Fiche-info CJPMO n 214, publiée en décembre 2019 : Cette fiche d’information revient sur les manifestations populaires algériennes de 2019, en décrivant pourquoi les Algériens sont descendus dans les rues chaque semaine pour manifester contre le gouvernement tout en exposant les réactions du gouvernement algérien et du gouvernement canadien à ce mouvement.

Manifestations populaires algériennes de 2019

Série Fiches d'information 214 publiée en décembre 2019, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient
 
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Pourquoi les Algériens ont-ils commencé à manifester en février 2019?

Les manifestations populaires algériennes ont commencé le 16 février 2019[1] suite à l’annonce de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika de son intention à se présenter pour un cinquième mandat consécutif[2]. Connu sous le nom de “Hirak” en arabe, le mouvement de protestations pacifiques a été lancé, au début, avec un appel à la démission du président Abdelaziz Bouteflika. Le dirigeant âgé de 82 ans, au pouvoir depuis 1999, a été victime d’un AVC en 2013 et a été rarement vu en public depuis. En effet, il n’a pas prononcé de discours public depuis près de sept ans[3]. Puis, le 10 février 2019, Bouteflika annonce son intention de se présenter pour un cinquième mandat présidentiel dans une déclaration faite à la nation relayée par l’agence de presse officielle Algérie Presse Service[4]. Suite à l’annonce, des centaines de milliers d’Algériens ont commencé à manifester, réclamant la démission de Bouteflika sous principe que l’état de santé du président ne lui permettait pas de s’acquitter de ses fonctions en réclamant la mise en application de l’article 102 de la Constitution algérienne, qui stipule : « Lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement ». [5] Après cinq semaines de manifestations massives, Bouteflika démissionne le 2 avril 2019, en raison de son incapacité à exercer ses fonctions de president, conformément à l’article 102, mettant fin à ses vingt ans de règne. Cependant, suite à la démission de Bouteflika, le même régime est resté en place et a intensifié sa répression sur les manifestants qui continuaient à défiler dans les rues afin qu’ils acceptent la transition politique dirigée par le régime et qu’ils cessent les protestations. [6] Néanmoins, les manifestants algériens ont refusé la transition politique proposée, réclamant un changement démocratique global.[7]

Pourquoi les Algériens continuent-ils de manifester suite à la démission du président?

Suite à la démission de Bouteflika, des millions d’Algériens ont continué à manifester pacifiquement, tous les vendredis. Les demandes du peuple ont évolué au cours des mois du soulèvement populaire, les Algériens réclamant une refonte de l’ensemble du système du gouvernement. Le 15 septembre, la date des prochaines élections présidentielles en Algérie est fixée au 12 décembre. Suite à cette annonce, les Algériens ont renouvelé leurs protestations dans plusieurs villes, rejetant les nouvelles élections, accusant les dirigeants de corruption généralisée et de répression étatique et réclamant « un cadre plus pluraliste et inclusif pour préparer des élections libres ».[8][9] Le mouvement de protestations s’est intensifié au fil du temps avec des manifestations massives appelant à l’expulsion du système en place. En effet, les manifestants soutiennent qu’une éventuelle élection présidentielle dans le système de gouvernance actuel du pays ne ferait que donner un nouveau visage au même régime autoritaire.[10] Ainsi, afin que les prochaines élections soient transparentes et équitables, il est impératif d’instaurer une véritable démocratie à travers des réformes politiques radicales  et le départ de l’élite dirigeante.[11]

Quelle a été la réaction du gouvernement algérien face aux manifestations?

Au départ, le mouvement de protestations pacifiques de février 2019 était toléré par les autorités algériennes. Cependant, vers avril 2019, les autorités ont commencé à réagir plus fermement en tentant d’écraser toutes les manifestations possibles à Alger à l’exception des manifestations hebdomadaires du vendredi.[12] Depuis juin 2019, les autorités ont d’autant plus renforcé leur campagne de répression en visant des opposants politiques, des journalistes et des citoyens, « utilisant des canons à eau, du gaz lacrymogène, des balles en caoutchouc et des grenades assourdissantes, ainsi qu’en arrêtant des figures importantes du mouvement.”[13] Depuis Septembre 2019, les autorités font place à une politique de répression croissante contre les manifestations pacifiques des Algériens, ce qui inquiète grandement les défenseurs des droits de l’homme. Selon la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), depuis Septembre 2019, plus d’une centaine de manifestants pro-démocratie ont été arrêtés et détenus[14] sur une base d’accusations qualifiées par Human Rights Watch (HRW) de “douteuses” et “vagues” telles que “atteinte à l’unité nationale” et “entreprises de démoralisation de l’armée”[15]. En effet, Amnesty International (AI) a également lancé un avertissement en septembre 2019 contre la répression des manifestations du Hirak : « La reprise des arrestations arbitraires de grande ampleur prenant pour cible des groupes de la société civile, notamment de militant·e·s politiques, indique clairement que le droit à la liberté de réunion et d’expression reste menacé en Algérie». [16] En vertu du droit international, la répression brutale des civils par le régime algérien constitue une violation flagrante des droits à la liberté d’opinion et d’expression et de réunion et d’association consacrés par les articles 19 et 20.1 de la Déclaration universelles des droits de l’homme. [17]

Quelle est la réponse canadienne face aux manifestations?

En ce qui concerne les manifestations populaires algériennes de 2019, alors qu’Affaires mondiales Canada avait publié une déclaration en mars 2019 soutenant « des élections démocratiques libres et justes en Algérie » et souhaitant au peuple algérien « la paix, la stabilité et la prospérité »[18], le gouvernement Trudeau est depuis resté silencieux. À l’été 2019, le gouvernement Trudeau a en fait soutenu passivement le régime autoritaire en approuvant la vente d’au moins 12 millions de dollars d’armes et de minutions de fabrication canadienne à l’Algérie.[19] Cette vente n’a eu lieu que quelques semaines avant que le Canada ne ratifie le Traité des Nations Unies sur le commerce des armes (TCA) en septembre 2019, interdisant la vente d’armes militaires aux pays violant les droits de l’homme. En effet, les dernières données disponibles de Statistique Canada démontrent qu’au cours des semaines de juin et juillet, le Canada a envoyé « plus de pièces et accessoires d’armes et de munitions militaires en Algérie que durant les dix années précédentes combinées ».[20] Project Ploughshares a d’ailleurs exprimé de vives inquiétudes face au Rapport sur les exportations de marchandises militaires (2018) d’Affaires mondiales Canada et sur les ventes d’armes militaires de fabrications canadiennes à l’étranger .[21]

Ainsi, bien que le gouvernement Trudeau n’aie pris aucune position officielle à l’égard du mouvement de protestation algérien, les ventes d’armes de fabrication canadienne du gouvernement fédéral démontre un soutien à la dictature algérienne plutôt qu’au peuple algérien.  

 

[1] Pour de plus amples informations, voir la page  Wikipedia (version anglaise) « 2019 Algerian protests »

https://en.wikipedia.org/wiki/2019_Algerian_protests 

[2] Ibid

[3] Ward, Alex. « Thousands of Algerians are protesting to force their ailing dictator to step aside ». Vox. 5 mars 2019.   https://www.vox.com/world/2019/3/5/18251527/algeria-protest-term-pouvoir-bouteflika

[4] News Agencies. “Algeria: Bouteflika confirms presidential run for fifth term”. Al Jazeera. 10 février 2019. https://www.aljazeera.com/news/2019/02/algeria-bouteflika-confirms-presidential-run-term-190210155112057.html

[5] Voir l’Article 102 de la Constitution de la République algérienne démocratique et populaire.  Édition 2016. https://www.joradp.dz/trv/fcons.pdf

[6] International Crisis Group. “Post-Bouteflika Algeria: Growing protests, Signs of repression”. Briefing n. 68. 26 avril 2019.

https://www.crisisgroup.org/middle-east-north-africa/north-africa/algeria/b068-post-bouteflika-algeria-growing-protests-signs-repression

[7] Human Rights Watch. « Algérie: La démission de Bouteflika ouvre des perspectives pour les droits humains ». 9 avril 2019. https://www.hrw.org/fr/news/2019/04/09/algerie-la-demission-de-bouteflika-ouvre-des-perspectives-pour-les-droits-humains

[8] Human Rights Watch. “Algérie: Répression accrue contre les manifestants” 14 novembre 2019. https://www.hrw.org/fr/news/2019/11/14/algerie-repression-accrue-contre-les-manifestants

[9] Serrano, Francisco. “After 8 months on the streets, protesters in Algeria aren’t giving up”. 3 octobre 2019. Foreign Policy. https://foreignpolicy.com/2019/10/03/after-eight-months-on-the-streets-protesters-in-algeria-arent-giving-up/

[10] Ibid.

[11] Al Jazeera News. “Defiant Algerian protesters reject December presidential vote”. Al Jazeera. 22 novembre 2019. https://www.aljazeera.com/news/2019/11/defiant-algerian-protesters-reject-december-presidential-vote-191122144817322.html

[12] International crisis group. “Post-Bouteflika Algeria: Growing protests, Signs of repression”. Briefing n. 68. 26 avril 2019.

[13] Ibid.

[14] Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme. “Répressions généralisées du mouvement de protestations en Algérie: les défenseurs des droits humains ciblés par le régime ». 9 Octobre, 2019.  http://www.droits-laddh.org/repression-generalisee-du-mouvement-de-protestation-en-algerie-les-defenseurs.html

[15] Human Rights Watch. “Algérie: Répression accrue contre les manifestants” 14 novembre 2019. https://www.hrw.org/fr/news/2019/11/14/algerie-repression-accrue-contre-les-manifestants

[16] Amnesty international. « Algérie. Il faut mettre un terme à la vague d’arrestations résultant de la politique de répression contre les manifestations ». 19 septembre 2019. https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2019/09/algeria-end-clampdown-on-protests-amid-wave-of-arrests-targeting-demonstrators/

[17] Déclaration universelle des droits de l’homme, Article 19 « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». et Article 20.1 « Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques ».

[18] Global Affairs Canada. Déclaration: “Le Canada suit de près l’évolution de la situation en Algérie”. 13 mars 2019. https://www.canada.ca/fr/affaires-mondiales/nouvelles/2019/03/le-canada-suit-de-pres-levolution-de-la-situation-en-algerie.html

[19] Coyne, Todd. “Canadian weapons sales to Algeria on eve of U.N arms treaty “troubling” say experts”. Vancouver Island. 18 octobre 2019. https://vancouverisland.ctvnews.ca/canadian-weapons-sales-to-algeria-on-eve-of-u-n-arms-treaty-troubling-say-experts-1.4645262

[20] Ibid.

[21] Gallagher, Kelsey. “Analyzing Canada’s 2018 Report on Exports of Military Goods”. Project Ploughshares. Vol. 40 Issue 3, Automne 2019. https://ploughshares.ca/pl_publications/analyzing-canadas-2018-report-on-exports-of-military-goods/