L’Accord de normalisation EAU-Israël

CJPME Fiche d'information No. 220, publiée en septembre 2020 : Cette fiche d'information traite de l'accord de normalisation EAU-Israël. S'agit-il vraiment d'un "accord de paix" et le Canada fait-il bien de le saluer ?

L’Accord de normalisation EAU-Israël

Fiche d'information No. 220, publiée: Septembre 2020, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient
 

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Le 13 août 2020, les « accords d’Abraham » ont été annoncés par le président des États-Unis Donald Trump, le premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou, et le président des Émirats arabes unis (EAU) Khalifa ben Zayed Al Nahyane (connu sous les initiales MBZ). Annoncé comme un « accord de paix historique »[1], les trois pays ont accepté la normalisation complète des relations entre les EAU et Israël.

Sur quoi exactement les EAU et Israël se sont-ils mis d’accord ?

Les derniers détails ne sont pas encore confirmés, car plusieurs questions doivent encore être négociées avant la signature de l’accord final. Néanmoins, de nombreux aspects clés ont été notés dans l’annonce :

  • Les EAU et Israël ont convenu d’établir des liens économiques et diplomatiques bilatéraux complets. Il a été annoncé que les délégations des deux pays se rencontreraient dans les prochaines semaines pour signer des accords bilatéraux concernant « les investissements, le tourisme, les vols directs, la sécurité », les ambassades et une myriade d’autres « domaines d’intérêt mutuel ».
  • Les États-Unis, Israël et les EAU vont lancer un « agenda stratégique pour le Moyen-Orient afin de développer la coopération diplomatique, commerciale et sécuritaire. »
  • Israël va « suspendre » ses plans d’annexer des portions de la Cisjordanie pour se concentrer sur la normalisation.
  • L’annonce a affirmé le droit de « tous les musulmans qui viennent en paix », y compris les citoyens des EAU, de visiter et prier à la mosquée Al Aqsa à Jérusalem-Est[2]. »

S’agit-il d’un accord de paix ?

Non. Bien que l’accord entre les EAU et Israël soit souvent présenté comme un « accord de paix », il s’agit d’un abus de langage. Les EAU deviendront le troisième pays arabe à reconnaître Israël, après l’Égypte, qui a signé un accord de paix avec Israël en 1979, et la Jordanie qui a signé un accord en 1994. Contrairement à ces pays, néanmoins, les EAU ne partagent pas de frontières avec Israël, et les EAU et Israël n’ont jamais été en guerre.
Il est important de noter qu’Israël et les EAU entretiennent discrètement des relations non officielles depuis des années, notamment en matière de coopération dans les domaines de la défense, de la surveillance du renseignement et du commerce des armes[3]. Le récent accord officialise et renforce ces relations existantes mais clandestines.

Pourquoi les EAU et Israël n’avaient-ils pas déjà des relations officielles ?

Les EAU, comme la plupart des pays du monde arabe, ont refusé d’avoir des relations normalisées avec Israël depuis sa création en 1948, en protestation contre la partition de la Palestine. Durant des décennies, les pays arabes ont insisté sur le fait que la normalisation doit être fondée sur une résolution juste pour les Palestiniens. Ce fut le cas pour l’initiative arabe de paix de 2002, menée par l’Arabie saoudite, qui insistait sur le fait qu’un État palestinien devait être créé avant que la normalisation puisse avoir lieu[4].

L’accord EAU-Israël contredit cette position de longue date en dissociant le conflit arabo-israélien du conflit israélo-palestinien[5]. L’accord est largement reconnu par les dirigeants israéliens comme la confirmation qu’ils n’ont pas besoin de renoncer au territoire occupé, mais qu’ils peuvent contourner la question tout en établissant des relations avec les États arabes[6].

Suite à l’annonce, les États-Unis et Israël ont laissé entendre que d’autres États pourraient bientôt suivre les EAU en concluant des accords de normalisation avec Israël. Des responsables américains se sont rendus dans des pays tel que Bahreïn, Oman et le Soudan pour tenter d’obtenir un soutien en vue de futurs accords[7]. À date du 1er septembre 2020, 30 États membres de l’ONU ne reconnaissent pas Israël.

L’accord met-il fin aux plans d’annexion d’Israël ?

Non. Bien que les EAU se soient vantés que leur accord ait mis fin aux plans d’annexion d’Israël et ait sauvé la solution à deux États, ce qu’Israël a en fait accepté est une « suspension » temporaire ou une pause de toute annonce officielle sur l’annexion.

En effet, Nétanyahou a répété que l’annexion reste sur la table[8], et cela a été confirmé par les responsables israéliens et américains[9]. Sur le plan fondamental, les plans d’annexion d’Israël sont consistant avec « l’accord du siècle » de Trump, que les États-Unis continuent de promouvoir comme résolution du conflit[10].  Pour cette raison, les Israéliens pourraient à tout moment relancer leurs plans d’annexion.

Y a-t-il d’autres motivations derrière cet accord ?

Les trois pays souhaitent développer la coopération militaire dans la région, particulièrement pour contrebalancer l’influence de l’Iran[11]. Pour leur part, les EAU aspirent à devenir une puissance régionale[12] et ont contribué ces dernières années à des offensives militaires brutales en Afghanistan, au Yémen et en Libye, en déployant des frappes aériennes et en armant des milices[13].

Une autre motivation majeure pour l’accord est la manière dont il va stimuler les ventes d’armes. Les EAU sont un acheteur important d’armes américaines, pour lesquelles ils dépensent environ 20 milliards de dollars sur leur budget annuel de défense de 23 milliards de dollars, et la normalisation devrait permettre à Israël d’avoir un meilleur accès au marché des armes des EAU[14].  Il est important de noter que les États-Unis veulent vendre des avions de chasse F-35 aux EAU, mais Israël s’est jusqu’à présent opposé à un tel accord au motif qu’il pourrait éroder son « avantage militaire »[15]. Les EAU estiment que l’accord de normalisation leur permettra d’acheter les avions de chasse F-35, bien qu’Israël s’y oppose encore[16].

Comment la communauté internationale a-t-elle réagi ?

De nombreux pays ont salué l’accord EAU-Israël (et la promesse de suspension de l’annexion), incluant le Canada, le Royaume-Uni, l’Égypte, Bahreïn, et Oman. D’autres, comme l’Iran, la Turquie, et le Qatar le critiquent.

Des groupes de la société civile, des militants, et des intellectuels ont protesté contre l’accord aux EAU, à Bahreïn, au Koweït, au Qatar et à Oman[17]. La répression de l’État contre ceux qui critiquent l’accord a été reportée aux EAU, en Jordanie et en Égypte[18].

Comment les Palestiniens ont-ils réagi ?

Les Palestiniens de toutes origines ont exprimé leur indignation à propos de l’accord EAU-Israël, car les EAU ont abandonné le principe de longue date selon lequel la normalisation ne peut avoir lieu que s’il y a une fin à l’oppression de la Palestine par Israël. Le président de la Palestine Mahmoud Abbas a qualifié l’accord de « trahison de Jérusalem, d’Al Aqsa et de la cause palestinienne », et l’Autorité palestinienne a rappelé son ambassadeur aux Émirats arabes unis[19]. Hamas a qualifié l’accord de « récompense pour les crimes d’occupation d’Israël », et « un couteau dans le dos de notre peuple » [20]. D’autres ont fait part de leurs inquiétudes quant au fait que l’accord pourrait modifier le statu quo concernant l’accès au Mont du Temple et à la mosquée Al-Aqsa, ce qui pourrait déclencher des violences[21].

Le Canada a-t-il raison de saluer l’accord ?

Le Canada a salué l’accord comme « une étape favorable vers la paix et la sécurité dans la région[22] », mais cet optimisme n’est pas fondé. L’accord EAU-Israël est un « accord de paix » entre deux pays qui n’ont jamais été en guerre, qui va accélérer les dépenses militaires et le militarisme au Moyen-Orient. De plus, il évite la question centrale de l’occupation de la Palestine par Israël et n’incite pas Israël à respecter les droits de la personne des Palestiniens. La voie opportuniste des EAU n’est pas susceptible de mettre fin à la division et au conflit dans la région et pourrait en fait l’intensifier et le prolonger.

 

[1] Lahav Harkov and Omri Nahmias, “Israel, UAE reach historic peace deal: ‘We can make a wonderful future’” Jerusalem Post, August 14, 2020.

[2] Haaretz, “'Historic Diplomatic Breakthrough': Read the Full Statement on Israel-UAE Agreement,” August 13, 2020.

[3] Ian Black, “Just Below the Surface: Israel, the Arab Gulf States and the Limits of Cooperation,” LSE Middle East Centre Report, March 2019, pp. 12-16.

[4] Dana El Kurd, “Palestinians are a side note in the UAE-Israel political charade,” +972 Magazine, August 27, 2020.

[5] Anshel Pfeffer, “Don't Compare MBZ and Bibi to Sadat and Begin – the UAE-Israel Deal Is Much Bigger Than Peace,” Haaretz, August 17, 2020.

[6] Times of Israel, “Full text. Netanyahu on why UAE deal is different: Palestinians lost their veto,” August 16, 2020.

[7] Tovah Lazaroff, “Pompeo ends Middle East tour with no further peace declarations,” Jerusalem Post, August 27, 2020.

[8] Cnaan Liphshiz, “Netanyahu says West Bank annexation ‘remains on the table’ following Israel-UAE agreement,” Jewish Telegraphic Agency, August 14, 2020; Tova Lazaroff, “Netanyahu pledges annexation, plans to open school year in a settlement,” Jerusalem Post, August 31, 2020.

[9] Noa Landau, “After Netanyahu Commits to Future Annexation, Trump Says It's 'Now Off the Table,'” Haaretz, August 13, 2020; Times of Israel, “Israel says annexation still going ahead, just suspended for a little while,” August 13, 2020.

[10] For more information see CJPME Factsheet No. 218, The Trump Plan for the Israeli-Palestinian Conflict, February 2020.

[11] Israel Hayom, “UAE, Israeli defense ministers pledge cooperation,” August 26, 2020; Ian Black, “Just Below the Surface: Israel, the Arab Gulf States and the Limits of Cooperation,” LSE Middle East Centre Report, March 2019, pp. 12-16.

[12] Dana El Kurd, “Palestinians are a side note in the UAE-Israel political charade,” +972 Magazine, August 27, 2020.

[13] Jason Pack, “The Israel-UAE Deal Won’t Bring Peace, but It Will Prolong the War in Libya” Foreign Affairs, August 21, 2020; David Kirkpatrick, The Most Powerful Arab Ruler Isn’t M.B.S. It’s M.B.Z.” New York Times, June 2, 2019.

[14] Hagai Amit, “The Real Deal for Israel and the UAE is Weapons,” Haaretz, August 17, 2020.

[15] Neri Zilber, “Peace for Warplanes?” Foreign Policy, August 31, 2020.

[16] Neri Zilber, “Peace for Warplanes?” Foreign Policy, August 31, 2020.

[17] Tamara Nassar, “‘Silent Majority’ rejects Gulf ties with Israel,” Electronic Intifada, August 19, 2020.

[18] Al Bawaba, “'Help Us Find Critics': UAE Smart App Allows Reporting Residents Who Tweet Against Normalization With Israel,” August 17, 2020; Times of Israel, “Rights groups urge release of Jordanian jailed over cartoon on Israel-UAE deal,” August 28, 2020; Al-Monitor, “Egyptian news media warned not to criticize UAE-Israel deal,” August 27, 2020.

[19] Rami Ayyub, “Palestinians warn Israel-UAE deal imperils Jerusalem's Al-Aqsa mosque,” Reuters, August 14, 2020.

[20] Jack Khoury and Noa Landau, “Palestinians Slam 'Betrayal' by UAE in Deal with Israel: 'Reward of the Occupation's Crimes'” Haaretz, August 13, 2020.

[21] Nadda Osman, “Israel-UAE deal: Normalisation raises concern over change in status of Al-Aqsa – Report,” Middle East Eye, August 30, 2020.

[22] Levon Sevunts, “Canada welcomes normalization of relations between Israel and U.A.E.” Radio Canada International, August 14, 2020.