Fiche-info 165, publiée en février 2013: Durant des années, Israël et l’occident se sont interrogés pour savoir comment contenir les potentielles ambitions nucléaires de l’Iran. Ce document résume les menaces, réelles et imaginaires, du programme nucléaire iranien. On s’interroge également à savoir si les préoccupations d’Israël et du Canada sont justifiées et si l’attaque préventive que veut mener Israël contre les installations nucléaires iraniennes est légale. 

Les intentions nucléaires iraniennes sont source de tension

Série Fiche-info N.165, créée: Février 2013, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient
 
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165a.pngD'où proviennent les menaces militaires contre l'Iran?

Israël est en grande partie responsable de l'idée que l'Iran constitue une menace. L'Iran et Israël ont entretenu des liens solides entre 1948 et 1979, mais ils ont commencé à s'éloigner à la suite de la révolution iranienne en 1979. L'Iran a gagné une importance régionale et leur relation a continué à se détériorer avec le renversement de Saddam Hussein en Iraq et la défaite des talibans en Afghanistan. Bien que l'Iran a étendu son influence dans toute la région dans les années 90, Israël ne percevait toujours pas l'Iran comme une menace à sa propre sécurité. Ce n'est que lorsque l'Iran a commencé à tisser des liens plus étroits avec d'autres acteurs non étatiques voisins d'Israël, comme le Hamas et le Hezbollah, qu'Israël a commencé à percevoir l’Iran comme une menace à sa domination au Moyen-Orient, allant même jusqu'à considérer l'Iran comme « la source de tous les conflits régionaux » auxquels ils sont confrontés[1].

Depuis dix ans, des propos inflammatoires ont pu être entendus de part et d’autre, minant toute possibilité d'une éventuelle relation cordiale entre les deux États. Toutefois, les dirigeants israéliens ont souvent tendance à exagérer les remarques du gouvernement iranien en dramatisant les reproches faits envers Israël en suggérant, par exemple,  que l'Iran cherche à « déshumaniser les juifs en vue d'un génocide ».[2] On doit également au premier ministre israélien Benjamin Netanyahou le climat de peur qui règne, celui-ci encourageant la communauté internationale à pousser l'Iran à mettre fin à son programme nucléaire. Ces mesures ont mené à la mise en oeuvre de sanctions économiques de la part de la communauté internationale, dont le Canada[3], sanctions qui ont beaucoup affaibli l'économie iranienne[4]. Le premier ministre israélien a salué l'ensemble de sanctions économiques supplémentaires imposées par les puissances occidentales en juillet 2012, tout en soulignant que cela ne découragerait par l'Iran de poursuivre son programme nucléaire, en raison de ses idéologies « moyenâgeuses » et de son « islamisme radical » qui l'emportent sur sa volonté de survie[5]. À peine deux mois plus tard, dans le cadre de la 67e session annuelle de l'Assemblée générale des Nations Unies, M. Netanyahou a affirmé que l'Iran aurait suffisammenr enrichi d'uranium pour être en mesure de produire sa première bombe nucléaire à l'intérieur de la prochaine année, et il a demandé une mesure globale pour l'en empêcher[6].

Depuis l'été 2012, M. Netanyahou demande l'appui de la communauté internationale pour le lancement d'une attaque préventive contre l'Iran, afin de mettre fin à tout programme nucléaire iranien et pour éviter que l'Iran ne devienne une puissance nucléaire régionale.

 

Est-ce que l'Iran constitue vraiment une menace?

La communauté internationale se souciait peu du programme nucléaire iranien avant qu'Israël ne commence à faire sonner les tambours de guerre. Pour sa part, l'Iran a toujours soutenu que son programme nucléaire était destiné à des fins civiles, comme la production d'énergie et la recherche médicale, et que son but était de devenir un « chef de file de la technologie dans le monde islamique », en soulignant que « toutes les nations ont droit au progrès scientifique »[7]. Depuis l'élection du président iranien Ahmadinejad en 2005, il est clair que le discours et les commentaires de plusieurs dirigeants iraniens ont été « gratuitement incendiaires »[8] [9]. Aspirant au statut de puissance régionale influente, l'Iran effectue des exercices militaires fréquents, procède à des tirs de contrôle, et annonce des plans d'intervention d'urgence en cas de guerre[10].

À la fin de 2012, des experts ont estimé que l'uranium de l'Iran était enrichi à 20 % alors que la fabrication d'une arme nucléaire exige de l'uranium enrichi au moins à 90 %[11] De son côté, Israël possède, croit-on, « plus de 200 charges militaires prêtes au tir dans son stock »[12]. L'Iran ne reçoit aucune aide au développement des États-Unis ou de l'Europe, et a souffert des sanctions internationales qui ont grandement affaibli son économie[13].

De plus, l'Iran a signé en 1968 et ratifié en 1970 le Traité de non-prolifération nucléaire, ce qui signifie que le pays est sujet à des inspections de la part de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Israël, d'un autre côté, demeure ambigu « au sujet de son arsenal nucléaire, évitant ainsi les coûts politiques si Israël en venait à être reconnu comme une puissance nucléaire déclarée » puisqu' « en tant que non-signataire du Traité de non-prolifération nucléaire, ses activités nucléaires ne sont pas assujetties à des inspections internationales »[14].

L'Iran moderne n'a envahi ou menacé d’envahir aucun de ses voisins régionaux. Par conséquent, l'acharnement d'Israël à convaincre la communauté internationale que l'Iran développe des armes nucléaires destinées à être utilisées semble démesuré. Il est donc certain qu'une frappe militaire contre l'Iran en guise de légitime défense préventive serait excessivement injustifiée.

 

Est-ce qu'une attaque préventive serait légale? 

Non, elle ne le serait pas. L'article 51 de la Chartre des Nations Unies permet la « légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée ». Dans ce contexte, ce droit à la légitime défense demeure en vigueur « jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité »[15]. Rappelons-nous qu'il n'existe aucune loi internationale qui empêche les pays de mettre sur pied des programmes nucléaires, que leur usage soit civil ou militaire. Ainsi, toute réponse militaire face à l'Iran doit s'appuyer sur une menace perçue pour la sécurité internationale, et non seulement sur une peur de la prolifération nucléaire.

Vu l'apparente tension entre Israël et l'Iran, le premier ministre israélien ainsi que d'autres dirigeants conservateurs israéliens soutiennent que l'argument de la légitime défense est suffisant pour lancer une attaque préventive contre l'Iran. Des experts juridiques affirment toutefois que la légitime défense préventive ne devient justifiable que dans le cas d' « une nécessité pressante et urgente de défense, qui ne permet ni de choisir les moyens, ni de délibérer »[16]. D'autres facteurs doivent également être pris en considération, comme l'étendue et la portée de la menace. De plus, il faut chercher à savoir si la menace est concrète : y a-t-il renforcement des forces militaires ou explosion d'engins nucléaires? Plusieurs autres facteurs doivent aussi être considérés : les annonces publiques et les positions politiques, les informations provenant des services de renseignement, ainsi que les précédents historiques de la région en question.

Puisqu'il est impossible pour l'instant de prouver que l'Iran constitue une menace imminente envers Israël, toute discussion entourant une attaque préventive est largement précipitée. Les options légales qui s'offrent aux dirigeants internationaux qui s'opposent au programme nucléaire de l'Iran sont donc, entre autres, la diplomatie, l'engagement constructif et les sanctions. Il est bien connu qu'Israël n'a pas toujours respecté les limites de la légitime défense lors d'attaques préventives dans le passé. En janvier 2013, Israël a lancé une frappe aérienne ciblant la Syrie alors qu'il n'y avait aucune tension grave entre les deux pays[17]. La frappe contre les présumées installations nucléaires de la Syrie en septembre 2007, ainsi que contre le réacteur nucléaire iraqien en 1981 à Osirak[18] sont d'autres exemples du recours d'Israël à ce type d'attaque illégale.

 

Le Canada doit-il condamner l'Iran ?

Non. Le Canada doit demeurer neutre et ne pas appuyer une partie plus que l'autre. Le Canada maintient actuellement des liens solides avec Israël et devrait tenter d'établir une relation d'engagement constructif avec l'Iran. Étant donné sa situation géographique et ses relations géopolitiques, l'Iran est en voie de devenir un acteur important dans la région qui saura entretenir des intérêts et des relations importantes au Moyen‑Orient[19].

Malheureusement, plutôt que de demeurer impartial dans un contexte de tension croissante, le Canada a adopté une attitude hostile envers l'Iran. En septembre 2012, à la grande surprise de plusieurs, le ministre des Affaires étrangères John Baird a annoncé que le Canada comptait fermer son ambassade en Iran et que les diplomates iraniens seraient expulsés du Canada dans les 5 jours suivants[20]. De telles mesures sont habituellement réservées à des périodes de guerre déclarée entre deux pays. En effet, le Canada n'a pas rompu ses liens diplomatiques avec un autre pays de manière unilatérale depuis la Seconde Guerre mondiale. Le Canada n'a pas coupé ses liens diplomatiques avec la Corée du Nord depuis le rétablissement de ceux-ci en 2001[21], et les liens entre le Canada et l'Afghanistan ont même été rétablis à peine trois mois après le début de la guerre en Afghanistan[22]. Le fait de prendre parti dans ce conflit entre l'Iran et Israël ne fait qu'aggraver le conflit et garantit que le Canada ne participera pas à sa résolution.



[1] Kaye, D. D., Nader, A., et Roshan, P. « Israel and Iran: A dangerous rivalry ». National Defense Research Institute. 2011. p. 17.

[2] Pour en savoir plus, veuillez consulter l'analyse  de CJPMO « Critique of ‘The Danger of a Genocidal and Nuclear Iran ». Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient. [En ligne.]

[3] Foreign Affairs and International Trade Canada. « Sanctions Against Iran ». 2013. [En ligne.]

[4] Zakaria, Fareed. « Iran’s growing state of desperation ». The Washington Post. Janvier 2012. [En ligne.]

[5] « Israel's Netanyahu draws 'red line' for Iran ». CBC News. 27 septembre 2012. [En ligne.]

[6] Ibid.

[7] Akbar Dareini, A. et Murphy, B. « Iran Nuclear Program: Ahmadinejad Loads Domestically Made Nuclear Fuel Rods ». The Huffington Post. 2 février 2012. [En ligne.]

[8] Kaye, D. D., Nader, A., et Roshan, P. « Israel and Iran: A dangerous rivalry ». National Defense Research Institute. 2011. pp. 20-27.

[9] « Le Canada, l'Iran et le Moyen-Orient ». Prise de position no 26. Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient. [En ligne.]

[10] « Commander: IRGC Will Destroy 35 US Bases in Region if Attacked ». Fars News Agency. 4 juillet 2012. [En ligne.]

[11] Jeffery H. « Netanyahu draws "red line" on Iran's nuclear program ». Reuters. 27 septembre 2012. [En ligne.]

[12] « Iran Describes Israeli N. Arsenals as “Threat to Peace”  ». Fars News Agency. 21 septembre 2012. [En ligne.]

[13] Erdbrink, T., et Gladstone, R. « Iran’s President Says New Sanctions Are Toughest Yet ». The New York Times. 3 juillet 2012. [En ligne.]

[14] « La prolifération nucléaire au Moyen-Orient : Relever le défi : Une proposition de CJPMO pour la politique canadienne au Moyen-Orient », Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient. p. 15. Août 2009. [En ligne.]

[15] « Le droit d'Israël à la légitime défense ». Fiche info no 42. Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient. Juin 2008. [En ligne.]

[16] Citation tirée du célèbre dossier judiciaire entre le Royaume-Uni et les États‑Unis daté de 1843, connu sous le nom de l'affaire Caroline. La citation française est tirée de : « Jugement international militaire de Nuremberg ». 1947. page 111.

[17] « Israel admits air strike on Syria ». The Sydney Morning Herald. 4 février 2013. [En ligne.]

[18] Voir note 15.

[19] Voir note 9.

[20] Payton, L. « Canada closes embassy in Iran, expels Iranian diplomats ». CBC News. Septembre 2012. [En ligne.]

[21] Government of Canada. Relations bilatérales : Canada et République populaire démocratique de Corée. Septembre 2012. [En Ligne.]

[22] « The Long Road – Canada in Afghanistan: 2002 ». The National Post. 2002. [En ligne.]

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