trouverez ci-dessous les propositions de nos organisations concernant la relance de la stratégie antiraciste du Canada et le nouveau manuel de l'IHRA, ainsi qu'un processus de consultation pour ces deux documents.

Consultations sur la stratégie antiraciste du Canada et le manuel de l'IHRA

1. Nos organisations souhaitent que le processus d'élaboration du manuel de l'IHRA et de mise à jour des SARR soit transparent et ouvert à l'examen public de la société civile et des citoyens ordinaires. Nous demandons au ministre du Patrimoine canadien et au ministre de la Diversité, de l'Inclusion et des Personnes handicapées de s'engager par écrit à élargir l'étendue et la profondeur des consultations qui auront lieu sur le nouveau SADC afin de s'assurer qu'elles incluent les membres des communautés palestiniennes et alliées. Nous demandons que ce nouveau processus de consultation soit transparent et comprenne la liste des groupes invités à participer.

Nos organisations souhaitent participer à la nouvelle consultation afin de donner leur avis sur les SADC et les documents connexes avant leur diffusion au public. Nous voulons également nous assurer qu'une pluralité d'organisations palestiniennes-canadiennes, de groupes ethno-religieux, de syndicats du secteur public et d'organisations internationales de défense des droits de la personne soient également consultés avant leur publication. Nous sommes préoccupés par l'impact négatif potentiel sur les droits humains des Palestiniens de la stratégie antiraciste du Canada, qui exclut l'expérience des Palestiniens et de leurs alliés, ainsi que par les conséquences de l'adoption du manuel de l'IHRA, qui pourrait avoir un impact négatif sur les Palestiniens et les parties prenantes musulmanes en portant atteinte aux droits civils et politiques des Canadiens d'origine palestinienne et de leurs alliés, en vertu de la Charte. Compte tenu de l'expérience des communautés palestiniennes, arabes et musulmanes dans le cadre de la guerre contre le terrorisme en Amérique du Nord,[4], il convient d'accorder une attention particulière à la lutte contre le racisme structurel du Canada à l'égard de ces communautés. En plus de consulter largement une diversité de communautés palestiniennes, arabes et musulmanes, il est également essentiel de consulter une diversité de groupes juifs, notamment les groupes qui soutiennent les droits des Palestiniens.

2. Nous demandons que les nouvelles consultations sur le manuel de l'IHRA comprennent des modalités multiples, y compris des soumissions écrites ainsi que des rapports écrits sur les soumissions orales faites par le biais de rapports « Ce que nous avons entendu » provenant de toutes les sessions. Les consultations doivent être complètes et transparentes. Le processus de consultation doit suivre les méthodes utilisées pour développer le cadre climatique pancanadien à partir du premier mandat du gouvernement comme base de référence.

Contenu de la stratégie antiraciste du Canada et du manuel de l'IHRA

1. La stratégie antiraciste du Canada et les manuels/guides associés doivent reconnaître que le colonialisme de peuplement est une caractéristique centrale et le fondement du racisme au Canada et en Israël.[5]

Le Canada et Israël sont tous deux des États coloniaux, issus de l'impérialisme britannique.[6] Compte tenu de cette histoire intersectionnelle, la stratégie antiraciste du Canada doit aborder le racisme sous l'angle du colonialisme de peuplement et, par conséquent, l'antisémitisme et le racisme anti-palestinien, comme toutes les formes de racisme, doivent être compris dans la structure du colonialisme de peuplement présent au Canada.[7]

La SADC et ses manuels associés doivent examiner des questions telles que la critique de la politique israélienne et le soutien des droits des Palestiniens sous l'angle du colonialisme de peuplement et être cohérents avec nos propres définitions du racisme au Canada.[8] En considérant le racisme au Canada et à l'étranger sous cet angle, nous pourrons identifier correctement les causes profondes du racisme anti-palestinien et de l'antisémitisme et nous attaquer aux déséquilibres de pouvoir entre les Palestiniens et les communautés juives, ce qui nous permettra de créer des politiques, des programmes et des documents connexes équitables. Le Canada doit également reconnaître que le régime d'apartheid d'Israël ressemble à notre propre domination coloniale des peuples autochtones.[9] Il serait problématique que la stratégie canadienne de lutte contre le racisme reconnaisse que le Canada est un pays colonisé, tout en limitant la même analyse d'Israël au motif qu'il est raciste à l'égard de la population colonisatrice simplement parce qu'elle est juive.

2. La stratégie canadienne de lutte contre le racisme doit inclure une description du racisme anti-palestinien.

Le racisme anti-palestinien doit être reconnu dans le cadre de la politique antiraciste du Canada avant que des lignes directrices ne soient élaborées pour mettre en œuvre la définition de l'antisémitisme de l'IHRA, afin d'éviter des effets négatifs sur l'équité pour les membres de la communauté palestinienne et des communautés alliées.[10] Les manuels et les guides doivent être conformes à une approche antiraciste qui inclut une définition du racisme anti-palestinien, ainsi que d'autres définitions du racisme et de la discrimination. Il est important de comprendre que le racisme anti-palestinien est distinct de l'islamophobie (racisme anti-musulman), mais qu'il se recoupe dans certains cas avec elle. Confondre le racisme anti-palestinien et l'islamophobie revient à gommer l'identité et les expériences des Palestiniens, ainsi que les causes profondes du racisme qu'ils subissent.[11] Le Canada devrait adopter et comprendre le concept de racisme anti-palestinien dans son travail de lutte contre le racisme. Lorsqu'une définition du racisme anti-palestinien est requise (c'est-à-dire dans l’SADC), le Canada devrait utiliser la description du racisme anti-palestinien figurant dans le rapport de l'SADC, qui peut être affinée si nécessaire après les consultations de l’SADC avec la communauté palestinienne.

3. La stratégie canadienne de lutte contre le racisme et le manuel de l'IHRA doivent reconnaître les intersections et le déséquilibre structurel entre les efforts de lutte contre le racisme anti-palestinien et l'antisémitisme.

L'augmentation récente des incidents antisémites, anti-arabes, anti-palestiniens et islamophobes ne peut être séparée de l'escalade du racisme et de la xénophobie que nous observons dans le monde entier ; des phénomènes liés à la diminution de la démocratie libérale influencée par les effets de l'ethnonationalisme, du capitalisme de surveillance et de l'effondrement de l'environnement. La lutte et l'éducation contre l'antisémitisme doivent faire partie d'une lutte plus large contre la suprématie blanche, l'eurocentrisme et toutes les formes de haine et de discrimination de groupe. L’SADC doivent se situer correctement dans cette réalité politique plus large afin que les ministres puissent être aidés à comprendre leur travail d'une manière intersectionnelle.

La lettre de mandat de la ministre de la Diversité et de l'Inclusion indique : « Dans l'ensemble de notre travail, nous restons déterminés à faire en sorte que les politiques publiques soient éclairées et élaborées dans une optique intersectionnelle, notamment en appliquant des cadres tels que l'Analyse comparative entre les sexes Plus (ACS+) ... ».[12] À cette fin, la stratégie antiraciste du Canada doit aborder le rôle que la définition de l'antisémitisme de l'IHRA a joué dans la perpétuation du racisme anti-palestinien.[13] Dans ce contexte, l'intersectionnalité implique d'aborder les impacts négatifs potentiels des politiques canadiennes sur l'équité par le biais d'une analyse ACS+ ou d'un autre outil d'évaluation mieux adapté à l'équité raciale,[14] . Cet outil doit être mis à la disposition de la société civile à des fins d'examen. En bref, l'approche politique du Canada en matière d'antisémitisme ne doit pas nuire à la capacité des Palestiniens et de leurs alliés à faire face à leurs expériences de racisme structurel au Canada et en Israël. Le Canada doit également évaluer comment le fait de ne pas traiter adéquatement le racisme anti-palestinien peut exacerber l'islamophobie, le racisme anti-arabe et le racisme anti-indigène au Canada.

4. Le manuel de l'IHRA doit fournir un équilibre d'exemples de ce que l'antisémitisme est et n'est pas, et reconnaître la primauté du contexte

L'antisémitisme, comme toutes les formes de racisme, peut prendre diverses formes et est spécifique au contexte. Nous implorons donc les ministères du Patrimoine canadien et des Affaires mondiales de s'assurer que l'envoyé spécial s'engage à déclarer que la critique de la politique et des actions israéliennes n'est pas de l'antisémitisme et d'inclure des exemples de «ce que l'antisémitisme n'est pas » dans le prochain manuel de l'IHRA à l'intention des Canadiens. Un large éventail d'organisations de la société civile au Canada a exprimé de sérieuses préoccupations quant à la façon dont l'IHRA associe la critique de la politique et des actions israéliennes à l'antisémitisme et à la façon dont l'IHRA est appliquée dans la pratique pour faire taire les critiques de la politique israélienne. [15]

Nous demandons aux ministres responsables d'insister pour que le manuel utilise les exemples de la Déclaration de Jérusalem sur l'antisémitisme, au lieu des exemples de l'IHRA, comme base pour définir des exemples canadiens de ce qui n'est pas de l'antisémitisme. Par exemple, le manuel devrait affirmer que le boycott d'Israël en raison de ses violations des droits de la personne, la critique de la politique israélienne (même si elle est sévère), y compris l'antisionisme, l'utilisation de la terminologie de l'apartheid ou du colonialisme de peuplement et le soutien du droit de retour des réfugiés palestiniens, ne sont pas antisémites. Les ministres doivent veiller à ce que les exemples d'antisémitisme soient compatibles avec la protection des droits civils et politiques et des libertés fondamentales des Canadiens. Dans l'ensemble, le Canada doit faire une distinction claire entre l'adoption d'une approche antiraciste et l'adoption d'une approche IHRA qui considère la critique de la politique et de l'action racistes et ethno-nationalistes d'Israël comme intrinsèquement antisémite.

5. La stratégie antiraciste du Canada et les manuels/guides associés doivent protéger les droits garantis par la Charte, les libertés civiles et les droits des défenseurs des droits de la personne.

Le gouvernement doit veiller à ce que les SADC ne réduisent pas au silence les Palestiniens ou les défenseurs des droits de la personne en citant sans esprit critique des définitions comme celle de l'IHRA, qui associent la critique de la politique israélienne à l'antisémitisme.[16] Les ministres doivent s'assurer que le Canada s'engage à protéger la Charte et les droits civils et politiques des Palestiniens et de leurs alliés à critiquer les politiques israéliennes au Canada. Le Canada doit affirmer que les Palestiniens et leurs alliés ont le droit d'exprimer leur point de vue sur les expériences des Palestiniens en matière de racisme systémique et structurel et d'occupation en Israël, sans être réprimés par l'État canadien ou les institutions financées par le gouvernement. Restreindre la liberté d'expression des Palestiniens et de leurs alliés sur les questions de racisme structurel en Israël n'est pas une limite raisonnable à la liberté d'expression car cela permet la perpétuation d'un système d'apartheid en Israël et de domination raciale au Canada. Au lieu de cela, le Canada doit harmoniser le SADC, et son approche de l'antisémitisme et du manuel associé, avec la Déclaration sur les défenseurs des droits de la personne et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.[17] À titre d'exemple, les ministres doivent s'assurer que l'approche canadienne de l'antisémitisme ne peut être utilisée pour restreindre le lieu des rassemblements publics, des manifestations ou d'autres activités légitimes destinées à promouvoir les droits des Palestiniens ou à protester contre les crimes de guerre, tels que la complicité du Canada dans l'activité économique liée aux colonies de peuplement illégales. Ces droits protégés par la Charte, que l'on retrouve également dans la Déclaration et le Pacte, affirment le droit de réunion pacifique (article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques) et la liberté d'expression (article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques). L'imposition de restrictions déraisonnables aux défenseurs des droits de la personne dans ce contexte relève du racisme systémique anti-palestinien.

6. La stratégie antiraciste du Canada et les manuels/guides associés doivent reconnaître les lacunes des données sur les crimes haineux et éviter de privilégier certaines formes de racisme par rapport à d'autres.

Selon le ministère canadien de la Justice, seul un crime de haine sur dix est signalé à la police.[18] Cette sous-déclaration serait particulièrement répandue chez les personnes racialisées et les autochtones, en raison principalement de leur méfiance à l'égard du système de justice pénale et des forces de police, ainsi que du manque de ressources nécessaires pour encourager le dépôt de telles plaintes. En revanche, les Canadiens d'origine juive sont depuis longtemps encouragés à signaler d'éventuels crimes de haine grâce à des structures de signalement bien établies, ainsi qu'à des relations positives avec les forces de l'ordre et d'autres agences, et signalent donc beaucoup plus souvent les crimes de haine et les discriminations présumés. [19]

Les taux d'antisémitisme sont encore plus élevés parce que des organisations comme B'nai Brith Canada appliquent la définition de l'IHRA de façon non critique et sans tenir compte du contexte, de sorte que les cas de critiques légitimes de la politique et des actions israéliennes sont mis dans le même sac que les cas d'antisémitisme réel. Malgré ces lacunes méthodologiques, les statistiques sur les crimes haineux signalés et vérifiés - provenant de Statistique Canada, des services de police ou d'organisations de défense pro-israéliennes comme B'nai Brith - sont souvent présentées comme des faits[20] (c'est-à-dire sans tenir compte du contexte ou de la bonne foi de la plainte), ce qui fausse la compréhension du ciblage relatif des différents groupes minoritaires et, par conséquent, les implications en matière d'élaboration de politiques et d'allocation de ressources.

L'annonce par le gouvernement d'un manuel destiné à traiter ostensiblement une seule forme de racisme - l'antisémitisme - n'est qu'un exemple parmi d'autres et peut être considéré, en soi, comme un exemple de racisme structurel et d'effacement des droits des Palestiniens. Nous mettons donc en garde contre l'utilisation de telles statistiques, qui risquent de privilégier certains groupes et d'en marginaliser d'autres, en l'occurrence les Palestiniens et leurs alliés.

7. La stratégie canadienne de lutte contre le racisme doit aborder le lien entre le soutien au sionisme et le racisme anti-palestinien.

Si le gouvernement veut vraiment être antiraciste, il doit éliminer - et non confondre - l'islamophobie et le racisme anti-palestinien. Pour ce faire, il devra examiner comment le soutien systémique du Canada au sionisme politique (ethnonationalisme israélien) contribue de manière déterminante au racisme anti-palestinien, au racisme anti-arabe et à l'islamophobie.[21] L'étude du professeur Jasmin Zine sur l'industrie de l'islamophobie au Canada identifie les « groupes pro-israéliens et de droite marginale »[22] comme des acteurs clés dans la perpétuation de la haine par le biais de l'activisme anti-musulman et de la diffusion de théories de conspiration anti-islamistes sur les Arabes et les Palestiniens. Le rapport de Zine a également constaté que ces groupes marginaux ont utilisé la définition de l'antisémitisme de l'IHRA « comme un alibi pour censurer les critiques légitimes d'Israël et de ses politiques, en particulier les critiques qui accusent Israël de s'engager dans des pratiques racistes, coloniales et d'apartheid ».[23] La recherche sur le racisme anti-palestinien montre que le soutien au sionisme est un moteur essentiel du racisme anti-palestinien perpétré par les organisations sionistes au Canada.[24] L'une des principales caractéristiques de ce racisme distinct est d'effacer les Palestiniens en niant leur identité/histoire unique et en les considérant plutôt comme des Arabes et/ou des Musulmans.

Les CARS doivent également reconnaître que la promotion des récits sionistes, au Canada et en Israël, implique souvent la promotion de politiques (y compris les politiques étrangères) qui soutiennent des formes d'oppression raciale contre les Palestiniens, ou qui perpétuent des tropes anti-palestiniens. Tout comme les récits coloniaux de « terra nullius » sont utilisés pour justifier la dépossession des peuples indigènes au Canada, des récits sionistes similaires sont utilisés pour justifier la dépossession (et le génocide) des Palestiniens.[25] Les représentants du gouvernement sont une source importante de rhétorique déshumanisante ou de stéréotypes racistes sur les Palestiniens et leurs alliés dans leurs déclarations, ce qui favorise ensuite le racisme de la société canadienne dans son ensemble et des médias (par exemple, en calomniant les rassemblements pro-palestiniens comme des rassemblements pro-Hamas, ce qui a donné lieu à des représailles sur le lieu de travail et à de la haine en ligne) et finit par être intégré dans les politiques gouvernementales.

8. Le Canada doit reconnaître officiellement la Nakba et son rôle dans la partition du mandat de la Palestine[26]

La Nakba (« catastrophe » en arabe) fait référence au nettoyage ethnique planifié du mandat de la Palestine qui a commencé avant la déclaration unilatérale d'indépendance d'Israël et qui a culminé avec l'expulsion forcée (« transfert ») de plus de 750 000 Palestiniens lors de la création d'Israël. La Nakba a été considérée comme nécessaire par les colons juifs pour obtenir une supériorité démographique. Le Canada n'a jamais reconnu cet acte de dépossession, ni le soutien qu'il lui a apporté. Le déni de la Nakba est une forme courante de racisme anti-palestinien.

Des millions de réfugiés palestiniens continuent d'être déplacés de force de leurs foyers, beaucoup d'entre eux vivant encore dans des camps de réfugiés dans toute la région, notamment en Jordanie, au Liban et en Syrie, ainsi qu'en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza, occupées par Israël. Le Canada doit reconnaître la Nakba comme une injustice historique et permanente. Il doit également reconnaître l'implication, le soutien et la complicité de l'État canadien dans la Nakba, en vertu du fait que les politiciens canadiens ont joué un rôle de premier plan dans la création et l'exécution du plan de partage de l'ONU qui a divisé la Palestine historique, ainsi que sa complicité dans le nettoyage ethnique et le génocide des Palestiniens qui se poursuivent.[27] Une telle reconnaissance permettrait une conversation équilibrée sur la responsabilité du Canada de se souvenir de l'Holocauste et d'y remédier, sans pour autant effacer la violence subie par les Palestiniens à la suite de la création de l'État moderne d'Israël. Le déni canadien actuel de la Nakba a créé un climat politique et public qui prive les Palestiniens et leurs critiques de l'État israélien de tout contexte critique, leur permettant facilement d'être taxés d'antisémites et/ou de sympathisants terroristes alors qu'ils ne font que décrire leur expérience de la violence structurelle.

[1] Independent Jewish Voices, (février 2023), 30+ Civil Society Groups to Canadian Heritage : Ditch Controversial Antisemitism Definition from Granting Procedures, https://www.ijvcanada.org/30-civil-society-groups-to-canadian-heritage-ditch-controversial-antisemitism-definition-from-granting-procedures/ ; Human Rights Watch, (avril 2023), Human Rights and other Civil Society Groups Urge United Nations to Respect Human Rights in the Fight Against Antisemitism, https://www.hrw.org/news/2023/04/04/human-rights-and-other-civil-society-groups-urge-united-nations-respect-human ; CJPMO, (décembre 2022), IHRA's True Intentions : Voici le discours sur Israël et la Palestine que l'IHRA veut faire taire, https://www.cjpme.org/ihra_intentions

[2] Arab Canadian Lawyers Association, (avril 2022), Anti-Palestinian Racism : Naming, Framing and Manifestations - Community consultations and reflections, https://static1.squarespace.com/static/61db30d12e169a5c45950345/t/627dcf83fa17ad41ff217964/1652412292220/Anti-Palestinian+Racism-+Naming%2C+Framing+and+Manifestations.pdf

[3] Déclaration de Jérusalem sur l'antisémitisme, https://jerusalemdeclaration.org/

[4] Palestine Legal et le Centre for Constitutional Rights, (février 2024), Anti-Palestinian at the Core : The Origins and Growing Danger of U.S. Antiterrorism Law, https://ccrjustice.org/anti-palestinian-core-origins-and-growing-dangers-us-antiterrorism-law

[5] Pour en savoir plus sur le colonialisme de peuplement, voir : Wildeman & Ayyash, ed. (2023), Canada as a Settler Colony on the Question of Palestine, University of Alberta Press ; Tilley, V. ed. (2012), Beyond Occupation : Apartheid, Colonialism & International Law in the Occupied Palestinian Territories, Pluto Press ; Rashid Khalidi, (2020), The Hundred Years War on Palestine : A History of Settler Colonialism and Resistance, 1917-2017, Metropolitan Books ; Noura Erakat, (2019), Justice for Some : Law and the Question of Palestine, Stanford University Press ; Falk, Duggard, & Lynk, (2022), Protecting Human Rights in Occupied Palestine : Working Through the United Nations, Clarity Press ; Regan, B., (2017), The Balfour Declaration : Empire, the Mandate and Resistance in Palestine, Verso Books ; MacMillian, M., (2001), Paris 1919 : Six Months that Changed the World, Random House Trade Paperbacks ; Veracini, L., (2021), The World Turned Inside Out : Settler Colonialism as a Political Idea, Verso Books ; Gott, R., (2011), Britain's Empire : Resistance, Repression, an Revolt, Verso Books ; Ali, T., (2022), Winston Churchill : His Times, His Crimes, Verso Books ; Awad & Levin, (2020) in Awad and Bean, Palestine : A Socialist Introduction. Haymarket Books ; Pappe, I., (2006), The Ethnic Cleansing of Palestine, Oneworld Publications ;

[6] Patrimoine canadien, Jeter les bases du changement : Stratégie canadienne de lutte contre le racisme, 2019-2022, https://www.canada.ca/en/canadian-heritage/campaigns/anti-racism-engagement/anti-racism-strategy.html

[7] Wolfe, P., (2016), Traces de l'histoire : Elementary Structures of Race, Verso Books ;

[8] UN News, (Oct 27, 2022) Israel's illegal occupation of Palestinian territory, tantamount to 'settler-colonialism' : Expert de l'ONU, https://news.un.org/en/story/2022/10/1129942

[9] Amnesty International, (2022), Israel's Apartheid Against Palestinians : A look into decades of oppression and domination, https://www.amnesty.org/en/latest/campaigns/2022/02/israels-system-of-apartheid/ ; Human Rights Watch, (2021), A Threshold Crossed : Israeli Authorities and the Crime of Apartheid and Persecution (Les autorités israéliennes et le crime d'apartheid et de persécution), https://www.hrw.org/report/2021/04/27/threshold-crossed/israeli-authorities-and-crimes-apartheid-and-persecution

[10] Arab Canadian Lawyers Association, (avril 2022), Anti-Palestinian Racism : Naming, Framing and Manifestations - Community consultations and reflections, https://static1.squarespace.com/static/61db30d12e169a5c45950345/t/627dcf83fa17ad41ff217964/1652412292220/Anti-Palestinian+Racism-+Naming%2C+Framing+and+Manifestations.pdf ; Anti-Palestinian Racism 101 : Defining Anti-Palestinian Racism, https://www.antipalestinianracism.com/defining

[11]  Arab Canadian Lawyers Association, (avril 2022), Anti-Palestinian Racism : Naming, Framing and Manifestations - Community consultations and reflections, https://static1.squarespace.com/static/61db30d12e169a5c45950345/t/627dcf83fa17ad41ff217964/1652412292220/Anti-Palestinian+Racism-+Naming%2C+Framing+and+Manifestations.pdf

[12] Premier ministre du Canada, (16 décembre 2021), Lettre de mandat de la ministre du Logement et de la Diversité et de l'Inclusion, https://www.pm.gc.ca/en/mandate-letters/2021/12/16/minister-housing-and-diversity-and-inclusion-mandate-letter

[13] CJPMO, (2023), Le racisme anti-palestinien au Canada : Rapport 2022 de CJPMO, https://www.cjpme.org/apr_report_2022

[14] Par exemple, la boîte à outils pour l'évaluation de l'impact sur l'équité raciale (Racial Equity Impact Assessment Toolkit) :https://www.raceforward.org/practice/tools/racial-equity-impact-assessment-toolkit

[15] Independent Jewish Voices, (février 2023), 30+ Civil Society Groups to Canadian Heritage : Supprimez la définition controversée de l'antisémitisme des procédures d'octroi de subventions, https://www.ijvcanada.org/30-civil-society-groups-to-canadian-heritage-ditch-controversial-antisemitism-definition-from-granting-procedures/ ;

[16] Sheryl Nestel et Rowan Gaudet, (2022), Unveiling the Chilly Climate : the Suppression of Speech on Palestine in Canada, Independent Jewish Voices, https://www.ijvcanada.org/unveilingthechillyclimate/ ; CJPMO, (Dec, 2022), IHRA's True Intentions : This is the Speech About Israel and Palestine that IHRA Wants to Silence, https://www.cjpme.org/ihra_intentions ; Gould, R., (2023), Erasing Palestine : Free Speech and Palestinian Freedom, Verso Books ;

[17] Rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs des droits de l'homme, (mars 1999), Déclaration sur les défenseurs des droits de l'homme, OHCHR, https://www.ohchr.org/en/special-procedures/sr-human-rights-defenders/declaration-human-rights-defenders ; Assemblée générale des Nations unies, (décembre 1966), Pacte international relatif aux droits civils et politiques, OHCHR, https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-civil-and-political-rights. 

[18] Ministère de la Justice du Canada, (2022), Un préjudice disproportionné : les crimes de haine au Canada

https://www.justice.gc.ca/eng/rp-pr/csj-sjc/crime/wd95_11-dt95_11/p0_1.html

[19]Robert Brym, Keith Neuman & Rhonda Lenton, 2018 Enquête sur les Juifs au Canada. Environics Institute, Université de Toronto, Université de York.

[20]  Sheryl Nestel (2021), The Use and Misuse of Antisemitism Statistics in Canada, Independent Jewish Voices https://www.ijvcanada.org/wp-content/uploads/2021/04/Sheryl-Nestel_Use-and-Misuse-of-Antisemitism-Statistics.pdf

[21] Massoumi, Mills, & Miller, eds, (2017), What is Islamophobia : Racism, Social Movements, and the State, Pluto Press ; Razack, S. (2022), Nothing Has to Make Sense : Upholding White Supremacy through Anti-Muslim Racism, University of Minnesota Press ; Kumar, D. (2021), Islamophobia and the Politics of Empire : 20 years after 9/11, Verso Books ;

[22] Jasmin Zine, "L'industrie canadienne de l'islamophobie : Mapping Islamophobia's Ecosystem in the Great White North", Projet de recherche et de documentation sur l'islamophobie et Centre d'études sur l'islamophobie (Berkeley), 2022, 153ff, https://www.iphobiacenter.org/content/canadian-islamophobia-industry.

[23] Zine, 154.

[24] CJPMO, (2023), Le racisme anti-palestinien au Canada : Rapport 2022 de CJPMO, https://www.cjpme.org/apr_report_2022

[25] Richie Assaly, "A closer look at the racist myth at the heart of Selina Robinson's comments", Ricochet, 7 février 2024, https://ricochet.media/en/4032/a-closer-look-at-the-racist-myth-at-the-heart-of-robinsons-comments 

[26] CJPME, (2023), La Nakba : FAQ, https://www.cjpme.org/fs_235

[27] Bercusion, D., (1985), Canada and the Birth of Israel : A Study in Canadian Foreign Policy, University of Toronto Press ; Tauber, E., (2002), Personal Policy Making : Canada's Role in the Adoption of Palestine Partition Resolution, Praeger Press ; Engler, Y., (2010), Canada and Israel : Building Apartheid, Fernwood Publishing.