Fiche-info 93, publiée en juillet 2010: Comme plusieurs facteurs font que la solution à deux états est de moins en moins probable, cette fiche info revient sur les alternatives restantes ainsi que sur les conséquences qu’entraînerait un échec des négociations de paix. John J. Mearsheimer, un auteur connu et un professeur de science politique à l’université de Chicago pense que la solution à deux états serait la meilleure pour les israéliens ainsi que pour les palestiniens, mais craint que le temps est compté pour mettre en place une solution à deux états viable. Excepté la solution à deux états, pour Mearsheimer seules trois autres alternatives sont possibles : un état binational démocratique, un nettoyage ethnique et un apartheid.

Solutions de rechange à l’option des deux États: une perspective réaliste

Série Fiche-info N.93, créée: Juillet 2010, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient
 
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fs93.pngDes personnalités publiques éminentes telles que Jimmy Carter et Desmond Tutu ont prévenu qu’Israël deviendrait un État apartheid si son occupation des territoires palestiniens continuait. Plusieurs croient que les politiques d’Israël dans les territoires palestiniens occupés (TPO) relèvent déjà de l’apartheid. Par exemple, en mai 2009, le Human Sciences Research Council (HSRC, Institut national de recherche en sciences sociales) a publié un rapport intitulé Occupation, Colonialism, Apartheid: A re-assessment of Israel’s practices in the occupied Palestinian territories under international law (Occupation, colonialisme, apartheid : une réévaluation des pratiques d’Israël dans les territoires palestiniens occupés en regard du droit international). Le rapport est explicite : « Cette étude démontre qu’Israël a introduit un système d’apartheid dans les TPO. »

Plusieurs estiment qu’une solution à deux États sur la base des frontières de 1967 est la seule voie pour résoudre équitablement le conflit palestino-israélien. Cela nécessiterait la création d’un état palestinien indépendant et contigu à l’ouest du Jourdain et joint à la bande de Gaza sur la Méditerranée. Mais plusieurs facteurs rendent la solution à deux États de moins en moins probable, notamment l’élection, en 2009, du gouvernement de droite le plus va-t-en guerre des dernières années et la colonisation continue des territoires palestiniens par près de 500 000 colons israéliens. Il y a pourtant bien peu de solutions de rechange valables à l’option des deux États. Comme l’a dit l’ancien Premier Ministre Ehud Olmert en 2007 : « Le jour où la solution à deux États s’écroule, et où nous nous trouvons confrontés à une lutte semblable à celle en Afrique du Sud pour des droits de vote égaux (même pour les Palestiniens dans les territoires), alors ce sera la fin de l’État d’Israël. »[1]

 

Quelles sont les solutions de rechange à l’option des deux États ?

John J. Mearsheimer, théoricien réaliste en relations internationales et professeur de sciences politiques à l’université de Chicago a coécrit le livre Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine. Mearsheimer croit que « Israël ne permettra pas aux Palestiniens d’avoir leur propre état viable à Gaza et en Cisjordanie. [...] Ces territoires seront plutôt annexés dans un "Grand Israël" qui sera un État apartheid ayant une ressemblance frappante avec l’Afrique du Sud sous l’apartheid. »[2]

Mearsheimer croit que la solution à deux États serait la meilleure solution possible pour les Israéliens et les Palestiniens mais craint qu’il ne reste plus beaucoup de temps pour une résolution à deux États viable. En éliminant la solution à deux États, Mearsheimer croit qu’il n’y a que trois choix possibles :

  • Un état binational démocratique : Le « Grand Israël », se référant à Israël incluant Gaza et la Cisjordanie, deviendrait un état binational dans lequel les Juifs et Palestiniens jouiraient des mêmes droits politiques. Plusieurs Palestiniens et quelques Juifs préfèrent cette solution, mais elle ne jouit pas d’un large soutien. Selon les projections démographiques actuelles, les Palestiniens seront éventuellement plus nombreux que les Juifs en Grand Israël. Pour plusieurs Israéliens et Juifs dans le monde, cette éventualité est inconcevable, car elle signifierait la fin de « l’État juif » tel que codifié dans la « Déclaration d’établissement de l’État d’Israël » et la « loi du retour ».
  • Nettoyage ethnique : Israël pourrait expulser les Palestiniens du Grand Israël comme en 1948 quand 700 000 Palestiniens ont été chassés de ce qui deviendrait Israël. Après la guerre de 1967, Israël a expulsé entre 100 000 et 260 000 Palestiniens de Cisjordanie et 80 000 du plateau du Golan.[3] Mais l’envergure d’une telle expulsion serait bien plus importante vu les 5,5 millions de Palestiniens habitant ce qui deviendrait le Grand Israël. Il est peu probable qu’Israël choisisse cette voie, car ce serait un crime flagrant contre l’humanité ; aussi, les Palestiniens offriraient une farouche résistance. Mearsheimer croit tout de même « qu’il y a de bonnes raisons de croire qu’Israël pourrait adopter cette solution à mesure que la démographie évolue et que l’inquiétude en regard de la survie de l’État juif s’intensifie. »[4] Il continue : « Un nombre important de Juifs israéliens, 40 % ou plus, croient que le gouvernement devrait « encourager » les citoyens arabes d’Israël à partir. »[5]
  • Apartheid : La dernière solution de rechange à l’option des deux États, selon Mearsheimer, est l’apartheid. Israël continuerait de renforcer son contrôle sur les TPO et permettrait à plus de colons israéliens de peupler et saisir des terres palestiniennes. Le système actuel de routes et de villes (ou colonies) exclusivement juives s’étendrait. Les Palestiniens obtiendraient une autonomie limitée dans des enclaves détachées, mais, contrairement à leurs voisins colons israéliens, ne jouiraient pas de tous leurs droits civils et politiques, par exemple le droit de vote, le droit de libre mouvement, etc.

 

Pourquoi l’option des deux États n’est-elle plus possible ?

Israël ne dissoudra pas ses colonies dans les territoires palestiniens occupés.  Selon Mearsheimer, la raison principale rendant l’option des deux États impossible est que les Israéliens ne sont pas prêts à consentir les sacrifices nécessaires à la création d’un État palestinien viable. D’abord, les quelque 500 000 colons vivant dans les TPO devraient être déplacés et la plupart d’entre eux utiliseraient tous les moyens possibles pour éviter tout recul de la colonisation. De toute façon, le gouvernement de Netanyahou s’est engagé à étendre les colonies israéliennes et s’oppose à la création d’un État palestinien viable.[6] De plus, il n’y a pas de parti politique pro-paix d’importance en Israël recommandant la solution à deux États : un tel parti serait en contradiction avec la vision sioniste d’un État d’Israël couvrant toute la Palestine historique. Comme l’indique Mearsheimer : « Même Yitzhak Rabin, qui était déterminé à voir le processus de paix d’Oslo réussir, n’a jamais parlé de création d’un État palestinien. Il considérait seulement octroyer aux Palestiniens une forme d’autonomie limitée qu’il nommait ‘entité moindre qu’un État’. Il insistait aussi pour qu’Israël maintienne le contrôle de la vallée du Jourdain et qu’une Jérusalem unie soit la capitale d’Israël. »[7]

Le lobby pro-israélien empêchera les États-Unis de forcer Israël au compromis.  Un autre obstacle à la solution à deux États est le lobby pro-Israël aux É.-U. Bien que les É.-U. détiennent une certaine influence sur Israël, le soutenant matériellement et diplomatiquement, ils sont gênés par l’influence démesurée du lobby pro-israël. Le lobby, selon Mearsheimer, est « un groupe d’intérêt exceptionnellement influent sur les politiques américaines au Moyen Orient. » Comme il l’indique, tous les présidents américains depuis 1967 se sont opposés à la construction de colonies mais aucun d’eux n’a stoppé Israël, même pendant les années des Accords d’Oslo. Entre 1993 et 2000, Israël a saisi 40 000 hectares de terres palestiniennes, a construit 400 km de routes pour les colons, a doublé le nombre de colons et a construit 30 nouvelles colonies. Le Président Clinton a fait bien peu pour stopper cette expansion, et les États-Unis continuent de donner des milliards de dollars à Israël et à le protéger diplomatiquement.

Autres obstacles.  Mearsheimer énumère deux autres raisons empêchant la création d’un État palestinien : 1) les Palestiniens sont souvent divisés, surtout présentement avec le schisme Fatah-Hamas ; 2) les sionistes chrétiens, une force politique influente aux É.-U., s’opposent à la solution à deux États parce qu’ils croient que la saisie de la Palestine par Israël expédiera la seconde venue du Christ.

 

L’apartheid israélien est-il viable ?

Non. Selon Mearsheimer, l’apartheid israélien ne sera pas viable parce qu’il ne sera pas toléré par l’opinion publique internationale. L’apartheid est impossible à défendre parce qu’il est diamétralement opposé à plusieurs valeurs clé de l’occident. Israël sous apartheid deviendrait un handicap stratégique trop important pour les É.-U. Des politiciens américains d’importance, des agents du renseignement et des dirigeants militaires de haut rang ont récemment affirmé que la colonisation israélienne de terres palestiniennes nuisait aux intérêts américains au Moyen Orient et dans la région.[8] Le lobby pro-Israël ne pourra pas défendre Israël parce que la plupart des Juifs américains ne soutiendront pas celui-ci une fois qu’il sera un État apartheid. Israël devra éventuellement devenir un état démocratique binational.

La résistance internet et palestinienne non-violente seront les approches les plus importantes et les plus efficaces pour la mobilisation internationale vis-à-vis de la cause palestinienne. Selon Mearsheimer, la guerre des idées « est en fin de compte le front sur lequel le futur de la Palestine se décidera. »



[1] Ravid, Landau, et al. “Two-state solution, or Israel is done for.” Haaretz. 29 nov. 2007.

[2] Mearsheimer, John. “The future of Palestine: Righteous Jews vs. the New Afrikaners.” Conférence donnée au Palestine Center à Washington, D.C. 29 avril 2010.

[3] Ibid.

[4] Mearsheimer, John. “Saving Israel from itself.” The American Conservative. 18 mai 2009.

[5] Ibid.

[6] La plateforme électorale de 2006 du Likoud stipule : « Le Gouvernement d’Israël rejette catégoriquement l’établissement d’un État palestinien arabe à l’ouest du Jourdain. Les Palestiniens peuvent mener leurs vies librement dans le cadre de l’auto-gouvernance, mais pas en tant qu’état indépendant et souverain. Ainsi, par exemple, en ce qui concerne les affaires étrangères, la sécurité, l’immigration et l’écologie, leurs activités seront limitées en accord avec les impératifs de l’existence d’Israël, sa sécurité et ses besoins nationaux. »

[7] Mearsheimer, John. “The future of Palestine: Righteous Jews vs. the New Afrikaners.” Conférence donnée au Palestine Center à Washington, D.C. 29 avril 2010.

[8] Perry, Mark. “Red Team.” Foreign Policy. 30 juin 2010.

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