Fiche-info 177, publiée en septembre 2013: Le plan Begin-Prawer est un plan de déplacement forcé des Bédouins du Néguev, déguisé sous un projet de développement économique de la région. Cette fiche d’information revient sur les origines des Bédouins d’Israël, et sur les conséquences d’un tel plan.

Les Bédouins d’Israël et le Plan Begin-Prawer

Série Fiche-info N.177, créée: Septembre 2013, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient
 
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177.jpgQui sont les Bédouins d’Israël et quelle est leur situation dans ce pays ?

Un peuple autochtone: Les Bédouins d’Israël habitent le désert du Néguev (Naqab) depuis le VIIe siècle[1]. Ils n’étaient pas nomades, mais semi-nomades et pratiquaient une agriculture extensive (avec les ressources naturellement présentes), en parallèle de leurs activités pastorales[2]. À partir du XXe siècle, ils ont développé leur propre système de tenure foncière, reconnu par l’Empire ottoman, puis sous le mandat britannique[3]. L’Agen-ce juive et le Fonds national juif ont d’ailleurs acheté des portions importantes de terres aux Bédouins dans les années 1920 et 1930, reconnaissant ainsi leur légitimité sur celles-ci[4].

La dépossession de 1948 : Au moment de l’établissement de l’État d’Israël, 80 à 85 % des Bédouins du Néguev furent expulsés vers la Cisjordanie, Gaza, la Jordanie ou l’Égypte, ce qui fit passer leur population d’environ 95 000 individus en 1947 à 11 000 à la fin de la guerre[5]. De plus, ceux qui restèrent furent confinés à 10 % du territoire qu’ils habitaient précédemment, dans le Siyag (littéralement l’ « enclos »), une région connue pour son sol aride et peu fertile. Jusqu’en 1966, le gouvernement militaire ne leur permettait pas de se déplacer sans autorisation, ce qui rendait leurs migrations saisonnières impossibles[6].

Un statut discriminatoire, une population défavorisée : Les Bédouins du Néguev sont citoyens d’Israël, mais ils ne bénéficient pas des mêmes droits que leurs concitoyens juifs à plusieurs égards. La moitié des 190 000 Bédouins d’Israël habite 45 villages dans la zone du Siyag, dont 10 sont en voie de reconnaissance et 35 sont non reconnus[7]. Les critères de reconnaissance de ces villages sont beaucoup plus exigeants que ceux appliqués aux nouveaux lotissements juifs[8]. De plus, parce que ces villages bédouins n’existent pas sur les cartes officielles, l’État refuse de leur fournir les services les plus élémentaires, comme l’électricité ou l’eau courante. L’éducation et les soins de santé ne sont fournis que partiellement[9]. Leurs habitations peuvent être détruites à n’importe quel moment[10].

L’autre moitié des Bédouins d’Israël vit dans sept villes construites dans les années 1960 afin de les regrouper sur une aire géographique plus restreinte[11]. Plusieurs Bédouins qui avaient perdu leur terre ou qui n’en possédaient pas avant 1948 ont progressivement consenti à s’y installer[12]. Aujourd’hui, ces villes, en rupture avec le mode de vie traditionnel des Bédouins, sont surpeuplées et fournissent peu d’emploi en raison de l’absence d’industries locales. En 2002, aucune de ces villes ne possédaient de système d’égout complet, même si les résidents avaient déjà payé les autorités israéliennes pour l’installation. De manière générale, tous les services publics (soins de santé, écoles, services récréatifs, transports) sont en insuffisants ou inexistants[13]. Ces villes ont parmi les plus hauts taux de chômage, de pauvreté et de décrochage scolaire du pays[14].

Qu’est-ce que le Plan Begin-Prawer ?

Un plan de déracinement des Bédouins : Le Plan Begin-Prawer est un plan de déplacement forcé des Bédouins du Néguev, déguisé sous un projet de développement économique de la région. Selon le gouvernement israélien, un de ses buts serait de mieux intégrer les Bédouins et de réduire les différences socio-économiques entre ceux-ci et les autres citoyens israéliens. Cependant, le plan ne tient pas compte des réels besoins des Bédouins et il a été élaboré sans les consulter[15].

Un enjeu militaire et économique : À la place des villages bédouins, le gouvernement israélien prévoit de construire des centres militaires et d’établir de nouveaux villages juifs. Le désert Néguev revêt un intérêt militaire stratégique en raison de ses frontières avec Gaza, l’Égypte et la Jordanie et de son accès à la mer rouge où Israël a une importante base navale. De plus, le sous-sol de la région regorgerait de pétrole et de gaz naturel[16].

Un plan dont la mise en œuvre rapide est prioritaire pour l’administration Netanyahou : La loi de mise en œuvre du plan a été approuvée à sa première lecture par le Parlement israélien (la Knesset) le 24 juin 2013 avec 43 votes pour et 40 contre. À présent, un comité ministériel prépare les deuxième et troisième lectures de la loi[17].

Quelles sont les conséquences du Plan Begin-Prawer sur la vie des Bédouins?

Expulsion et paupérisation : Les 35 villages non reconnus sont menacés de destruction par le plan, ce qui entrainera la relocalisation forcée de 30 000 à 70 000 personnes. Parmi ces villages, qui n’occupent que 5% du territoire du Néguev, certains ont été construits avant la création de l’État d’Israël, tandis d’autres ont été créés dans les années 1950 sous la loi martiale[18]. Le Plan Begin-Prawer dépouillera ainsi les Bédouins de leurs biens et de leurs droits fonciers historiques, et des milliers de familles bédouines seront condamnées à la pauvreté et au chômage. De plus, au-delà des impacts économiques, on ne saurait sous-estimer l’attachement à leur terre et la signification que celle-ci revêt pour ces autochtones[19].

Par ailleurs, un tel plan engendre de la colère, renforce le sentiment d’exclusion au sein de la population bédouine et ne contribue pas à la normalisation de leur présence à l’intérieur d’Israël et dans la région. Au lieu d’ouvrir la porte à un processus de réconciliation avec les citoyens israéliens bédouins, ce plan creuse davantage le fossé entre ceux-ci et l’État[20]. Pour ces raisons, les Bédouins s’opposent vigoureu-sement à la mise en œuvre du Plan Begin-Prawer.

Quels aspects du Plan Begin-Prawer soulèvent des questions légales ?

Violation du droit israélien : Le plan entre en conflit avec les droits des Bédouins à la propriété, à la dignité et à la liberté de choisir leur demeure qui sont garantis par la Loi fondamentale israélienne (une loi agissant au titre de constitution)[21]. Ensuite, le plan enlève aux tribunaux le pouvoir d’intervenir pour stopper les évictions, suspendant ainsi la primauté du droit. Le Premier ministre se voit d’ailleurs accorder un grand pouvoir discrétionnaire dans la mise en œuvre du plan[22]. D’autre part, comme le note l’Association pour les droits civils en Israël (ACRI), le cadre légal du plan ne s’applique qu’aux Bédouins, ce qui est hautement discriminatoire et ne respecte pas le principe de l’égalité devant la loi[23]. Enfin, la compensation pour les terres confisquées est largement insuffisante (un maximum de 50% de leur valeur).

Violation du droit international des droits de la personne : Le Plan Begin-Prawer viole l’interdiction de discrimination contenue à l’article 2(2) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et les obligations d’Israël en tant que signataire de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale[24].

En plus de la dénonciation du Plan Begin-Prawer par plusieurs personnalités publiques et organisations de la société civile à l’intérieur d’Israël[25], de nombreuses voix se sont également élevées contre le plan à l’international. Le Parlement européen[26], la Haute-commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU[27], Human Rights Watch et Amnesty International[28], pour ne citer que ceux-ci, ont condamné le plan. Au Canada, plus de 100 écrivains l’ont aussi dénoncé dans une lettre aux dirigeants israéliens et canadiens[29].

Quelle est la position des Bédouins du Néguev sur le Plan Begin-Prawer ?

Les Bédouins ont exprimé une forte opposition au plan[30] :Depuis les premières annonces du plan en 2011, la population bédouine d’Israël a vivement protesté contre celui-ci. Les autorités israéliennes ont souvent fait usage d’une force excessive contre les manifestants bédouins[31]. Les efforts répétés des représentants des villages non recon-nus pour engager le dialogue avec les autorités israéliennes ont été ignorés. Le Conseil régional pour les villages non reconnus (RCUV), un organisme qui représente la majorité des villages bédouins du Néguev, a tout de même élaboré un plan alternatif pour régulariser la situation des Bédouins et favoriser le développement économique de la région, tout en respectant les droits et la culture de ses citoyens[32].



[1] Adalah, The Legal Center for Arab Minority Rights in Israel. The Arab Bedouin and the Prawer Plan – Ongoing Displacement in the Naqab. [En ligne].

[2] Meir, Avinoam. « Contemporary state discourse and historical pastoral spatiality: contradictions in the land conflict between the Israeli Bedouin and the State ». Ethnic and Racial Studies. Vol. 32, No. 5, 2009.

[3] T’ruah, the rabbinic call for human rights. Fact Sheet about the Rights of the Bedouin in the Neguev. [En ligne].

[4] Abu-Ras, Thabet. « Land Dispute in Israel : The Case of the Bedouin of the Naqab ». Adalah’s Newsletter. Vol.24, Avril 2006, p.2.

[5] Abu-Saad, Ismael. « Spatial Transformation and Indigenous Resistance : The Urbanization of the Palestinian Bedouin in Southern Israel ». American Behavioral Scientist. Vol. 51, no 12 (août 2008), p.1725.

[6] Abu-Saad, Ismael. Ibid.  p.1726.

[7] T’ruah, the rabbinic call for human rights.  Ibid.

[8] T’ruah, the rabbinic call for human rights.  Ibid.  

[9] The Association for Civil Rights in Israel. In depth : Israel ignores Bedouin Needs with Begin Plan. [En ligne].

[10] Amnesty International. « Israël. Les démolitions de maisons de Bédouins dans le désert du Néguev doivent cesser immédiatement ». Communiqué de Presse (18 juillet 2013). [En ligne].

[11] Abu-Saad, Ismael. Ibid.  p.1730-1731.

[12] Abu-Saad, Ismael. Ibid.  p.1732.

[13] Abu-Saad, Ismael. Ibid.  p.1735.

[14] Kestler-D’amours, Jillian. « The end of the Bedouin ». Le monde diplomatique. Août 2012. [En ligne].

[15] T’ruah, the rabbinic call for human rights. The Prawer Plan.

[16] Larson, Peter. « Opinion : Why is Israel trying to push Bedouins of their traditional lands ». Embassy Magazine. August 1, 2013.

[17] Adalah.  Demolition and Eviction of Bedouin Citizens of Israel in the Naqab (Neguev) – The Prawer Plan. [En ligne].

[18] Adalah, Ibid.

[19] Abu-Saad, Ismael. Ibid. p.1714.

[20] Abu-Ras, Thabet et Oren Yiftachel. “ Four Reasons to Reject the “Prawer Plan””. Adalah’s Newsletter. Vol. 89, Janvier 2012. [En ligne].

[21] Adalah. Demolition and Eviction of Bedouin Citizens of Israel in the Naqab (Neguev) – The Prawer Plan. Ibid.

[22] Adalah.  The Arab Bedouin and the Prawer Plan – Ongoing Displacement in the Naqab. Ibid.

[23] The Association for Civil Rights in Israel. Ibid.

[24] Amnesty International. « Israël. Les démolitions de maisons de Bédouins dans le désert du Néguev doivent cesser immédiatement ». Communiqué de Presse (18 juillet 2013). [En ligne].

[25] Parmi ces organisations, on compte le Conseil régional pour les villages non reconnus (un groupe de coordination pour les Bédouins), les Rabbins pour les droits humains, l’ACRI, Bimkom (Planners for Planning Rights), Adalah, le Centre Mossawa, Community Advocacy - Israël et le Forum pour la coexistence dans le Néguev.

[26] Résolution du Parlement européen du 5 juillet 2012 sur la politique de l’Union Européenne à l’égard de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. 2012/2694(RSP).

[27] Agence France-Presse. « Israël : L’ONU dénonce un plan de déplacement des bédouins du Néguev ». La Presse (25 juillet 2013).

[28] Amnesty International.  Ibid.  

[29] CJPMO. « Margaret Atwood parmi les nouveaux signataires de la lettre ouverte des auteurs canadiens aux dirigeants canadiens et israéliens ». 16 juillet 2013.

[30] Voir la lettre du Conseil Régional pour les villages non reconnus au premier ministre israélien, au ministre de la Justice et au procureur général. [En ligne].

[31] Amnesty International. Ibid.

[32] The Alternative Master Plan for Bedouin Villages in the Negev. [En ligne].

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