Fiche-info 197, publiée en Avril 2016: L’Arabie Saoudite a commencé l’année 2016 dans un bain de sang. Le Royaume a procédé à l’exécution de 47 chiites accusés de « terrorisme ». Malgré cet événement violent dirigé à l’encontre d’un groupe minoritaire, le gouvernement canadien a continué à défendre son contrat d’une valeur de 15 milliards de dollars avec les Saoudiens pour la vente de véhicules blindés.  Face à de tels actes, les défenseurs des droits de la personne canadiens se questionnent quant à l’intégrité des relations canado-saoudiennes. 

Le Canada et le contrat de vente d’armes de 15 milliards à l’Arabie Saoudite

Série Fiche-info N.197, créée: Avril 2016, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient
 

L’Arabie Saoudite a commencé l’année 2016 dans un bain de sang. Le Royaume a procédé à l’exécution de 47 chiites accusés de « terrorisme ». Malgré cet événement violent dirigé à l’encontre d’un groupe minoritaire, le gouvernement canadien a continué à défendre son contrat d’une valeur de 15 milliards de dollars avec les Saoudiens pour la vente de véhicules blindés.  Face à de tels actes, les défenseurs des droits de la personne canadiens se questionnent quant à l’intégrité des relations canado-saoudiennes.

fs197.pngQuel est l’historique de l’Arabie Saoudite en matière de droits de la personne?

L’Arabie saoudite est reconnue pour être l’un des régimes les plus répressifs de la planète. Les juristes sur son territoire interprètent la loi religieuse de la charia[1]. L’Arabie Saoudite n’a jamais signé la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948. Selon Amnistie internationale (AI), l’Arabie Saoudite viole le droit international en ce qui a trait «à la torture et les mauvais traitements, l’égalité des femmes, les exécutions injustes et secrètes, la liberté religieuse, la liberté d’expression, les droits des défenseurs des droits humains, la liberté de presse, le droit à un procès équitable et la détention arbitraire[2] ». Le nouveau roi, Salmane ben Abdelaziz, arrivé au pouvoir au début de l’année 2015, ne semble pas vouloir remettre en question le statu quo.

En termes d’exécution, Amnistie internationale rapporte que l’année 2015 a été la plus meurtrière depuis 1995. Selon l’organisation, une personne par jour avait été exécutée par le régime saoudien durant l’année 2015[3]. La méthode adoptée principalement par les dirigeants est la décapitation. Selon la tradition saoudienne, le condamné se fait amener sur la place publique où il sera agenouillé. La décollation se fait à l’aide d’un sabre. Selon Amnistie, il s’agit d’une méthode barbare uniquement pratiquée par le gouvernement saoudien[4]. Le royaume discrimine systématiquement les minorités religieuses. Récemment, les chiites en sont la principale cible : l’assassinat de leur chef religieux, le Sheikh Nimr al-Nimr ainsi que l’exécution de son neveu de 17 ans en sont des exemples frappants. Ou encore, les activistes et les défenseurs des droits de la personne sont plus d’une douzaine à purger des peines de longues durées pour avoir critiqué les autorités locales[5]. Le blogueur et écrivain libéral Raif Badawi, détenu depuis 2012, a été condamné à un emprisonnement de 10 ans et à 1000 coups de fouet. Sa sœur, Samar Badawi, ainsi que son avocat sont aussi détenus présentement.

 

Pourquoi le Canada craint-il de perturber ses relations avec l’Arabie Saoudite?

Critiqué pour son choix de maintenir des relations diplomatiques et économiques avec un pays qui ne respecte pas les droits de la personne, le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, se défend que « […] l’on progresse mieux par une politique d'engagement que par une politique de retrait[6] ». Cependant, il existe d’autres facteurs que ceux évoqués par le gouvernement libéral. Dans un document adressé au premier ministre, Justin Trudeau, recueilli par la Presse Canadienne, des hauts fonctionnaires l’ont fortement invité à renforcer ses liens avec le royaume[7]. Les raisons sont nombreuses.  L’Arabie Saoudite est le pays le plus influent du Conseil de coopération du Golfe (les Émirats Arabes Unis, le Bahreïn, le Koweït, la république d'Oman et le Qatar) et le Canada a tout intérêt à maintenir de bonnes relations avec elle.  L’Arabie Saoudite est aussi le seul pays arabe à faire partie du G20 en plus de représenter « un contributeur de premier ordre à la sécurité énergétique mondiale et le premier partenaire économique du Canada dans la région[8] ». L’Arabie Saoudite a été le premier acheteur de matériel canadien militaire en 2012 et 2013[9].  En ce qui a trait à la production de pétrole, l’Arabie Saoudite est le premier exportateur de pétrole brut au monde. En 2016, le royaume a cessé d’agir en régulateur des pays de l’OPEP et a continué d’augmenter l’offre malgré la surproduction afin d’obtenir le contrôle du marché. Cela a eu pour conséquence un effondrement des cours et la dévastation de l’industrie pétrolière du Canada. L’Arabie Saoudite est la seule à pouvoir compter sur ses réserves pour influencer le marché et les prix par l’augmentation et la réduction de sa production[10].

 

Le Canada pourrait-il utiliser des sanctions économiques pour améliorer les droits de la personne en Arabie Saoudite?

Les sanctions économiques et diplomatiques sont parfois utilisées afin d’améliorer les droits de la personne dans les pays où les violations sont courantes. Or, l’efficacité de cette démarche est parfois remise en question. Selon une étude dirigée par le professeur Dursun Peksen, associé au département de science politique à l’Université de Memphis, les sanctions économiques ont presque toujours eu un effet négatif sur les civils, et ce, même si les sanctions visaient initialement une amélioration des droits de la personne. Les conclusions de la recherche révèlent que, bien souvent, le régime oppressif n’est pas affecté, alors que la répression augmente, explique Peksen[11]. De plus, selon cette même recherche, cet effet est amplifié si les sanctions sont multilatérales. Le spécialiste du Moyen-Orient et chargé de cours à l’UQAM Samir Moukal aborde la problématique sensiblement de la même façon. «  L’Arabie a de nombreux partenaires économiques », explique-t-il. Un arrêt des relations diplomatiques et économiques avec le Canada se ferait sans heurts pour le royaume. M. Moukal explique que l’Arabie Saoudite déplacerait simplement ses contrats vers d’autres pays. Rappelons que plusieurs candidats étaient en lice pour le contrat de 15 milliards de dollars.

Néanmoins, le succès des sanctions à l’encontre du régime d’apartheid en Afrique du Sud ne peut être nié. Malgré les épreuves endurées par la population noire pendant le boycottage international, les sanctions visant l’apartheid sud-africain ont permis une nette amélioration de ses droits. Il y a d’autres exemples démontrant que les sanctions ont porté fruit, mais le cas de l’Afrique du Sud est le plus parlant[12].

Chose certaine, ignorer la politique intérieure dictatoriale de certains pays tels que l’Arabie Saoudite ne sera pas profitable aux civils. Par souci de trouver un juste milieu, des recommandations ont été formulées, par certaines études internationales, quant à l’application de sanctions, notamment : « Apporter des ajustements précis aux sanctions afin de réduire les conséquences non désirées, une surveillance compétente au niveau technique, une administration des exemptions sur bases humanitaires plus efficace, un modèle de législation, et des mesures spéciales s’appliquant à des sanctions financières ciblées, des embargos sur les armes, et des interdictions de voyager. Le symposium a conclu qu’une stratégie pour des sanctions plus efficaces devait porter sur l’exercice d’une pression sur l’élite décisionnelle, tout en évitant, dans la meilleure mesure possible, les conséquences néfastes sur le plan humanitaire[13] ». 

 

Le Canada devrait-il annuler son contrat de vente d’armes avec l’Arabie Saoudite?

Oui, probablement. Cependant, les droits de la personne ne seraient pas nécessairement davantage protégés, du moins à court terme. Si le Canada devait rompre ses liens avec l’Arabie Saoudite, ceci améliorerait l’image du Canada sur la scène internationale et au sein de ses frontières. Toutefois, considérant ses réserves de pétrole et son influence sur cette ressource énergétique mondiale, de nombreux pays partenaires maintiendront de toute façon de bonnes relations économiques avec l’Arabie malgré ses nombreuses violations. Dans un tel contexte, le Canada doit recourir à des outils comme le nouveau Traité sur le commerce des armes (TCA) pour remporter une meilleure adhésion des États dans le monde contre la vente d’armes aux régimes autoritaires. Mis à part le présent contrat d’armes, le Canada se doit d’avoir une stratégie à long terme qui encourage le respect des droits de la personne et lui permette de préserver une influence sur son partenaire économique. (Remarquer que le Canada est un important exportateur, notamment d’équipement militaire, pour d’autres pays dictatoriaux, dont le Bahreïn et les Émirats Arabes Unis[14].)

 Dans le cas du contrat d’armement de 15 milliards destiné à l’Arabie Saoudite, il faut poser un regard particulier sur l’usage de la marchandise. Il ne s’agit pas de simples relations économiques entre deux pays. Les biens livrés sont en fait des véhicules blindés qui seront très probablement utilisés contre la population civile. Amnistie internationale prie le ministre Stéphane Dion de revoir le contrat d’armement. L’organisation demande une suspension du transfert d’armements jusqu’à ce que soit fournie une évaluation des droits de la personne en Arabie Saoudite, que les critères d’évaluation soient rendus publics et finalement que les résultats soient dévoilés[15]. Dans le cas où une telle évaluation indiquerait que les armes canadiennes pourraient être utilisées pour perpétrer des crimes contre des civils, alors le Canada devrait modifier les termes du contrat, ou carrément l’annuler.  



[1]Ansary, Abdullah F. “A Brief Overview of the Saudi Arabian Legal System,” Hauser Global Law School Program, juillet 2008

[2] « Vente d’armes du Canada à l’Arabie saoudite : notre lettre ouverte aux ministres Dion et freeland, » Amnistie Internationale, 3 mars 2016

[3] « L’Arabie saoudite a procédé cette année à 151 exécutions, un chiffre inégalé depuis presque 20 ans, » Amnistie Internationale, novembre 2015.

[4] « L'Arabie saoudite multiplie les décapitations, »Amnistie Internationale, 6 avril 2015

[5] Human Rights Watch.  « Saudi Arabia».

[6] Radio-Canada « Dion défend l’approche canadienne à l’égard de l’Arabie saoudite », janvier 2016.

[7] Radio-Canada, « Trudeau  invité à soigner ses relations avec l’Arabie saoudite », janvier 2016. [En ligne] <http://ici.radio-canada.ca/>

[8] Idem

[9] Radio-Canada, « Commerce et droits de la personne : le dilemme canadien face à l’Arabie saoudite », janvier 2016.

[10] Les Affaires « Pétrole : l’Arabie saoudite veut contrôler le marché, coûte que coûte », janvier 2016. 

[11] Peksen, Dursun. 2009. «Better or  Worse? The Effect of Economic Sanctions on Human Rights », Journal of Peace Research no. 46, p.. 59-77. 

[12] Taylor, Adam. «13 times that economic sanctions really worked » The Washington Post, 28 avril 2014.

[13] L. Minear, D. Cortright, J. Wagler, G. A. Lopez, and T. G. Weiss, “Toward More Humane and Effective Sanctions Management: Enhancing the Capacity of the United Nations System,” Occasional Paper no. 31 (Providence, RI: Thomas J. Watson Jr Institute for International Studies, 1998).

[14] Bérubé, Nicolas. « Ces dictateurs qui s’arment au Canada». La Presse, 25 janvier 2015.

[15] Amnistie Internationale. « Vente d’armes du Canada à l’Arabie saoudite : notre lettre ouverte aux ministres Dion et freeland », janvier 2016. 

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