Fiche-info 139, publiée en octobre 2011 : Cette fiche info revient sur les élections tunisiennes de 2011 qui ont succédé au printemps arabe. Les élections ont eu lieu quelques mois seulement après une révolution de plusieurs mois provoquée par l’immolation d’un marchand tunisien du nom de Mohamed Bouazizi.

Les élections tunisiennes de 2011

Série Fiche-info N.139, créée: Octobre 2011, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient
 
Voir la fiche-info en version PDF

139.pngQui a remporté les élections tunisiennes?

Les résultats officiels des premières élections démocratiques à avoir eu lieu en Tunisie ont été publiés le 27 octobre 2011, quatre jours après l’ouverture officielle des bureaux de scrutin le 23 octobre. On a estimé que 90 pour cent des 4,1 millions d’électeurs enregistrés avaient participé[i]. Selon les résultats annoncés par l’Instance supérieure indépendante pour les élections de la Tunisie (ISIE), le parti islamiste modéré Ennahda est sorti victorieux en remportant le plus grand nombre de sièges, soit 90 des 217 sièges que comporte l’Assemblée constituante[ii]. La victoire d’Ennahda ne lui permet toutefois pas d’avoir un gouvernement majoritaire, puisqu’elle a remporté moins de la moitié des sièges en vertu de la répartition du système proportionnel[iii].

Le Congrès pour la république (CPR) arrive deuxième avec 30 sièges, et la troisième place revient au parti Ettakatol, avec 21 sièges[iv]. Des pourparlers sont en cours relativement à une possible coalition entre les trois partis majoritaires, qui permettrait de présenter une approche plus équilibrée entre les politiques islamistes et les politiques laïcistes[v], [vi],[vii].

En dépit d’intentions de vote prometteuses avant la tenue du scrutin, qui s’élevaient à 16 pour cent[viii], le Parti démocrate progressif (PDP) a reconnu sa défaite deux jours après le début de l’annonce des résultats[ix]. Le parti a tout de même pu réunir assez de sièges pour arriver cinquième, avec 17 membres élus[x]. Avec 19 sièges[xi], le Al-Aridha Chaabia (également connu sous le nom de Pétition populaire pour la liberté, la justice et le développement) termine tout juste devant le PDP. La  Pétition populaire n’a pas fait part de ses intentions de se joindre aux pourparlers en vue de former une coalition, alors que le PDP a exclu toute possibilité d’y participer[xii]. Les 40 sièges restants sont allés à divers partis et listes, dont bon nombre sont des candidats indépendants[xiii]

 

Pourquoi les élections tunisiennes sont-elles importantes ?

Les élections tunisiennes marquent le début d’un nouveau chapitre important dans l’histoire du pays. Ces élections arrivent quelques mois après que de longues protestations ont déclenché une révolution, protestations elles-mêmes provoquées en décembre 2010 par l’auto-immolation d’un marchand du nom de Mohamed Bouazizi. Le geste de Bouazizi a inspiré les Tunisiens et les a incités à prendre les rues d’assaut et à réclamer la fin du régime et de ses politiques oppressives. Les protestations qui en ont résulté ont poussé le président Zine El Abidine Ben Ali et sa famille à fuir le pays en janvier 2011. Ben Ali et sa femme ont par la suite été condamnés par contumace à 35 ans d’emprisonnement pour corruption et pour fraude[xiv]. En dépit de l’éviction de la majorité des membres de l’ancien régime, le premier ministre Mohamed Ghannouchi est resté à son poste jusqu’à ce que les contestataires le forcent à démissionner en février[xv]. Peu après, un gouvernement intérimaire a été formé, et on a annoncé la tenue d’élections pour octobre dans le but de choisir une Assemblée constituante[xvi].

Les élections marquent le commencement d’un processus démocratique en Tunisie, le premier de son genre parmi les pays ayant mené une vague révolutionnaire à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. La Tunisie avait longtemps été privée de cette liberté démocratique. Sous le règne de Ben Ali, la plupart des partis – autres que le sien – avaient été bannis[xvii]. Les membres d’autres partis, tels qu’Ennahda, étaient opprimés, forcés à l’exil, emprisonnés et même torturés[xviii].

L’Assemblée constituante nouvellement élue sera responsable de réécrire la constitution tunisienne, de choisir un nouveau gouvernement intérimaire, et de déterminer les dates d’entrée en vigueur d’un nouveau parlement et de tenue d’élections présidentielles[xix]. La dernière constitution, datant de 1959, définissait la Tunisie comme un État musulman, mais elle limitait le rôle de la religion dans les politiques et dans la loi[xx]. L’Assemblée sera par conséquent responsable de déterminer le rôle que jouera la religion dans les systèmes politiques et juridiques nouvellement formés. Elle a jusqu’à un an pour y parvenir[xxi].

Les élections marquent aussi possiblement une nouvelle ère pour les droits des femmes en Tunisie. Très tôt dans le processus démocratique, une loi sur la parité des sexes a été introduite de manière à « assurer une voix aux femmes dans l’Assemblée constituante[xxii] ». Il y a promesse d’une plus grande égalité pour les femmes tunisiennes, particulièrement en ce qui a trait aux perspectives d’emploi[xxiii]. En même temps, certaines femmes craignent que la victoire d’un parti islamiste entraîne leur répression plutôt que leur émancipation; seul le temps nous dira si ces nouvelles politiques se traduiront par un renforcement des droits des femmes en Tunisie. Au moment où les protestations se poursuivent ailleurs dans le monde arabe, la Tunisie pourrait bien se poser en exemple pour les autres nations qui amorcent un processus électoral.

 

Quels sont les principaux partis élus, et quelles sont leurs politiques?

Avec des intentions de vote s’élevant à 25 pour cent, Ennahda était favori dans les sondages d’opinion avant les élections[xxiv]. Dirigé par Rachid Ghannouchi, revenu d’exil, le parti « soutient la démocratie, le pluralisme et, dans une certaine mesure, la collaboration avec l’Occident[xxv] ». Bien que certains demeurent sceptiques quant aux idéologies d’Ennahda en raison de sa nature islamiste, le parti a réaffirmé son appui à l’égalité des droits entre les hommes et les femmes de même que son opposition à l’imposition de politiques oppressives envers les femmes[xxvi].

Le CPR est considéré comme un parti laïc de centre gauche et est dirigé par le médecin et militant des droits de la personne Moncef Marzouki. Il lutte pour les libertés civiles, notamment pour abolir la police politique, lever la censure et assurer la protection des libertés telles que définies dans la Déclaration universelle des droits de l’homme[xxvii]. Les autres partis laïcs de centre gauche incluent le PDP, dirigé par Ahmed Najib Chebbi et Maya Jribi, et Ettakatol, mené par Mustafa Ben Jaafar. Les deux promeuvent l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Alors que le programme électoral du PDP gravite essentiellement autour de la hausse du salaire minimum et de l’assouplissement de la réglementation sur l’investissement étranger, Ettakatol met plutôt l’accent sur la transparence du gouvernement et les enjeux entourant la corruption[xxviii]. Le parti qui a surpris tout le monde par son gain soudain de popularité au cours de l’élection est le Al-Aridha Chaabia (la Pétition populaire), mené par Mohamed Hechmi Hamdi. Ce parti défend un système de santé universel, des indemnités de chômage, l’imposition des grandes entreprises et des dons de charité pour les victimes d’injustices[xxix].

 

Comment le monde a-t-il réagi?

La Tunisie a été acclamée par la communauté internationale pour la tenue de ses premières élections démocratiques. Les États-Unis et l’Union européenne ont applaudi la manière pacifique dont se sont déroulées les élections, le président Obama déclarant qu’il s’agissait « d’un pas important en avant pour la nation[xxx] ». La chancelière allemande, Angela Merkel, a félicité le pays pour ses efforts lors de ces premières élections démocratiques, justes et libres, et a offert le soutien de l’Allemagne pour la transition vers la démocratie tout en exhortant la nouvelle Assemblée constituante à « suivre les principes de la démocratie, du pluralisme, du respect des droits humains et de l’État de droit[xxxi] ». Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, a salué la tenue fluide des élections tunisiennes, et le président français, Nicolas Sarkozy, a affirmé que la France serait « vigilante » quant au respect des droits humains et de la démocratie en Tunisie[xxxii].

Anne Wolf, correspondante à Al Jazeera, a affirmé : « La Tunisie est peut-être en train de prouver aux yeux de tous que la transition démocratique dans le monde arabe est non seulement souhaitable, mais qu’elle est également faisable et imminente[xxxiii]



[i] « Ahead of Official Results, Moderate Islamists Claim Victory In Tunisia Vote ». Radio Free Europe/Radio Liberty. 25 octobre 2011

[ii] Bradley, Allan. « Tunisian Elections – Live Updates – RESULTS ». Tunisia Live. 27 octobre 2011

[iii] Steavenson, Wendell. « Why Egypt's Elections Won't Be Like Tunisia's ». The New Yorker. 24 octobre 2011

[iv] Bradley, Allan. « Tunisian Elections – Live Updates – RESULTS ». Tunisia Live. 27 octobre 2011

[v] Chrisafis, Angelique & Black, Ian. « Tunisia election winner: ‘We're hardly the Freemasons, we're a modern party’ ». The Guardian. 25 octobre 2011

[vi] Hassassi, Hend. « CPR Hints at Coalition with Ennahda, Calls for Long Duration for Constituent Assembly ». Tunisia Live. 26 octobre 2011

[vii] Ryan, Yasmine. « Tunisia poll results show Ennahda lead ». Al Jazeera English. 26 octobre 2011

[viii] Bollier, Sam. « Who are Tunisia's political parties? » Al Jazeera English. 27 octobre 2011

[ix] Benoit-Lavelle, Mischa. « PDP Crushed, Party in Chaos ». Tunisia Live. 25 octobre 2011.

[x] Bradley, Allan. « Tunisian Elections – Live Updates – RESULTS ». Tunisia Live. 27 octobre 2011

[xi] Ibid.

[xii] Cousins, Michel. « Tunisian election springs surprises ». Arab News. 27 octobre 2011

[xiii] Bradley, Allan. « Tunisian Elections – Live Updates – RESULTS ». Tunisia Live. 27 octobre 2011

[xiv] « Tunisian court sentences Ben Ali in absentia ». Al Jazeera English. 29 juillet 2011

[xv] « Background: Tunisian elections ». Al Jazeera English. 27 octobre 2011

[xvi] Ibid.

[xvii] Wolf, Anne. « Why Is Tunisia's October 23rd Election So Important? » Tunisia Live. 5 octobre 2011

[xviii] Chrisafis, Angelique & Black, Ian. « Tunisia election winner: ‘We're hardly the Freemasons, we're a modern party’ ». The Guardian. 25 octobre 2011

[xix] Ryan, Yasmine. « Tunisia poll results show Ennahda lead ». Al Jazeera English. 26 octobre 2011.

[xx] « Background: Tunisian elections ». Al Jazeera English. 27 octobre 2011

[xxi] Ibid.

[xxii] Ryan, Yasmine. « Tunisia's election through the eyes of women ». Al Jazeera English. 23 octobre 2011

[xxiii] Wolf, Anne. « Tunisians Respond to Ennahda's Victory ». Tunisia Live. 25 octobre 2011

[xxiv] Bollier, Sam. « Who are Tunisia's political parties? » Al Jazeera English. 27 octobre 2011

[xxv] Ibid.

[xxvi] Ibid.

[xxvii] Ibid.

[xxviii] Ibid.

[xxix] Parker, Emily. « Aridha Chaabia, 'Popular Petition,' Shocks Tunisian Politics ». Tunisia Live. 27 octobre 2011

[xxx] « Moderate Islamist party claims election win in Tunisia ». BBC World News. 24 octobre 2011

[xxxi] Belgasmi, Emna. « Tunisia Congratulated Internationally for Its First Democratic Elections ». Tunisia Live. 27 octobre 2011

[xxxii] Ibid.

[xxxiii] Wolf, Anne. « Why Is Tunisia's October 23rd Election So Important? » Tunisia Live. 5 octobre 2011. 

Cliquez sur le(s) tag(s) rouge ci-dessous pour voir les articles reliés de CJPMO